Chapitre 1 : Les étiquettes

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  Je regardais de haut en bas la petite nouvelle qui venait de débarquer dans la salle des délégués. Elle était blonde, petite, plutôt bien foutue (faut le reconnaître), avec des yeux bleus translucides. Le genre de fille que les mecs ont envie de protéger, le genre de fille qui plaît en général à Nathaniel. Je frémissais.

-Bonjour, tu es la nouvelle ? s'informa ce dernier avec un sourire en coin.

Oh non, pas le sourire en coin ! Nath, tu vas quand même pas lui faire le coup du sourire en coin ?

-Oui, je m'appelle... commença-t-elle d'une voix douce et enfantine.
-Sue, finit-il en plongeant le nez dans son dossier. Sue Madison. Je m'appelle Nathaniel.
-Enchantée, lui dit-elle en rougissant.


Quelqu'un peut-il avoir l'obligeance de m'expliquer pourquoi est-ce qu'elle nous pique un fard ? Après tout, il lui a simplement dit son nom, je veux pas voir l'air jalouse ou je ne sais quoi, mais ce n'est rien. C'est pas comme s'il l'avait invité à déjeuner ou autre...

-Good morning les balais dans le cul ! nous gratifia Castiel en rentrant dans notre bureau.

Pour une fois, j'étais contente de le voir. Peut-être allait-il mettre fin à cette mascarade avec la nouvelle en racontant un truc embarrassant sur Nathaniel, après tout, il était doué pour ça. Il s'approcha nonchalamment du bureau où se trouvait face à face Sue et Nath avant de se pencher et d'attraper vivement une des affaires du délégué dans sa trousse.

-Encore un retard ? l'interrogea Nathaniel en se pinçant le nez d'un air agacé.

Qu'est-ce qu'il peut être mignon quand il fait ça ! C'était l'unique raison pour laquelle les visites de Castiel ne m'importunaient pas tant que ça, lui seul avait ce merveilleux don de l'énerver. Et je le trouvais vraiment sexy en colère. Nathaniel, pas Castiel. Castiel était juste... Castiel.

-Eh bien non Madame Irma, réfuta-t-il en jonglant avec son stylo fétiche. Viré de cours, figure-toi.
-Et pourquoi donc ? insista le blondinet.
-Et ça va hein, t'es pas le Commissaire Moulin que je sache...
-Bon, peu importe, s'agaça-t-il finalement en secouant sa main droite. Je m'occupe de toi dans deux secondes...
-Dis pas des trucs comme ça, je suis pas du même bord que toi je te signale, se moqua Castiel en s'asseyant sur sa chaise attitrée.
-Sue, reprit Nathaniel en se retournant vers la jolie blonde. Veux-tu que je te fasse faire un tour du lycée ?
-Ce serait avec joie ! s'enthousiasma la nouvelle en rougissant à nouveau.
-Je peux le faire moi ! intervins-je soudainement. Et tu t'occupes de... Hum... Castiel.
-Non, ça ira ! Je crois que même lui sera d'accord pour que ce soit toi qui t'occupes de son cas désespéré, écarta-t-il en jetant à peine un regard au concerné. Allez viens, Sue.


Je les regardais tous les deux quitter notre bureau, impuissante. Je lâchais un profond soupir.

-Eh bah, cache ta joie de partager ton temps avec moi ! fit remarquer Castiel en souriant.

Je levais les yeux au ciel. Il était plutôt exaspérant dans son genre.

-Je comprends vraiment pas ce que tu lui trouves, ajouta-t-il néanmoins très sérieusement.
-Je ne vois pas de quoi tu parles, me défendis-je en le regardant droit dans les yeux. Bon, je te le signe ton papier ?
-Pas la peine de s'énerver Miss Je-sais-tout ! assura-t-il en me tendant le mot du professeur qui venait de le renvoyer.


Sans prendre la peine d'essayer de découvrir ce qu'il avait pu encore inventer pour que le professeur le sorte de son cours, j'accolais mon nom en bas de la feuille et lui tendais froidement.

-Une heure de colle, samedi, annonçai-je d'un ton neutre en sachant pertinemment qu'il allait encore s'énerver (c'est toujours la même chose avec lui, un vieux disque rayé je vous assure).
-Mais sérieusement ?! s'emporta-t-il sans surprise. Vous avez rien d'autre à faire de votre vie tous les deux ?!


Il m'arracha la feuille des mains avant de tourner les talons et de quitter la pièce, me permettant de retrouver du silence et de la tranquillité. Enfin, pas tant que ça étant donné que je m'inquiétais fortement à cause de l'arrivée de la nouvelle.
C'est en maudissant ma malchance que je refermais à clé la porte de la salle des délégués et rejoignais mon prochain cours.

***

-Bordel ! Mais c'est quoi ce repas tout pété ? se plaignit Kim en posant brutalement son plateau à notre table. J'ai une tête à manger des carottes ?
-Il paraît que ça rend aimable, se moqua Rosalya en croquant dans son cordon bleu.


Kim lui balança son sachet de sel à la figure avant de s'asseoir négligemment sur sa chaise, le regard au loin.

-Alors Mél, comme ça il y a une nouvelle ? S'enthousiasma Rosalya. Elle est comment ?

Elle a une voix agaçante, des cheveux trop clairs, une légère tendance à draguer tout ce qui bouge et un je-ne-sais-quoi de très suffisant.

-Elle a l'air sympa, mentis-je en souriant.
-En langage de Mélodie, ça veut dire qu'elle ne lui plaît pas, expliqua Iris.
-Mais... N'importe quoi ! me défendis-je en levant les yeux au ciel.


Iris avait toujours été la seule personne (Matt, mon voisin insupportable mis à part), à voir à travers mes réactions, mes phrases, mes mimiques. Je n'avais pas à lui cacher quoi que ce soit, je n'avais pas à jouer mon rôle de Miss-Parfaite, parce qu'elle me comprenait. C'était toujours reposant et rassurant de savoir que quelqu'un vous acceptait telle que vous étiez.

-Mélooooodiiie... entendis-je soudainement derrière moi.

Oh non, pas elle ! Je ne connais que trop bien cette voix et cette intonation suppliante. Dites-moi, je vous en conjure, que ce n'est qu'une hallucination. J'accepte d'être Jeanne d'Arc tant qu'elle n'est pas vraiment là !

-J'ai besoin de toi ! insista Ambre en me forçant à me retourner.
-Pourquoi faire ? m'enquis-je en faisant l'idiote.
-Je n'ai pas pu aller au cours d'anglais hier soir, à cause de... Mon chat est tombé malade, et du coup j'ai besoin de toi pour l'expliquer à la directrice ! Elle ne me croit pas !
-Et tu ne peux pas demander à ton frère ?
-Non, pas vraiment. C'est à toi, que je le demande, persista-t-elle en faisant les gros yeux.


Oh non, la voilà qui recommence avec sa menace bidon du « si tu fais pas ce que je te dis, je mettrai des paillettes dans ton casier... ». J'avais honnêtement passé l'âge de ses idioties.

-Ok, ok, acceptai-je simplement en voulant retrouver un tant soit peu de calme.
-Super ! s'enthousiasma Ambre avant de rejoindre ses deux pots de glue (à savoir Charlotte et Li).
-Pourquoi tu la laisses te marcher sur les pieds comme ça Mél ? maugréa Kim en fronçant les sourcils.
-Je... Je lui rends juste service, voilà tout.
-A force de vouloir rendre service à tout le monde, tu vas finir nonne ma vieille, me fit signaler Rosalya.


Oh mon Dieu ! Et si c'était une prémonition ? Pitié, pas les nonnes, tout sauf les nonnes !
J'étais en train de me faire une rétrospective de ma vie, et de l'éventualité d'une carrière ecclésiastique, quand Lysandre vint me sortir de mes pensées.
Qu'est-ce qu'il me veut celui-là encore ?

-Mélodie, navré de te déranger, commença-t-il en percevant mon air agacé à peine dissimulé, mais ma mère souhaite te demander si cela te poserait un problème d'aller à sa place chercher quelques affaires pour le déménagement au magasin bazar ?

La famille de Lysandre (à savoir sa mère et son frère, Leigh) avait emménagé chez nous la semaine dernière, transformant notre petit coin de paradis, à la fois reposant, bien rangé et tranquille en capharnaüm ambulant. Les Malcolm n'avaient aucune notion d'organisation, chose qui tenait particulièrement à cœur à mon père. La cohabitation s'avérait compliquée.
Surtout que j'avais l'impression que leur mère, Miranda, me prenait pour le génie de la lampe. Elle ne cessait de me demander des services. Je savais pertinemment que ses fils étaient irresponsables et avaient tous les deux la mémoire d'un poisson rouge, mais ce n'était pas une raison pour me refiler toutes les corvées ! « Mélodie pourrais-tu faire la vaisselle ? » par-ci, « Mélodie, aurais-tu l'amabilité de ranger le salon ? » par-là. C'était épuisant à la longue. Et le pire, c'est que je n'osais rien dire. Mon père avait enfin retrouvé quelqu'un dans sa vie, après avoir passé dix ans à se morfondre du départ de ma mère, je ne pouvais pas interférer dans ce bonheur retrouvé.

-Pas de problème, assurai-je la mâchoire crispée.

Je m'étais promise de faire des efforts, d'être polie et d'être fidèle à la Mélodie que mon père connaissait et dont il avait tant besoin dans sa vie.

-Merci beaucoup ! me remercia-t-il. Ah ! Et j'ai encore perdu mon carnet ! Si tu le retrouves...
-Je te le rends, oui, oui, complétai-je en espérant finir au plus vite cette conversation.


Il m'offrit un sourire avant de rejoindre Castiel qui l'attendait de l'autre côté de la cafétéria, au niveau de la baie vitrée. C'était la table où déjeunait « les populaires ». J'avais toujours trouvé ça ridicule, mais institution archaïque oblige ! Lysandre rejoignit en deux enjambées leur table et s'installa aux côtés de son petit groupe, à savoir : Castiel, Kentin, Dake, Nora, Véra, Ambre, Li et Charlotte (Quoique les trois dernières s'étaient plutôt incrustées à leur table, je dirais).
Rosalya faisait autrefois partie de leur stupide groupe, mais faisant notre connaissance, elle avait virée de bord chez les « gens normaux ».

-Oh mon Dieu, qu'est-ce qu'il est sexy... Soupira Iris en prenant sa tête entre ses deux mains.

Ca, ma grande, c'est parce que tu n'as pas à le supporter au quotidien. J'aime bien Lysandre, mais il me tape souvent sur le système avec sa mémoire qui ne dépasse pas deux secondes sur le long terme, sa façon d'être toujours dans ses pensées et de ne jamais me laisser fouiner dans ses affaires !

-C'est de famille, ajouta Rosy qui sortait avec Leigh, mon autre nouveau demi-frère.
-Mélodie, je risque de venir squatter chez toi plus souvent ! affirma Iris d'un air rêveur.


C'est super sympa d'être encouragée et aimée par ses amies, ça fait chaud au cœur !

***

-Mélodie ? Quel bon vent t'amène ? S'enquit Rémi, le vendeur du bazar.

Rémi était un homme d'une quarantaine d'années, le crâne dégarni avec des cheveux grisonnants poussant encore sur les côtés de sa tête, toujours heureux et toujours prêt à aider. Je l'appréciais beaucoup et il avait pris l'habitude de me voir débarquer toutes les semaines. La directrice me demandait constamment d'aller acheter du matériel pour le lycée dans son magasin.

-Ma nouvelle belle-mère m'a demandé de lui acheter deux, trois trucs pour l'emménagement, lui expliquai-je en lui tendant ma liste de cours.
-Hum hum, je vois... marmonna-t-il en prenant connaissance du petit papier. Il faudra que tu repasses demain, j'irai les commander ce soir après la fermeture.
-D'accord, merci beaucoup Rémi, lui soufflai-je en lâchant un petit soupir.


Rémi posa alors ses yeux paternels et protecteurs sur moi. Il m'observa quelques instants avant de passer sa main dans sa barbe, signe qu'il était en train de réfléchir.

-J'en connais une qui n'a pas dû passer une bonne journée ! remarqua-t-il, inquiet. Encore le petit Nathaniel ?

J'avais parlé à Rémi de mon léger coup de cœur pour le délégué, jaugeant qu'un avis masculin sur la question ne me ferait pas de mal. Il faut avouer que ses conseils avaient parfois pu s'avérer précieux.

-Il y a une nouvelle et... Je suis sûre qu'elle ait à son goût, lui confessai-je.
-Ma petite Mélodie, je ne comprends pas pourquoi tu ne vas pas parler de tes sentiments à ce garçon !
-Parce que... Parce qu'il ne comprendrait pas, inventai-je à court d'argument. Il me verrait autrement, j'aurais trop peur de...
-Quand vas-tu cesser de laisser la peur guider tes actions ? me coupa-t-il en plantant sévèrement son regard dans le mien.
-Je ne sais pas, répondis-je honnêtement en baissant la tête.


J'avais honte d'être ainsi, je n'aimais pas l'idée que je me laissais guider par mes émotions, par mes peurs. Seulement, comment expliquer au monde entier qu'on était pas si parfaite et si sage que les autres le pensaient ? Que moi aussi j'avais parfois envie de tout envoyer bouler ?
C'était comme ces gens qui faisaient semblant d'être fort, de porter une carapace plus épaisse que du béton armé au regard de tous mais qui au final, s'avéraient être comme le commun des mortels, soumis à la pression des émotions et des rêves. Pouvant se briser à la moindre déception, pleurer face à l'échec et souffrir du renoncement. La vulnérabilité est un défaut fataliste de l'humanité.
C'était la peur qui guidait souvent certains de nos actes en public, et cette règle s'appliquait tout spécialement pour moi.

-Tu es une merveilleuse et jolie jeune fille, me complimenta-t-il, tu ne devrais pas avoir peur de décevoir les autres mais plutôt de décevoir toi-même. Je ne suis pas sûre que ce soit la vie que tu veuilles mener petite.

Rémi était toujours de bons conseils, parfois un peu trop bons d'ailleurs. Son avis me frappait toujours de plein fouet, comme une révélation. J'étais persuadée que le vendeur du bazar avait inspiré le personnage de Jiminy Criquet dans Pinocchio.
Je la saluais et le remerciais pour ses conseils avisés, avant de quitter l'enceinte de sa boutique toujours ébranlée par ses justes paroles.
Je faisais la route toujours perdue dans mes pensées. Rémi avait-il raison ? Me décevais-je réellement moi-même ? Je ne m'écoutais que très rarement, je n'avais pas beaucoup d'envies personnelles, alors comment comprendre ce que je désirais au plus profond de mon être ?
J'heurtais quelqu'un de plein fouet qui coupa court à toutes mes réflexions. Je manquais de tomber à la renverse mais l'inconnu me prit sauvagement entre ses bras et me secoua dans tous les sens.

-Mélodiiiiie !!! Tu m'as tellement manqué ! se mit à jacasser mon abominable voisin Matt.

Je connaissais cet énergumène depuis ma naissance, mon père était le meilleur ami du sien depuis toujours. Et pour mon plus grand malheur, il habitait la maison juste en face de la nôtre avec son fils Matt et sa fille Amélie. Matt avait toujours adoré me charrier et il faut avouer que dans le rôle de l'emmerdeur, il était plutôt doué. C'était un très grand garçon, un brun aux yeux bleus qui faisait craquer pas mal de filles du lycée. Il avait son petit fan club à lui tout seul. J'aurais aimé leur montrer une photo de lui bébé, tout gros et tout boudiné, pour qu'elles déchantent un petit peu de l'image de beau gosse qu'il s'était forgé.

-Tu m'étouffes Matt ! me plaignis-je en tentant de me libérer.
-Et moi j'étouffe d'amour pour toi ! Ô Mél de mon cœur ! Que ferais-je sans toi ? Commença-t-il en me serrant de plus bel. Mon cœur bat la chamade dès que je t'aperçois, ma poitrine se compresse, mes mains sont moites ! Quel sort m'as-tu donc jeté ?
-J'ai dû me tromper en préparant ma potion, désolée, c'était pas prévu au programme le breuvage de débitage de conneries, lui rétorquai-je.


Avec Matt, je n'hésitais pas à laisser tomber le masque de la fille gentille et sage. Je n'en avais pas la patience, il était trop insupportable et me connaissait trop bien pour cela de toute manière.

-Pourquoi faut-il toujours que tu sois si rabat-joie ? constata-t-il en s'écartant finalement pour me laisser respirer. Dis, tu faisais quoi au juste ? Tu rendais encore service à ta méchante belle-mère ?
-Arrête un peu, elle n'est pas « méchante », juste un peu autoritaire ! la défendis-je en fronçant les sourcils. T'as rien d'autre à foutre dis-moi ?
-Eh bien, puisque c'est demandé si gentiment, je me rendais justement chez toi ! m'expliqua-t-il un sourire aux lèvres. Lysandre nous a fait venir avec Castiel pour répéter un peu dans ton garage.
-Super ! fis-je semblant de m'enthousiasmer en levant les yeux au ciel.


Qu'est-ce que je vous disais ? Depuis que Lysandre a emménagé, le silence s'est fait la malle ! C'est mon père qui va être content... Le groupe de rock des garçons jouait, certes de la bonne musique, mais leur son raisonnait dans toute la maison, faisant vibrer tous les meubles du rez-de-chaussée au premier étage. Ca avait pour effet de rendre mon père fou de rage, il était un peu maniaque sur les bords et ne supportait pas le bazar que les Malcolm engendraient, malgré tout l'amour qu'il portait pour Miranda.
Matt m'accompagna jusqu'à ma maison, en me racontant en détail sa journée, comme il en avait l'habitude. Je ne l'écoutais que d'une oreille distraite, toujours perturbée par les propos de Rémi.
Je découvrais après avoir poussé la double porte en bois clair que, comme Matt l'avait prédit, Lysandre l'attendait dans le salon accompagné d'un Castiel avachi dans notre canapé.

-T'en as mis du temps ! se plaignit ce dernier en se relevant.
-J'accompagnais la princesse de mon cœur jusqu'à chez elle ! lui dit-il avec simplicité en haussant les épaules.
-Tu vas la fermer oui ? m'emportai-je en le poussant.


Lysandre et Castiel me firent alors les yeux ronds, comme si un alien s'était soudainement emparé de ma personne. Ou que je m'étais transformée en Monsieur Faraize, ce qui aurait été presque tout aussi horrible.

-Mélodie, je crois que je ne t'avais jamais entendu prononcer un quelconque mot grossier ! me fit remarquer Lysandre encore sous le choc.
-T'es sérieux ? s'étonna Matt. Si tu dois vivre avec elle, va falloir t'y habituer ! Elle est hyper vulgaire.
-Tu dis n'importe quoi, me défendis-je en baissant le yeux sur mes ballerines blanches.
-Et c'est une vraie petite cochonne, trouva-t-il bon d'ajouter en affichant un sourire moqueur sur son petit visage d'ange insupportable. Prends un bain avec elle et tu comprendras !
-MATT !!! hurlai-je en le frappant de nouveau.
-Oh ! Calme-toi mamour, c'est juste pour rigoler ! affirma-t-il en riant d'autant plus fort.


Lysandre avait viré au rouge et Castiel nous observait avec une expression indéchiffrable.

-Je... Je vais monter moi, annonçai-je toujours aussi gênée.
-Je t'accompagne ? proposa Matt toujours goguenard.
-Non, merci, ça ira ! Je crois être encore en capacité de retrouver ma chambre, affirmai-je.


Je poussais la porte de ma chambre, soulagée de me retrouver enfin seule après cette journée éreintante. Je ne pus m'empêcher de ressentir une pointe d'agacement en pénétrant dans mon intimité. Cette chambre avait la même décoration depuis ma naissance : un papier peint rose pâle avec une frise de papillon au niveau du plafond. Tous mes meubles avaient conservé un esprit enfantin de fillette qui me tapait sur le système.
Dans la tête de mon père, j'étais toujours sa petite fille chérie et innocente qui n'aimait que les jolies choses roses. Je lui avais demandé il y a deux ans d'en changer la décoration mais il s'en était tellement étonné que je n'avais pas insisté.
Je me réfugiais ensuite dans mon lit, toujours honteuse et rouge comme une tomate. Matt ne perd rien pour attendre !
Il ne fallut pas beaucoup de temps pour que la musique commence à se faire entendre dans toute la maison. Je cachais ma tête sous un oreiller pour tenter d'obtenir un minimum de paix avant de mettre à travailler mes cours de la journée.

***

Il était 19heures 30 passés et je venais de terminer mes devoirs. Sachant que mon père et Miranda n'étaient sûrement pas encore rentrés, je me dirigeais vers la cuisine pour voler un petit biscuit et récompenser mon dur labeur. Mon père m'interdisait toujours de manger avant les repas, mais ce qu'il ne savait pas ne pouvait pas lui faire de mal.
Je descendais en catimini, espérant que Lysandre s'était exilé comme d'habitude dans sa chambre, et prenais la direction de la cuisine. Constatant que la voie était libre, j'escaladais sur un des plans de travail pour atteindre les placards du haut où étaient planqués les biscuits. J'avais les deux genoux sur le comptoir, les fesses en arrière et un bras tendu vers le haut pour réussir à ouvrir la petite porte en bois blanc.
Une fois les biscuits en vue, je pris dans mes mains le paquet d'Oréo planqué dans le fond derrière les Spécial K et les biscuits secs par mes propres soins pour que personne ne réussisse à les trouver. A causes désespérées, moyens désespérés.

-On peut savoir ce que tu fous ? lâcha une voix dans mon dos.

Sous l'effet de la surprise, je partis à la renverse et je me retrouvais les quatre fers en l'air et étalée sur le carrelage de la cuisine, le sachet de biscuit toujours coincé dans ma main droite avec un air totalement ahuri.
J'entendis alors un rire grave et rauque s'échapper de la bouche de mon agresseur. Je me relevais, réellement énervée d'avoir été dérangée, tout en me frottant mes fesses qui avaient gentiment amorties ma chute.

-Tout ça pour un paquet d'Oréo ?! s'exclama Castiel en continuant à se marrer.
-Je... Je faisais juste un peu de rangement, mentis-je en me mettant à dépoussiérer le plan de travail avec ma main pour donner le change.
-Mais oui bien sûr ! Pour faire plaisir à papa hein ? se moqua-t-il en se penchant. Coincée jusque dans sa petite maison la Mélodie.
-Tu, tu... bégayai-je sans savoir quoi répondre.
-Je, je quoi ? me reprit-il avec un sourire suffisant sur son visage.
-Tu as une tâche de sauce tomate sur ton T-shirt, lui fis-je remarquer avant de le contourner pour quitter la cuisine.


Non mais pour qui il se prend celui-là ? Je fais ce que je veux que je sache ! J'ai rien dit quand il a décidé de se teindre les cheveux en rouge ! Alors qu'il me laisse manger ce que je veux dans ma maison !
Je rentrais dans le salon, avec mes Oréos toujours sous le bras, en maudissant Matt et cet abruti de rouquin.

-Bonjour ma chérie ! me salua une voix familière qui me coupa dans mon élan, mais qu'est-ce que tu fais avec ses biscuits ?

Et merde, grillée. Mon père venait de rentrer, il portait toujours son costume de businessman (c'est un banquier), son cartable dans sa main, et m'observait sévèrement, moi et mes gâteaux.

-Mélodie, tu sais pertinemment ce que je pense du grignotage avant les repas... commença-t-il en soupirant.
-Euh... Papa, ce... Ils sont à Castiel, mentis-je en rougissant. Il voulait juste que je lui rende.


Mon père se mit alors à plisser les yeux et à me jauger. D'après lui, quand je mentais, je faisais toujours une même mimique qui lui permettait de me démasquer en toute situation. Il n'avait jamais voulu me dire de quoi il s'agissait, refusant de perdre ce précieux avantage sur moi.
Je détestais quand il faisait ça, parce que je savais au fond de moi qu'il s'apprêtait à obtenir le fin mot de l'histoire. M'avouant vaincue, j'allais déposer les armes, quand une main se saisit brutalement de mon paquet de gâteau.

-Merci Mélodie pour les Oréos, lâcha Castiel qui venait de sortir de la cuisine. Je les ai cherchés partout ! Mon petit frère aurait été fou de rage s'il ne les avait pas retrouvés.
-Oh ! De rien, répondis-je en rentrant dans son jeu. Etant donné que tu reviens demain pour répéter, je pourrais te les rendre à ce moment-là.


Je tendais le bras pour récupérer mon bien mais Castiel s'éloigna de quelques pas en prenant une mine renfrognée.

-Pas de problème ! De toute façon, je vais rentrer, je peux très bien les ramener chez moi ! m'assura-t-il. Au revoir Mélodie et merci pour tout.

Il se pencha pour me faire la bise et je m'exécutais de mauvaise grâce, non sans lui lâcher un « Je te déteste » à l'oreille.

-Au revoir Monsieur Vernant, salua-t-il mon père respectueusement (ce qui m'étonna, depuis quand il respecte quoi que ce soit celui-là ?).
-Bonne soirée Castiel, lui répondit simplement mon géniteur sans me lâcher du regard.


Et cet enfoiré de Castiel se barra, avec mes Oréos et un sourire satisfait sur sa sale petite tête. Je fulminais.

-J'ai croisé ton ami Alexy et son frère Armin sur la route, m'apprit mon père en s'installant sur la table à manger pour lire le journal. Très bien élevés ces garçons.
-Hum hum, marmonnai-je en continuant à pleurer la disparition de mon en-cas.
-Des notes aujourd'hui ? s'intéressa mon père.
-Un 17 en mathématiques et un 15 en anglais, lui appris-je distraitement.
-Bien.


Et voilà, c'était le même rituel tous les soirs. Après l'inspection de routine, je retournais dans ma chambre, bredouille et furieuse.

***

Le lendemain, je venais à peine d'arriver au lycée que la directrice m'avait littéralement sauté dessus pour me demander (encore) un service. Elle ne me lâche jamais celle vieille peau. Il fallait que je retrouve la nouvelle qui avait oublié de fournir des pièces importantes à son dossier apparemment.
Alors me voilà, ayant la désagréable impression de jouer la police et arpentant les couloirs en traînant des pieds à la recherche de la nouvelle.
Je finis par la trouver, merci Seigneur Jésus, devant l'entrée de la salle B. Elle était entourée d'Ambre et ses copines et subissait le bizutage spécial nouvelle. Selon la sœur de Nathaniel, il était toujours important de montrer qui était le patron. Je trouvais ça ridicule mais c'était un peu comme un rite de passage ici.

-T'as compris la nouvelle ? Entendis-je, règle numéro un : pas touche à Castiel, règle numéro deux : pas touche à Nathaniel et règle numéro trois : t'empiètes sur mes plates-bandes et je t'éclate.

Je savais pertinemment qu'il fallait que j'intervienne en tant que représentante des délégués, malgré que je manquais fortement de volonté. De plus, j'avais très envie de faire respecter sa règle numéro deux.
Je m'interposais néanmoins entre les deux filles en espérant ne pas y perdre un œil ou un bras.

-Mélodie ? s'étonna Ambre qui avait l'habitude de ma passivité. Tu te rends compte que tu me bloques la vue là ou pas ?
-J'ai besoin de parler à Sue, c'est la directrice qui m'envoie, l'informai-je.
-C'est qui Sue ? me questionna-t-elle en levant les yeux au ciel, clairement exaspérée par mon arrivée.
-La nouvelle, la renseignai-je avant de tirer cette dernière par le bras et de l'emmener loin du trio infernal.


Je l'entraînais avec moi à l'intérieur de la salle B et fort heureusement pour moi, Ambre ne nous avait pas suivies pour me sortir mes quatre vérités.

-Tu m'as sauvé la mise ! Merci ! souffla Sue une fois à l'abri du regard assassin de la grande blonde.
-Oh non, c'est rien, assurai-je en prenant un air détaché.
-Elle est complètement malade cette fille ! s'exclama-t-elle en écarquillant les yeux.
-Elle est pas si terrible que ça quand on apprend à la connaître, je t'assure.


Ce qui n'était pas entièrement faux, à vrai dire. J'étais sûrement celle de tout le lycée, Charlotte et Li mis à part, qui s'entendait le mieux avec notre Ambre nationale. J'arrivais parfois même à l'apprécier et à passer du bon temps avec elle, pour cela il fallait juste l'éloigner de ses sbires et de Castiel.
Au fond, nous avions des points en commun qu'aucune de nous ne voulaient admettre. Nous avions peur d'agir autrement que de la manière dont nous avions toujours eu l'habitude d'agir face aux autres. Entre filles coincées derrière une étiquette, on se comprend.

-Si tu le dis... marmonna Sue peu convaincue.

Elle commence à me taper sur les nerfs celle-là... Je contenais mon agacement derrière un sourire.

-La directrice m'a demandé de te prévenir (parce qu'elle me prend pour le facteur) que tu as oublié de faire signer le règlement de l'école à tes parents et que tu n'as pas fourni le bulletin scolaire de ton ancien lycée.
-Ah oui, mince ! Nathaniel me l'avait pourtant rappelé !


Je ne sais pas pourquoi, mais je n'appréciais guère la manière qu'elle avait de prononcer le nom de l'homme de ma vie (qui ignorait encore l'être, certes).

-Oui, Nathaniel est très serviable, confirmai-je d'un ton neutre.

Je m'apprêtais à la laisser, peu encline à rester encore avec elle pour discuter de Nathaniel, mais elle me retint par le bras.

-Je vais organiser une petite soirée en comité restreint samedi soir, pour mieux apprendre à connaître les gens du lycée, ça te dit de venir ? me proposa-t-elle.

Non mais sérieusement ? Qui dans ce monde organise une fête avec des gens qu'il ne connaît pas ?
Décidément, soit cette fille était réellement très naïve (ou stupide), soit elle avait un taux excessif de confiance en elle. Pour le moment, je pariais sur la première option.
Je cherchais une excuse pour ne pas avoir à me rendre à sa soirée quand elle reprit la parole :

-Je sais, ça n'a pas vraiment l'air de te tenter ! Tu ressembles tellement à Nathaniel ! J'ai dû le tanner pour qu'il accepte de venir... Mais ça me ferait vraiment plaisir que tu sois là.

Une minute, une minute. Nathaniel allait venir ? Il détestait les fêtes habituellement ! Il avait même refusé d'aller à la soirée d'anniversaire de Rosalya l'année dernière sous prétexte qu'il avait trop de devoirs... Non mais il se fiche de moi ce glandu !

-J'irai sûrement faire un tour, promis-je en me refusant de laisser les deux ensemble dans la même soirée. Tant qu'il n'y a pas d'action-vérité, je ferais un effort pour venir !

La jeune fille se mit alors à rougir et à jouer avec une de ses mèches de cheveux avec son index.

-Ne t'inquiètes pas ! Tu vas bien t'amuser ! m'assura-t-elle avant de me serrer dans ses bras et de disparaître sans demander son reste.

Nom de Dieu, dans quoi je me suis encore embarquée... Elle va nous faire un remake de la parfaite soirée clichée d'une ado de 15ans. Non mais hé ho ! J'ai 17ans moi, pas 5 !
Pourtant, l'idée d'une soirée où je pourrai peut-être arracher un baiser à Nathaniel par l'intermédiaire d'un gage ne me parut plus si désagréable que ça, j'irai même jusqu'à dire que j'éprouvais une forme d'impatience.
Mais bien entendu, avec Dieu se marrant bien à mes dépends, tout n'allait pas exactement se passer comme je l'avais espéré dans mon esprit un peu trop inventif.  

Et Dieu créa Mélodie... entre deux pauses pipiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant