c.22: Sauvage, ce cheval

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- C'est ce qu'on verra.

La fille trop sûre d'elle, fascias que j'applique par cœur, telle une poésie récitée devant sa classe. Et sur l'imitation d'un quelconque vampire, ma cape vole et se rabat en un demi-tour parfait, conversation finie. Azzaro était en train de trotter en s'amusant avec un autre cheval contre la clôture de la carrière, c'était la première fois que je le voyais aussi joueur! Derrière toute personne se cache une folie qu'on ne connaît souvent qu'après la rencontre de cette personne. Lui, derrière le manque d'affection et la solitude, se réjouit dans la bêtise et ses compagnons. Heureux, il est tout simplement heureux avec eux. Et mes yeux savourent ses sauvageries enfantines d'un poulain mutilé, au passé douloureux. Pourquoi personne n'avait remarqué sa splendeur, son charisme et sa volonté de réussir avant moi? Il a quand-même un format d'ensemble impressionnant. Certes, il est bien trop puissant pour les débutants, mais un bon galop six s'éclaterait dessus! Songeuse, un rire rauque s'échappe de mes lèvres lorsqu'Azzaro échoue sa cabriole, roulé dans le sable. Trop tard, maintenant il est à moi, rien qu'à moi, et je compte bien l'emmener au sommet. Possessive? Un peu, ouai. Je ne compte pas le temps qu'il nous faudra ni comment on y arrivera, mais on ira. On galopera en l'honneur de Scoub et de sa cavalière, mortes elles deux dans un accident, pour leur montrer que nous sommes vivants, et que la vie ne s'arrête pas après la mort.

Sur cette belle pensée, sentant toujours la présence d'Adrien, j'appelle Azzaro. Au son de ma voix, il pile net et tourne la tête dans ma direction, adorable! Je fonds sous son charme. Il prend de l'élan et s'élance plein galop dans ma direction, la vue de la barrière qui me sépare de lui devrais le freiner, vu qu'il continue sa folie. Il stoppe tout mouvement à trois petits mètres de la barrière et continue son chemin vers moi au pas. Caractère d'étalon? Aucun doute dessus! C'est amusant de le voir faire, je l'aurai bien laissé jouer encore, mais la corne retenti. Je tends la main pour l'attraper mais il recule de quelques centimètres. Un sourcil se lève, à quoi joue-t-il? Je passe sous les grosses barres de bois et cherche à l'attraper, mais Azzaro n'a pas l'air de vouloir. Oubliant alors tout ce qu'il se passe, nous nous engageons dans une course poursuite folle sans queue ni tête. Il trébuche dans son virage serré mal négocié. Je retiens mon souffle, il tombe et passe de l'autre côté, se relève tout à coup. J'ai peur, vraiment très peur, je crie.

- Azzaro!!! Ça va pas la tête!

Il hennit de plus belle et repart au galop en pétaradant, comme si il faisait naturellement des cabrioles de ce type tous les jours. L'avantage, c'est qu'il ne boite pas, alors je rigole, en pensant à lui, comme un gamin dans le sable. Mon regard croise celui d'Adrien durant une demi seconde, je doute même qu'il s'en soit rendu compte, mais m'arrêter dessus, hors de question. Azzaro me fonce dessus, au grand galop.

- Azzaro!!!

Il se rapproche sans même écouter ce que je lui dis, voire cris. D'un seul coup, il dévie à droite en déparant comme un taré qui court partout. Le jet de sable blanc immaculé pouvait arriver partout, mais non, il a fallu que tout atterrisse sur moi, j'en ai de la tête aux pieds! J'explose de rire en me secouant dans tous les sens, comme si j'avais pris le jus électrique. Un deuxième coup de corne sonne. Qu'est-ce qu'il peut bien nous arriver si jamais on ne vient pas au compte de trois?

- Ok, t'a gagné! Vingt minutes de plus!

Je lève lève les mains en signe d'abandon. Naseaux dilatés, œil grand ouvert, oreilles à l'affût et ronflement de respiration, il détourne vivement la tête et repart, laissant le sable jaillir derrière lui. J'irais le chercher après avoir mangé. J'ai trop hâte de retrouver Boy, mon nouveau frère! Cette simple pensée me met l'eau à la bouche. Seule, mes pieds trimbalent dans les écuries, à le recherche d'un caillou dans lequel taper. Adrien a du partir après le premier appel. Un hennissement retenti. Ma tête fait demi tour en dégageant mon bref chignon qui pendouille, les bruits de sabots de rapprochent, j'ai à peine le temps de le voir décoller au dessus de la barrière encore visible d'où je suis qu'il est à côté de moi. Il sauté la barrière? Attend, attend. What? Il se colle a moi, le corps moite de sueur. Je rigole en le caressant doucement, mon petit cheval adoré. La paume de ma main est trempée, je le sens comme une évidence pure, bingo! J'avais raison. Un cheval moite et une fille pleine de sable, mais à quoi nous ressemblons dans cet état? Un couple heureux, sûrement. Une fois dans son box, je me frotte les mains en me satisfaisant de mon travail avec lui, mais c'est bien grossier de dire cela. J'en suis consciente. Jusqu'ici, je ne suis encore jamais rentrée dans la carrière sur son dos, pour éviter la peur, celle qui prend tout l'esprit, à la simple vue d'un obstacle à l'intérieur. La porte du box refermée, je repars donc pour le manoir, seule. Je ne sais pas quelle habitude idiote m'a prise, mais je crois que je me mets à courir presque automatiquement, en riant seule, heureuse. Habitude bizarre, couple bizarre, ça en fait, des choses loufoques, chez moi. Je me lave les mains rapidos et fait mon apparition dans la salle à manger. Tout le monde discutait en m'attendant. On se met à table, et malgré la présence de Boy, personne ne parle, je décide donc de prendre la parole.

- Donc, tu vois Boy, ici les repas se présentent comme ça, ennuyeux, longs, et muets, c'est particulièrement... insupportable.

Avec l'intime intention de faire appel à la réaction des adultes, j'ai osé. Elle a au moins la valeur d'afficher en gros ma vue de la chose. Je m'en félicite d'autant plus quand je vois leur deux yeux s'agrandir, de réalisation ou de colère, je m'en fiche bien royalement.

- Sérieusement? Je veux dire, tu trouves les repas ennuyeux?

Olivier ne réalise pas trop et me demande même de m'expliquer, histoire d'arriver à comprendre ma phrase, et dans quelle intention. Provocante ou explicative? A moi de voir dans quelle crasse je mets les pieds.

- Un repas est un moment de partage, d'échanges, on raconte que l'on a vécu, on ne se renferme pas en mâchant sa super viande. Et même si elle est froide derrière, on en a rien à faire parce qu'échanger avec ses conjoints c'est la base d'une famille riche, et je ne parle pas de fric.

- Carrément.

Petit mot communicatif et approuvant sortit de deux bouches différentes, en même temps. Adrien et Boy approuvent. Sur cela, je commence à justifier mon retard, Boy nous raconte son ancienne vie. Adrien explique à Olivier comment on répare simplement le tiroir de sa commode, et tout le monde discute. Moi, je découvre Anne parlant de son enfance, nous expliquant la raison de leur vie ici et tout se passe comme dans une famille normale. A la fin, l'affection pour tout le monde a sûrement changée, tout s'est super bien passé. Logiquement, le repas a duré bien plus longtemps, et le couple s'affole en voyant l'heure, les habitudes silencieuses en ennuyeuses ont changées! En souriant toute seule dans ma douche, j'y repense. J'ai fini par laisser Azzaro au pré. Anne a remit une carte de crédit à Boy, il en était tout content, mais quelques minutes après, il m'a confié qu'il ne savait pas quoi en faire, ni quoi acheter. Morte de rire... S'il savait ce que moi, j'en ai fait! Je sors en chantonnant, comme à mon habitude, je m'habille et traverse le couloir pour rentrer dans chambre. Boy, assis sur mon lit, regarde la décoration.

- Qu'est-ce que tu fais là?

- Je m'ennuie.

Il ajoute cette dernière phrase comme si il me suppliait de pouvoir rester, ma chambre attire les garçons ou bien? Entre Adrien et Boy, bientôt Olivier!

Longtemps, nous entretenons une discussion, pour tout découvrir de nous. Quand Boy m'annonce qu'il est crevé, il est vingt trois heures. Il m'a avoué que son rêve à lui, c'était de devenir dresseur de chiens, et de faire des spectacles avec eux. Et en tant que grands rêveurs que nous nous sommes révélés, nous avons conclu qu'il irait demandé à Anne et Olivier demain matin si on pourrait avoir un chien, et moi aussi, un chien ou un chat, ou un lapin, je ne sais pas! J'aime tous les animaux. Sauf les bulldogs, c'est moche.

Je me réveille sous le doux soleil qui traverse mes rideaux, je ne ferme jamais les volets, je n'aime plus le noir. Je me lave les dents, m'habille et descends manger, Adrien me rejoint peu après, pile quand j'ai fini.

- Reste, s'il te plait? Je ne veux pas manger tout seul!

Il fait sa tête de chien battu, impossible de résister. Pendant qu'il mange, je suis assise en face de lui, il me fait les yeux doux, pour rigoler.

- Ça marche pas, ça! Je finis par déclarer en riant, tout en continuant de le regarder mâcher sa tartine de confiture. 

Pourvu qu'il se dépêche. Regarder Adrien manger, une passion loin d'habiter mon esprit. Au bout d'un certain moment, il finit sa bouchée et me dit:

- Mon père, il va passer te voir, mmm, pas aujourd'hui, il ne m'a pas dit quand. Je ne suis pas censé te le dire, mais je sais qu'après tu vas encore me faire la gueule si je ne te le dis pas, alors comme ça t'es au courant! Il veut voir Azzaro. Ma tête se fige, mon corps ne peut plus bouger.

-Mais... J'ai dit que c'était à condition que ce soit avec Azzaro, c'était une manière de refuser! Tu sais aussi bien que moi que je suis absolument incapable de sauter une pauvre barre, même au sol.

- Merde.

Il croque dans sa tartine, comme pour compléter sa grossièreté. Je lève les sourcils en soufflant, comme pour approuver ce mot. Boy fait soudain son apparition dans la salle à manger, les cheveux en bataille.

- Tu as juste l'air d'avoir bien dormi!

Adrien se moque en le regardant, de la tête aux pieds. Il nous dit bonjour et disparaît comme un zombie en remontant en haut. Super bizarre, mais plus drôle qu'autre chose. 

AzzaroWhere stories live. Discover now