Azzaro

c.41: Pour ou contre?

La semaine s'est écoulée lentement, très lentement. Tout cela était à cause de ma détermination. Je savais bien que le chemin jusqu'aux championnats allait être long et périlleux.

"Il suffit de ressauter une fois et puis la roue retourne!"

Et bien figurez-vous que non, j'ai beau savoir sauter, pas Azzaro. Le chemin du dressage est déjà en partie accompli, il connaît presque toutes les bases et la mise en place s'améliore, il ne manque plus qu'il sache le faire au galop, et quelques petites imperfections. Il en faut de la patience, parce que oui, chaque cheval est différent, chaque cheval apprend à son rythme, chaque cheval a son âge.

Bref, basée sur mes principes, je ne remonterai sur aucun autre cheval qu'Azzaro. Je prends le risque avec un seul cheval, pour limiter les dégâts, juste au cas où... Bien des fois dans cette longue semaine, Olivier, Anne, Lou et Adrien m'ont tannée pour que je monte soit Savane soit Ouragan, le cheval d'Olivier. Cela ne m'avait pas empêchée de le regarder monter. Il était une grande personne, cet Olivier. J'ai négocié avec lui pour augmenter le salaire de Sylvie Dollet, et il avait accepté de l'augmenter, de quatre mille euros! Il faut dire que ce n'est pas une énorme somme pour lui. Elle m'avait ensuite appelée pour savoir d'où cette blague venait, je ne lui ai pas dit que c'était de ma part.

- Loulou? Comment tu vas ce matin? Oh mais, pff... Je m'en fiches; tu te brosses tout seul!

Oui, Azzaro me regarde à travers les barrières de son paddock, les oreilles en avant, muni d'une épaisse couche de terre sèche et poussiéreuse.

" Tu sais bien que je ne peux pas, je n'avais pas prévu que tu viennes si tôt! J'en aurai profité pour me rouler dans le box pour tout enlever. "

Quelle nouille celui là alors. Je croise mes bras sur ma poitrine et déhanche un petit coup pour laisser mon poids uniquement sur ma jambe gauche. J'examine minutieusement une à une les taches le recouvrant, désespérant un peu plus à chaque fois que j'en découvrais une nouvelle.

- Mais bien sûr, laisse-moi rire, t'es vraiment une teigne hein.

" Toi tu aimes Adrien, moi j'aime la boue, c'est pareil!"

J'explose de rire. Azzaro a un humour bizarre, l'humour équin sûrement, ses blagues ne ressemblent même pas aux plus nulles des blagues que l'humain aurait pu sortir un jour. Mes yeux tournent sur Savane, son copain de paddock. Contrairement à son voisin, Savane était d'un alezan splendide et brillant, sans aucune marque de poussière. Il porte sa tête plus haute que mon petit étalon et garde fière allure.

Un gros truc gluant me touche la joue brusquement, et je me retourne pour voir qui c'est. Lou m'apparaît en très, très gros plan. Ses deux yeux m'apparaissent un seul œil et je m'écarte vivement à cette vision, beurk!

- Ce que tu peux être débile toi...

Je m'exprime tout en me hâtant de lui faire la bise. Je ne le remarque pas tout de suite mais il me faut à peine cinq secondes pour comprendre que quelque chose change de son quotidien, quand je vois le rosé habituel de ses joues virer au rouge. J'aurais pu essayer de la comparer à une cocotte minute, mais personne n'aurait fait la différence. C'est alors qu'elle fini par sortir un petit cri aigu quand elle ouvre la bouche. Cette fille aura un jour le pouvoir de me rendre totalement sourde. Je plisse les yeux, essayant de deviner. Si c'était sujet "Tyler" elle se serait jetée dans mes bras, donc ce n'est pas ça. Si c'était triste elle ne ferait pas cette tête, si ça concernait les chevaux, elle aurait fait un bisou premièrement à son cheval plutôt qu'à moi. Il faut croire que je commence à bien à la connaître, ma copine. Au fur et à mesure des secondes d'incompréhension elle se met à sautiller sur place en continuant son cri aigu et me secoue brutalement les épaules.

- Quoi? On dirait une tarée, parle!

Ce n'est pas parce que je ne devine pas que je m'énerve, mais simplement parce qu'habituellement elle l'aurait dit avant même d'être a deux mètres de moi.

- Chérie, il va nous falloir se refaire une beauté, et sérieusement, m'annonce-t-elle en titillant ses longs cheveux bouclés à la chaleur certaine d'un fer.

Je ne comprends toujours pas, on allait rencontrer une personne sans doutes? De si grande importance pour qu'on aille faire les boutiques d'après Lou, je ne pense pas. Bien qu'elle ne déteste pas le shopping, elle et moi étions bien contraires à beaucoup de filles de seize ans.

- Et donc?

Malgré mon insistance à ce qu'elle crache le morceau, elle se contente de prendre un air de princesse, caressant distraitement ses boucles, le regard posé sur ses petits ongles naturels.

- Devine!

- Non, dis!

- Super... On est invitées à une grosse soirée chez ma copine!!!

Alors c'est juste pour ça qu'elle se met dans tous ses états? Mais connaissant un minimum le genre de fêtes que font les ados de seize: dix-sept ans, et encore plus de tous ceux qui sont scolarisés, je crains que Lou n'aie carrément accepté pour moi.

- Cool, t'a donné ta réponse?

Je priais pour qu'elle me réponde quelque chose du genre "Non, j'attendais ton avis!" mais ce n'est visiblement pas ce qu'elle avait envisagé de me dire.

- Oui, j'ai dit que je viendrais. Mais quand elle m'a dit que j'avais le droit d'inviter quelqu'un de mon choix, je n'ai pas hésité deux secondes, répliquant que je serais assurément accompagnée d'une copine.

L'avantage, c'est que j'ai le choix de l'accompagner ou non, même si je ne veux pas l'accompagner, je sais que je lui ferais vraiment plaisir. Je retourne mes pensées vers mon amie. Ses yeux se sont agrandis et un air de supplie a remplacé la cocotte minute. Oui ou non? J'ai le choix. D'un autre côté, qui va l'accompagner si ce n'est pas moi? Tyler? Ça m'étonnerait beaucoup.

- Alors, tu m'y accompagnes? Ça va être cool!

Et le manège recommence, j'ai en face de moi un pantin gigotant et se tortillant dans tous les sens. Oui, elle va finir par me déprimer, mais je suis loin d'en être là, alors je cède, me rappelant amèrement tout le scandale que ça a fait que la dernière fois que je n'est pas cédé à son caprice. Faire croire à Tyler que j'étais en couple avec Adrien, je me demande bien comment son cerveau résonne des fois. Cependant, gardant un visage totalement neutre, elle ne pouvait percevoir dans mon corps aucune réponse plus pesante l'une que l'autre. Alarme rouge déclenchée en moi, je me retrouve devant deux juges de moi, le pour et le contre, il y a une balance entre eux et des briques qui veulent signifier les arguments.

J'entame mon mini procès rapidement, afin de répondre à Lou le plus vite possible.

D'un côté, je ne veux pas, mais absolument pas que Lou se rende seule à cette soirée. Boum, une brique POUR.

D'un autre côté, je vais rentrée bourrée et tôt le matin, dégueulant encore et encore parce que ça annonce la première cuite. Boum, une brique CONTRE.

Mais Lou va finir dans un état pas possible, si elle ne tient pas l'alcool, qui va lui tenir ses beaux cheveux? POUR.

La soirée va sûrement tourner au vinaigre. CONTRE.

Elle va se plaindre pendant des jours et des jours si je ne viens pas. POUR.

Je vais lui fais grave plaisir si je viens. POUR.

Chérif Iris, je pense que vous avez assez débattu. Résultat final...