c.16: A moi le pouvoir

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Le taxi se gare à l'entrée de l'écurie, le chauffeur nous aide à déposer nos sacs au sol, et repart aussitôt. Avant de prendre toute affaire, je me dirige vers le casier d'Azzaro et l'ouvre. Un tas de poussière vole, je toussote en clignant des yeux. Mais depuis quand ces affaires sont-elles là?! Lou éternue en même temps, découvrant le vieux casier. Je sors la selle et le filet et les dépose à côté, sur le béton de l'allée. Je prends un vieux chiffon avec Lou et fait décoller toute la poussière, on tousse en plissant les yeux. Azzaro n'a que six ans, et ses affaires n'ont pas été utilisées depuis très longtemps, ce qui laisse sous entendre qu'il y a un bon bail qu'il n'a pas été monté. Dans ce cas, quelque chose me tracasse, comment se fait-il qu'il ait été si docile la dernière fois?

-Pouah la poussière!

Lou se plaint, mais je ne répond pas, c'est vrai, d'un côté! Des vieux pots de graisses sont envahis de champignons, elles ont fissuré les pots en l'hiver et ont coulé à l'extérieur. Les brosses sont incrustées d'insectes dégoûtants, je pointe le doigt pour montrer à Lou un petit ver qui en sort justement. S'en est de même pour le tapis: il a été déchiqueté par des passages de souris et les vieux fruits pourris sont moisis: en phase décomposition, l'odeur est... écœurante, nauséabonde, infecte!

Quand je découvre ça, un cri aigu s'échappe de ma gorge et je m'écrie:

- Mais c'est le casier de l'horreur ou quoi? Qui a laissé pourrir tous ces vieux trucs dégueulasses sans les jeter!?

Lou hoche la tête, complètement d'accord avec moi. On passe au nettoyage, qui a duré plus de vingt minutes, à deux sur un foutu casier d'environ un mètre cube! Lorsque le casier ressemble enfin à quelque chose de propre, je souffle de satisfaction en prenant amicalement Lou sous mon bras, et voilà!

- Enfin, je peux installer toutes mes nouvelles affaires! M'exclamais-je, contente que tout ressemble à un vrai casier.

Azzaro me regarde avec son air si doux et si coquin. Il renifle le casier se trouvant à sa portée, vu qu'il est à côté de son box. Lou me salue et me souhaite une bonne nuit, comme hier soir, alors qu'elle regarde la voiture de sa mère arriver.

Un peu avant l'heure de manger, les écuries se désertent peu à peu et en l'espace d'une dizaine de minutes, tout le monde est rentré chez soit. Je me retrouve donc seule à huiler toutes mes affaires.

La corne retenti. Je laisse un dernier petit bisou a Azzaro au dessus de l'argile que je viens d'appliquer et lui souhaite, à lui aussi, une bonne nuit.

Je me mets à table, sans même jeter un regard à Adrien.

- J'ai, enfin cette après-midi, je suis sortie avec Lou, la propriétaire de Savane.

C'est juste histoire d'animer un peu ce foutu traditionnel repas silencieux.

- Ah. C'est bien, tu t'es fait des amis!

Anne dispose son coude sur la table et repose son menton sur le dos de sa main, tenant encore la fourchette, introduite de poisson. Elle semble s'intéresser à moi, subitement.

- Nous sommes allées acheter des affaires d'équitation, de nombreuses affaires!

Je fais ma vie comme si Adrien n'existait pas, comme si cette soirée n'avait jamais eu lieu, comme si rien ne s'était jamais passé, comme un parfait inconnu. Je me surprend à le faire si naturellement.

- Tu as envie de monter! C'est super ça! Olivier te donnera tes premiers cours!

Anne rentre dans le jeu de nos aveux, et vu la tête que fait Olivier, il n'est pas au courant; d'un côté c'est une bonne chose, ça m'arrange. Je ne prends pas le temps de regarder Adrien en continuant mon sujet, dans l'espoir d'obtenir plusieurs réponses à mes questions.

- Je montais déjà avant, merci mais non merci. En arrivant, j'ai ouvert le casier d'Azzaro, parce que c'est lui que j'ai choisi.

Olivier ne peut s'empêcher de me couper la parole et de s'exclamer:

- Azzaro!? Mais ce cheval est une vraie plaie! Si c'est ton choix... Reprend-il après une pause, sache que tu n'iras pas très loin avec un cheval pareil...

Lancement du plan regard du Chat Botté: 3,2,1... C'est partit!

- Je suppose que je ne te ferais pas changer d'avis, donc il est à toi, fais-en ce que tu veux.

Je souris à l'idée qu'Olivier soit d'accord pour que j'ai Azzaro. Ce problème là se règle donc finalement plus vite et mieux que je ne l'aurai senti, mais je commence à connaître les Franks, ils me cèdent tout!

- Merci! Je reviens donc à son casier, moisi, pourri, rongé par les bêtes, bref, dégoûtant. Et l'odeur, je ne vous parle pas de l'odeur... Erk!

Anne lâche un petit son exprimant le dégoût profond, mais me laisse continuer.

- Je l'ai lavé et nettoyé avec Lou, à la fin il était nickel! J'y ai mis mes nouvelles affaires, mais je ne sais pas trop quoi faire des anciennes...

Olivier regarde Anne, les yeux grand ouverts, il prend la parole auprès de moi:

- Ces affaires appartenaient à la fille qui nous a amené Azzaro, à l'âge de ses trois ans. Elle l'a monté et débourré, mais à ses quatre ans, un accident de voiture l'a emportée. Azzaro nous a alors été légué. Depuis deux ans, il est monté une fois par mois à peu près, histoire de le garder en forme pour qui veut, un cheval de six ans a toujours du bon devant lui! C'est une fille qui l'aime bien qui le monte, mais comme elle a ses affaires, jamais elle n'a ouvert son casier. Je lui dirai demain qu'elle n'a donc plus besoin de s'en occuper!

Mon sourire s'illumine rien qu'à l'idée de me dérouiller les boulons, et dérouiller aussi ceux d'Azzaro. Alors comme ça, lui et moi avions le même passé. Étonnant. Peut-être que je suis venue vers lui parce que nous étions seuls, tous les deux. Mais pourquoi je peux lui parler? Quel phénomène surnaturel a pu amené notre rencontre à ce résultat?

Je finis de manger en discutant de mon nouveau cheval avec Anne et Olivier, puis grimpe à l'étage prendre une douche. Adrien ne s'excuse pas, il me regarde aussi, me suit, puis me quitte dans le couloir comme si nous étions des robots individuels. Sous la douche, j'arrive enfin à me détendre totalement et je me surprends même à chantonner doucement une très vieille mélodie. Madame Russel m'a toujours dit que ça venait de mes parents, même si je n'ai aucun souvenir d'eux, et que rien ne me rattache à eux. Même sans connaître leur visage, je sais qu'ils me manquent beaucoup. Je me sèche, me prépare pour aller me coucher et reste sur mon téléphone un petit moment.

- Tu chantes bien.

Cette voix douce qui me faisait hier encore un peu de bien me met en colère aujourd'hui. Il continue:

Je... Je t'ai vue dans la carrière coacher Lou, tu étais totalement toi, dans ton élément, et je ne sais quel lien bizarre tu as avec Azzaro, mais j'en suis arrivé à conclusion que malgré tous tes efforts faits en arrivant, tu ne voudras pas repartir d'ici.

- Ferme-là.

- Oui c'est vrai, je suis parano. Il marque une pause et continue: Je m'excuse, j'ai réagi comme un gros con, j'ai regretté toute la journée, ça m'a même donné la nausée. Iris, je regrette. Pardon.

AzzaroWhere stories live. Discover now