c.53: Les souvenirs remontent

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- C'est une fille qui s'appelle Claudine, elle me kiff depuis longtemps, depuis qu'elle a appris que j'avais déménagé là, elle se presse de venir à chaque concours. En plus, j'ai un pote qui lui a dit que j'étais célibataire, mais elle est complètement timbrée celle-là!! Elle me suit partout, je t'en supplie, fais comme si t'était ma meuf...

- T'es pas fou! Hors de question, j'ai mes problèmes, tu as les tiens.

Sur ce, je me dégage de sa main et pars naturellement. Claudine quoi, sérieusement, mais c'est quoi ce prénom? Je ne doute pas qu'elle soit affreuse ou encore petite avec les dents jaunes. Elle porterait dessus un appareil dentaire en métal, et elle postillonnerait, beurk! Je ris à cette pensée nulle et continue mon chemin. Je croise Adrien, qui boit un coup avec quelques amis. Il me salue quand je passe et je lui renvoie un maigre sourire, je ne veux pas le déranger. Pour une fois qu'il se repose!

Je sens mon téléphone vibrer dans ma poche, c'est Lou.

- Oui allô?

- Je t'attends vers Savane, grouille.

Je souffle dans mon téléphone, on aurai pu se rejoindre, mais non, mademoiselle a décidé de ne pas vouloir bouger. Je raccroche et change de direction. Moi qui m'apprêtais à aller voir le jury, car j'ai une amie qui y est, je me résume à la direction des écuries.

- Tu vois, là, il s'est ouvert. Tu crois que ça lui fait mal?

- T'es sérieuse? J'étais à l'autre bout du club, et tu me fais venir juste parce que Savane s'est un peu ouvert au dessus de l'œil?

- Ben oui!

- Mais non, ça ne lui fait pas mal, ça va cicatriser, et ça repoussera.

Elle souffle, quelle nouille celle-ci des fois. J'en profite pour passer voir Azzaro, vérifier qu'il ne manque de rien. Lou m'accompagne, les bruits des talonnettes de ses bottes claquent en même temps que les miennes. J'aime bien ce petit bruit respectif, même s'il est en train de se désordonner. J'aime aussi les bruits des fers qui rencontrent le sol à rythme battant. Ce petit truc qui montre que tu avances, que tout va bien, qui te rappelle ton paradis personnel. Ce paradis, c'est celui de tout cavalier. Je me souviens d'ailleurs que je m'amusais à marcher en même temps que les antérieurs de Scoub plus jeune. Je prenais souvent des photos de mon petit pied et de son sabot, je n'en ai jamais rien fait. Peut-être qu'un jour je devrais passer à mon ancien centre équestre. Leur montrer que j'ai relevé le défi que m'a donnée la vie.

Une brusque image me traverse la tête. Je suis sur Azzaro, dans la carrière en question. Je fais un concours dans mon ancien centre équestre. C'est bizarre, mais les obstacles sont disposés exactement au même endroit que la dernière fois, c'est-à-dire, CE jour. Je ne veux même pas penser au mot précis. Je suis en train de le diriger sur l'obstacle en question, l'image s'arrête là. J'aurais aimé connaître la suite de cette vision, dommage.

- Ouhou!

Je cligne des yeux, le visage de Lou réapparaît en gros plan, je m'en recule vivement. Je regarde en face de moi, nous sommes arrivées. Une grosse masse noire est au sol, sur la paille du box.

- Oh, il est trop chou! S'exclame Lou en portant ses mains sur son visage.

" Dis-lui d'arrêter, je suis simplement couché! "

Je ris     à la demande du cheval. Je suis peut-être de mauvaise foi, mais je ne dis rien.

- Tu ne le trouves pas trop chou toi?

Le visage de Lou s'est tourné vers moi, qui se contentait jusqu'ici de sourire en fixant œil dans l'œil Azzaro.

- Oh... Si! Il est trop trop mignon mon boubou d'amour!

Il ronfle et laisse son encolure s'allonger sur la paille, suivie de sa tête. Ce mouvement d'exaspération nous fait rire de plus belles. Je suppose qu'il se repose lui aussi, alors je décide le laisser tranquille.


                  Il est environ midi, les épreuves et le soleil sont montés. Nous nous apprêtons à aller manger quand le nom énoncé au haut parleur interpelle mon attention, je le connais, et par cœur.

- A présent voici Pauline Petit, qui nous présente Aquario des Haras Nationaux.

Le grand poney alezan aux allures d'étalon parfait fait ses premiers pas dans la carrière. Plus ils avancent, plus mes yeux deviennent grands. Lou se lève sans pertinence et me tire le bras, mais je reste plantée sur mon siège. Toutes les tribunes se mettent à l'encourager, beaucoup devraient se demander pourquoi un couple tel mérite avant son passage ce genre d'acclamation, mais pas les gens du coin. Elle est très connue, la raison s'explique par la taille des obstacles: c'est la Amateur 1. Pauline était mon amie, la meilleure de mes amies d'ailleurs. En un an, elle a beaucoup évolué, nous partions en concours ensemble. Ensemble, on se faisait la réputation de sortir de l'épreuve sur le podium, de redoutables adversaires. Je ne pourrais énumérer le nombre de compétions auxquelles elle a été sur les premières marches en ma compagnie. Quand une jument de nos deux couples ne s'est jamais relevée, j'ai coupé les ponts, et je sais que je lui ai fais très mal. Je ne l'ai plus suivie, pas même de loin. Son niveau est bien plus haut que la dernière fois que je l'ai vue. Elle venait d'ailleurs de sortir de la carrière que c'était à mon tour, pour mon dernier parcours, avec Scoub. Elle aurait aussi dû gagner cette épreuve, mais elle a été annulée, comme tout le concours. 

- Purée, mais tu vas être dans la lune toute la journée ou ça se passe comment?

Je sens la patience perdre Lou, et sans même quitter le couple de yeux, je sais qu'elle me tire plus fort et me lance des regards furieux. C'est alors que la colère prend place dans mon crâne, elle me fait réagir d'une manière qui n'est pas dans ma nature de faire. Je donne un violent coup pour dégager ma main de la sienne et m'en sers pour supporter ma mâchoire, du côté libre. Elle enchaîne les obstacles comme si ils mesuraient trente centimètres, elle est en au septième. Les postérieurs d'Aquario se posent sur le sol derrière la grosse combinaison qu'il vient de survoler sans toucher la barre, et repartent aussitôt. Je suis prise d'un vertige, une question se pose comme si j'étais obligée d'y faire face un jour.

Serais-je capable de contrôler mes émotions face à l'obstacle numéro cinq?

AzzaroWhere stories live. Discover now