c.34: Un saut de deux mois

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Deux mois sont passés, et Anne m'oblige à prendre des cours particuliers... Même si mon professeur me complimente beaucoup, je ne suis pas aussi certaine que lui sur mon niveau scolaire.

Bien sûr, Azzaro a fait d'énormes progrès, jamais je n'avais vu un cheval avec autant de capacités se développer ainsi! Nous avions passé de longues heures à se parler en travail à pied, mais depuis deux mois, je ne suis pas rentrée dans une carrière composée d'obstacles, terrorisée. Je m'étais bien dit qu'avec le temps et la passion dans les veines la peur arrêterai de m'envahir, mais cette putain d'image d'hésitation sur cette monture alezane et la chute, et la suite... Je casse, je ne peux pas. Un tas de fois, le matin très tôt ou le soir quand personne n'était là, j'ai tenté d'entrer dans la carrière, la tête froide. Il était évident qu'Azzaro avait prit beaucoup de musculature, son poil était lisse, non coupé de blessures, propre, il ressemblait désormais à quelque chose de réellement présentable et je pouvais me permettre d'aller en carrière. La mise en place venait difficilement sur la main droite au galop, mais pas à pas nous y venons. Je pourrais facilement en faire un cheval de dressage, pfff, quelle pensée idiote Iris, faire tes retours en dressage! Toi qui déteste ça! Mais bien-sûr. Cela m'arrangeait bien les choses d'être capable d'y penser et de l'envisager, sachant combien mon amour parfait pour Azzaro opposait complètement celui pour le dressage. Cette discipline est... ennuyante. Je ne trouve pas cela bien esthétique d'apprendre à son cheval à l'obéir au doigt et l'œil, sans même avoir le droit d'exprimer quelconque sentiment. J'apprécie tout de même regarder les grandes montures s'envoler au passage ou au piaffer sur les carrières olympiques à la télé, mais j'en restais là.

Adrien et moi, ça avance peu à peu, enfin, je ne sais pas trop quoi ressentir là dessus. Il parle de moins en moins de filles, part de moins en moins souvent du manoir. Tyler est désormais son meilleur ami, bien qu'ayant deux ans de différence. Quand à lui, d'ailleurs, il avait bien évidement fini par savoir que nous n'étions pas en couple, quand Adrien lui a avoué, alors qu'il trouvait notre couple bizarre. En revanche, Lou et lui étaient éperdument amoureux, j'avais le droit aux émerveillements de ma meilleure amie durant toutes les balades, si bien que j'en avais réduit le rythme de balade par semaine, ayant assez de l'entendre chanter. De temps en temps le soir, pour se quitter, Adrien me faisait un gros câlin, ou m'embrassait parfois. J'avoue que quelques fois j'aurais aimé que ce baiser dure plus longtemps, car c'était un réel plaisir à force. Les engueulades ont diminuées, mais je ne résiste pas longtemps face à son caractère de merde, qui reflète également le mien.

Scoub, ma petite Scoub d'amour, a quatre mois déjà et son corps a bien grossit, elle s'était un peu apaisée. Je l'ai sur mes talons toute la journée du matin jusqu'au lendemain. Pour le lit, à force de me saouler, j'ai carrément céder, et cela me laisse une meilleure excuse pour ne pas avoir Adrien lors de ses minables prétendus cauchemars. Je ne pouvais pas aller quelque part sans elle, elle m'est totalement indispensable. Ce qui était le plus mignon, c'était quand elle se couchait au bord de la carrière d'herbe, toujours inconnue de mes amis. Niveau secret, j'étais bien placée pour les garder. C'est surtout mon énorme courage, que je dois cela! Enfin bon, je n'ai rien dit, et j'ai fait. Bien-sûr que Lou avait fini par se poser des questions, mais je ne lui avait pas révélé l'endroit, en la suppliant au passage de ne jamais me suivre, auquel cas je me sentirais très mal, même de sa part. Elle y avait donc cédé. Incroyable, mais vrai!

Ce qui a également cessé, ce sont mes saignements de nez. Un soir, Adrien m'a surprise en train de me précipiter comme chaque soir dans la salle de bain, il m'a emmenée illico à l'hôpital. J'y suis restée toute la nuit, aux côtés d'Adrien. J'avais donc avoué le cinéma qui durait depuis deux semaines. Le docteur m'a dit que je devait me détendre, que je vivais sur mes nerfs et chaque soir, lorsque le gros stress de la journée redescendait, l'apnée de mon corps se lâchait. Je ne cache pas que les trois quarts du stress était dus à la présence d'Adrien... J'ai pris des médicaments tranquillisants pendant ces deux mois, je n'ai d'ailleurs pas fini le traitement.

Quoi qu'il en soit, Boy a récupéré un deuxième chien et me montre toutes les semaines un petit spectacle qu'il réalise avec Jackpot ou Twin. 

" Coucou Iris, tu vas bien? "

Une belle tête noire sort du box deux secondes chrono après le claquement de langue, préposé du nom d'Azzaro.

- Salut loulou. Super!

Je m'arrange toujours pour lui parler à voix haute sans pour autant paraître bizarre, bien que cela rendait nos discutions bizarres. Ceci était loin d'être la chose qui nous préoccupait le plus, Olivier débarque et appelle son cheval, voisin du mien.

- Salut Iris? Comment tu vas ce matin? Tu ne veux toujours pas monter en carrière?

J'ai sans doute oublié de le préciser, mais dorénavant, Olivier m'encourage, et me pose par ailleurs cette question tous les matins... Mais aujourd'hui, j'en ai marre de secouer négativement la tête ou de répondre non, dorénavant, j'en ai assez de me cacher, j'en ai marre de devoir tout garder secret, j'aimerais montrer à Lou que je peux y arriver, réellement.

Je crois que je ne compte même plus combien de fois nous sommes revenues sur le sujet, combien de fois je suis passée sous les séances thérapeutiques de Mademoiselle Lou Tournelle. Une seule fois seulement, j'avais pu lui dire qu'elle ne pouvait pas se mettre à ma place, que quand c'est ton cheval de ton enfance qui meurt pour toi, la culpabilité en fait ronger les ongles jusqu'au sang, que tu n'en dors plus toute la nuit, que tu dois boire souvent tellement tu pleures. Mais elle n'en a absolument pas tenu compte, elle m'a crié dessus, elle m'a ordonné d'enfouir ses foutus remords derrière le bonheur. Je n'y arrive malheureusement pas, seulement quand Azzaro est là. Scoub me manque énormément, et même si je n'en parle jamais, pas même à moi-même. Non, ce n'est pas un petit manque, c'est celui qui me tient le ventre du matin jusqu'au soir, qui fait remonter les souvenirs chaque pas de plus que je fais chaque jour dans ces écuries. Oui elle me manque éperdument, et je m'en veux, putain ce que je m'en veux. Chaque matin, huit heures et demie pétantes, je donne la ration de grains au chevaux, je commence toujours par une ponette alezane, elle ressemble beaucoup à Scoub, c'est peut-être pour ça, que je commence par elle. Elle s'appelle Pétula.

- Tu comptes me répondre ou jamais?

La voix d'Olivier me ramène à la réalité, et je sourie.

- Salut, oui je vais bien, et oui je comptes aller dans cette carrière aujourd'hui.

Notez la détermination. Si je ne le faisais pas pour moi, je le faisais pour Azzaro, qui a besoin de travailler avec un bon sol. Je m'arrête à cette définition là, sinon je rebrousse chemin dans ma tête, et j'en ai plus que marre!

Je vois le visage d'Olivier changer d'expression, ses yeux s'agrandissent, ses traits qui commencent à se tirer disparaissent pour laisser apparaître un grand sourire. Cet homme était beau, plein de gentillesse. Je n'arrive pas à le prendre pour mon père, c'est fou. Autant Anne, je m'y fais bien, mais lui, je n'y arrive pas. Il est comme mon ami, pas mon père. Je récite les premiers mots que j'ai pensés à son sujet, pour faire revenir un peu mes pauvres souvenirs de gosse capricieuse:

- Olivier et Anne Franks t'adoptent, ma chérie! Cela fait un an et demi qu'ils ont entamé une procédure auprès de nous pour toi. Ne sachant pas si cela allait aboutir, je ne t'en avais pas parlé. Tu vas enfin pouvoir vivre une vraie vie, comme tu en rêves. Je t'ai conseillée auprès d'eux car je vois bien qu'ici est un frein à ta passion, ajoute-t-elle, une sourire malicieux en coin.

Je reçois comme un énorme coup de poing au cœur, eux? J'attends ce moment depuis que j'ai 4 ans. Depuis que je suis haute comme le meuble, je prie pour avoir des nouveaux parents bienveillants. Je suis même allée jusqu'à devenir enfant de cœur à l'Église en priant tous les soirs pour que Dieu me donne des parents, mais eux... ils me laissaient douteuse. La femme n'inspire aucunement confiance, et en dévisageant monsieur à son tour, j'en déduis que lui non plus. Madame Russel m'oblige à leur faire la bise. Je m'y applique donc, à contre cœur. J'aurais préféré détaler en courant.

Oui, j'étais littéralement et parfaitement ridicule.

AzzaroWhere stories live. Discover now