c.62: Premiers podiums

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Nous sommes à présent dimanche, et cela fait presque sept jours que le drame est arrivé, je me sens de plus en plus coupable. Rien que de le croiser, le voir draguer les autres comme avant me fait grimacer et je ne peux m'empêcher de m'en vouloir. Tout le monde est au courant que nous avons cassé, et mystérieusement, beaucoup plus de cavalières sont présentes les soirs avec leur bonnet, quitte à faire prendre l'air gelé à leur beau fessier pour impressionner le garçon d'écurie. Je ne sais pas comment Franck vit ça, lui. Il doit avoir passé l'âge de ces conneries, mais ça doit finir par devenir insupportable de ne pas pouvoir parler à son collègue sans qu'une fille ne soit pendue à son bras. 

Le micro annonce mon nom, il sonne toujours aussi bien quand "Franks" n'est pas prononcé à la place de "Joy". Je lance Azzaro au galop sur la carrière, soutenue par Pauline, Boy, Lou et quelques autres amis qui déchaînent leurs cordes vocales pour me pousser à me concentrer. C'est vrai que j'ai toujours horriblement peur et j'ai d'ailleurs vomis de stress à l'idée de faire un simple concours de type national hier soir. Je m'inquiète constamment de savoir si les gens vont bien, si je suis bien comme il faut avec eux, si je ne fais pas mal à Azzaro. Autant carrément vous dire que ce n'est pas drôle de vivre en permanence sur la mort, la peur, le savoir de ce qu'est de souffrir de faim et de froid. Cette fois, nous sommes passés sur un mètre, et loin d'être ma préoccupation, la hauteur me semble bien plus basse que les côtes normales. Je réalise un tour parfait, manquant peut-être un peu de précision au tracé, mais j'ai à peu près su diriger Azzaro, malgré le fait qu'il m'a arrachée les doigts durant tout le parcours.

" Mais pourquoi tu ne m'as pas laissé plus de rênes aussi? "

" Parce qu'après tu te dégueules sur tes antérieurs, tu t'entraves et tu te casses la choucroute! Le jour où tu sauras te tenir en hauteur, peut-être que je te laisserais plus de rênes. "

" Heu... C'est à cause de ça que... ta jument? "

" Non, c'était quelque chose qui ne pouvait pas se rectifier. Alors rectifions ce qui est encore possible! "

" D'accord, je ferais plus attention la prochaine fois... "

" Tu n'as pas à t'en faire, c'est le genre de chose qui vient souvent avec l'âge. "

" En gros tu vas attendre que je sois vieux pour m'enlever ce foutu défaut? "

" Ouai. "

Je rigole, il a toujours trouvé un moyen de se plaindre de quelque chose en sortant de carrière. Je balayais normalement mon regard sur les têtes des gens qui regardaient le concours, alors que mon visage perd toute joie en croisant un visage que je connais. Le pourri de père d'Adrien était bel et bien là, souriant de voir "peut-être" sa future élève sortir aussi facilement d'un tour sur un mètre tout juste. Il ne se hâte pas pour autant de venir me voir, comme si il savait très bien que j'avais reçu assez d'informations après cet étrange regard. Il est resté debout sur la bute, le béret sur la tête, les mains dans les poches. J'ai cligné de yeux pour passer à autre chose, et Olivier me coursait avec le couvre reins pour ne pas laisser Azzaro prendre froid.

- Tu sais Iris, moi qui pensait que je n'allais sûrement jamais rien faire d'un petit cheval chiant comme celui là, je suis heureux de le voir entre tes mains.

C'est à la prononciation des quelques derniers mots d'Olivier que l'ancienne famille de l'étalon réapparaît dans ma tête, et puis la petite rousse qui caresse sa cicatrice... Ils étaient d'une fierté incroyable. C'est vrai qu'ils ont été forts de ne pas lâcher une seule larme devant l'être qui était le plus cher de leur fille aimée.

- Bravo pour ton tour en tout cas! Bon, il faut encore que tu lui fasses comprendre que c'est toi qui dirige et pas lui, et quelques autres bricoles que je t'expliquerai en camion. Restes quand-même à cheval, la remise des prix est dans une dizaine de minutes, tu es première au classement provisoire. 

Je me charge uniquement de hocher la tête et décide de faire un peu le tour de la propriété. J'étais déjà venue là avec Scoub, je me souviens que nous avions pris la quatrième place du podium lors de l'Amateur 1, quelle joie d'être dessus! Olivier me rejoint environs cinq minutes plus tard avec un petit morceau de papier à la main.

- Félicitations! Tu as ta première demande de saillie! Tu ne devineras jamais de qui elle est.

- Philipe Martini?

- Oui, comment le sais-tu?

- Je ne sais pas, une intuition. Je n'y connais rien en saillie moi!

- On s'en fiche, ça rapporte de l'argent, du palmarès et de la réputation!

Blasée qu'il parle d'argent, je me renfrogne un peu:

- Mais tu n'en as pas marre de vouloir encore et encore de l'argent?

- Parce que tu crois que diriger un club de notre réputation est "gratis"? L'argent serait pour toi, après tout, c'est ton cheval.

- Et qu'est-ce que j'en ferais, de cet argent?

C'est sorti de ma bouche comme la plus grosse des évidences. Je ne vois pas où est l'importance d'être riche. Qu'est-ce qu'une gosse de seize ans comme peut avoir quelque chose à faire de cinq milles euros ou plus? A part une dépensière extrême, je ne vois franchement pas. Son visage est d'ailleurs figé, comme s'il s'était pris une claque. Visiblement, il ne sait pas quoi répondre. Après une longue pause, il répond tout de même, décontenancé.

- Cela te rapporterait de la réputation. Et puis mon centre équestre pourrait être encore plus reconnu!

- Oui oui, ça je veux bien, mais je ne vois pas pourquoi on le ferais payer cher! 

- Mais nous ne sommes pas obligés. Aller, tiens-toi prête, ça va commencer.

La conversation se clos ainsi et le micro appelle les candidats concernés. Je suis en deuxième place, derrière une jeune fille avec un mini paint horse, à vue d'œil très vif.

Je vaque avec mes amies tout le reste de la journée, alternant chacune notre tour une épreuve lorsque le temps est venu. A dix-sept heures, nous nous quittons tous et chacun revient dans son centre équestre respectif. Sur le trajet du retour, Olivier me donne un tas de conseils pour m'améliorer et je les écoute en veillant à les appliquer plus tard.

J'ai vu ce soir qu'au lieu de traîner et rigoler avec moi, Lou est restée auprès de Savane. Elle semblait tracassée, mais je sais qu'elle m'en parlera. Elle devait juste s'inquiéter par rapport à la semaine dernière, de mon avis. J'ai alors beaucoup traîné avec Boy après m'être assurée que tout allait bien du côté des chevaux. Quand elle est passée me dire au revoir vers le manège, elle m'a soufflé quelques mots explicatifs à l'oreille.

- J'ai réalisé que je ne m'occupait pas assez de Savane, c'est tout. Et puis, la semaine dernière: ça m'a fait un peu trop réagir...

J'ai hoché la tête et elle est s'est éclipsée avec un petit sourire en coin de lèvres, ce genre d'action fait souvent très plaisir!

Ah, j'ai oublié de vous dire que j'ai racheté hier un nouveau téléphone, du coup j'ai passé la soirée à l'explorer. C'est vraiment génial, tous ces progrès informatiques.

AzzaroWaar verhalen tot leven komen. Ontdek het nu