c.35: Énième rechute

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- Parfait! S'exclame-t-il.

Je crois que j'ai parlé un peu trop vite, je n'ai plus tellement envie en fait... Mais non, je vais le faire. Je suis déterminée!

" Cool! Enfin! "

Azzaro hennit, heureux. Je lui aurais bien fermé le bec avec un "Ta gueule", mais je le connaissais bien assez pour envisager sa réponse: "J'ai pas une gueule j'ai une bouche! ". Bref, je vais rester sur une humeur positive. Une grosse bouffée d'air rempli mes poumons et je fais face au petit étalon. Aller Iris.

- Prêt?

" Et comment! "

Dans son excitation, Azzaro passait du côté gauche de la porte à la droite par un rapide échange de poids sur ses antérieurs. S'en devenait rapidement agaçant, mais je ne dis rien. La seule chose qui occupait plutôt mon esprit était la vilaine image de la carrière. Vingt petites minutes plus tard, je me présente devant le départ du sable, Olivier à ma droite, attendant que j'entre pour refermer la barrière derrière moi.

-Fiou.

Je regarde Olivier en faisant mine d'avoir un choix à faire et d'hésiter, comme si j'allais prendre le veston rose au lieu du bleu. Si je ne le fais pas, je ne pourrais pas avoir la fierté de l'avoir déjà fait, ou avoir la fierté dans les yeux de Lou, ou les bonnes articulations d'Azzaro. Il en avait besoin, pas d'autres choix. Oui, je me suis déjà demandée ce que je redeviendrais si jamais Azzaro se blessait, ou n'était plus là, s'il mourrait. Je ne pense peut-être pas à ce point, mais ça pourrait largement atteindre le sujet du suicide dans ma tête. Mais je vois bien les journaux raconter fièrement ma vie:

" Après de nombreuses années orpheline avec sa jument morte lors d'un concours, Iris Joy a repris l'équitation sur un petit étalon noir chez les Franks, ayant été adoptée là-bas. Ce dernier étant aussi mort, la jeune fille revient en carrière avec le cœur brisé mais forte sur son nouveau cheval... Peu de gens auraient la capacité de survivre aux émotions que la jeune adolescente de seize ans a vécu depuis son plus jeune âge. "

Je ne sais pas, comment tout cela se serait passé. Finalement, sans que je ne lui demande rien, c'est Azzaro qui prend la décision avant moi, alors que je tire sur les rênes, cet enfoiré désire délibérément me résister.

" Tu veux y aller dans cette foutu carrière ou merde!? "

C'était bizarre, c'était la toute première fois qu'Azzaro me criait dessus, par la pensée. C'est affreux, sensation à ne plus jamais ressentir. Je vous explique: une fois le son prononcé sur un ton colérique et fort, il résonne dans la tête s'agrandit en se propageant. C'est ce qui m'a valu de me prendre subitement le crâne entre les deux mains pour apaiser cette horreur.

" Azzaro arrête, je t'en supplie. On arrête tout, c'est du cinéma, ça ne sert à rien... On arrête tout. "

Je n'en peux plus, et sans cacher mes larmes qui dégoulinent clairement sur mes joues désormais rouges, je pleure.

" Eh bien descends si ça ne te va pas Iris, mai j'en ai marre, tu as vu comment j'ai progressé pour toi! Tu as vu ce que j'ai fais pour toi, parce que moi je ne vis que de toi... Toi tu ne vis pas uniquement de moi. Fais ton choix: si tu descends, je ne te laisse plus jamais me remonter et là, on arrête tout. Mais si tu ne descends pas, on continue à progresser, dans cette carrière. "

Je crois que tout le monde l'aura compris, je n'avais réellement plus le choix, pourtant j'ai fais le mauvais.

Je suis descendue, laissant Azzaro sur le cul. En pleurs, j'ai quitté ma bombe en la lançant contre le béton de l'écurie. J'ai quitté tous mes vêtements et comme la plus pure des connes, j'ai pris une douche. En pleurs.

Je me suis ensuite rongé les ongles jusqu'au sang, en regardant Olivier monter Azzaro et le travailler de ma fenêtre. Putain.

Quand j'eu fini de me faire pisser le sang, je me suis maquillée, comme avant. J'ai verrouillé ma chambre et j'ai passé le restant de ma journée seule, à regretter, réfléchir. Lou avait bien-sûr tenté de démolir la porte au bout de vingt minutes de supplies, puis avec Adrien, puis avait abandonné. Elle m'a parlé sans s'interrompre, du mur de la chambre d'Adrien, sur la vie pendant une longue heure, en vain. Pas une fois je n'ai ouvert la bouche de la journée pour parler. Elle m'a posé un tas de questions, au moins cinquante, j'y trouvais réponse, mais je le gardais pour moi. Elle a fini par partir. Après le repas auquel je n'avais pas participé, Adrien m'a doucement demandé de lui ouvrir, pour que je mange un minimum. Dix minutes qu'il avait fallu pour me décider, je ne savais plus où j'en étais, j'étais perdue, quelle conne. J'ai ouvert la pote sans pour autant montrer une seule partie de mon visage. Il a posé le repas et est parti. C'était affreux, la tonne de maquillage qui reposait sur mon visage. Bien qu'elle n'ai pas eu de mal à couler, j'avais l'impression d'être un pot de peinture, sentiment tout à fait normal. Je me trouvais tous les défauts que je puisse avoir, avant d'essayer d'énumérer mes qualités, vraiment peu nombreuses...

La seule consolation que j'avais eu de la journée était d'avoir Scoub sous la main, elle me tenait compagnie, essuyait mes larmes. Elle réchauffait mon petit cœur rien qu'en me montrant qu'elle, elle était là pour moi, qui que je soie, quelle conne je soie. 

Putain de merde, pourquoi j'étais descendue de cheval? Parce que j'en avais simplement eu marre de ce cinéma. J'ai mangé le petit repas qu'Adrien m'avait sentiment apporté sur un plateau, et était désormais sans doutes en train d'écouter mes affreux reniflements de l'autre côté du mur. En réalité, personne à part Azzaro et moi savait ce qu'il s'était passé, puisque je n'ai pas ouvert la bouche. Contrairement à ce que j'aurais pensé, cacher ce secret à Adrien n'est pas si dur que cela, il suffit de ne pas parler du sujet. Concrètement, vous expose mon plan, parce que je me suis ordonnée de tout raconter, dans les moindres détails:

Je vais tranquillement attendre que la maison s'endorme. Ensuite, avec Scoub j'irais aux écuries. Enfin précisément directement à la carrière, pensant bien à éviter l'étalon noir. Je rentrerai dans la carrière et à pied, je sauterai quelques barres, comme une conne. Mais je vais vous dire; au point où j'en suis, je ne suis plus à ça près.

Vingt trois heures: j'entends enfin de l'autre côté mon ami bailler et poser son téléphone sur sa table de chevet. Quand un mini ronflement se fait entendre deux minutes plus tard, je passe à l'action,  réveillant d'abord Scoub.

J'ouvre ma porte discrètement et descends les escaliers du plus lentement possible, en portant Scoub, pour ne pas faire entendre ses griffes sur le vieux parquet. Sans faire de bruit, je déverrouille la porte arrière de la salle à manger et m'évade discrètement, il ne fait pas si chaud que ça! Ça y est, nous atteignons la carrière. Il faudrait la contourner pour atteindre l'ouverture, mais je n'en ai pas le courage, et puis cette partie là-bas est visible de ma fenêtre, donc de celle des autres.

AzzaroWhere stories live. Discover now