Chapitre 9 : La planète Mars

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  Je posai mon regard sur l'horloge en forme de pomme accrochée au-dessus du canapé : 2h17. Déjà ? Je ne m'étais pas rendue compte que le temps était passé aussi vite ! J'avais dansé avec Alexy, papoté avec Iris, rigolé avec Matt, et là j'étais vautrée dans le canapé à regarder le plafond. La plupart de mes amis étaient dehors à se bousculer et à rire. J'apercevais leur silhouette s'agiter rapidement dans la nuit. Nathaniel avait fini par se détendre et discutait joyeusement avec les autres. Sue était toujours aussi mal à l'aise mais Violette avait décidé de lui tenir compagnie, ce qui m'avait permis de ne pas avoir à le faire moi-même. Même si je ne l'appréciais guère, elle m'avait vraiment fait de la peine.
Je positionnai ma tête confortablement contre l'accoudoir du canapé, laissant pendre mes cheveux de l'autre côté et fermait les yeux presque instinctivement, me laissant bercer par la musique qui s'échappait de l'enceinte qu'Alexy avait ramené. J'étais en train de somnoler ainsi depuis plusieurs minutes lorsque je sentis soudainement que quelqu'un me touchait les cheveux. Le contact était doux et agréable, je sentis de légers picotements monter le long de mon corps. J'avais toujours adoré que l'on me caresse les cheveux, sûrement parce que cela me rappelait ma mère. Je rejetai rapidement cette idée, je ne voulais plus penser à elle.
J'ouvris mon œil droit pour découvrir avec étonnement que Castiel s'était installé dans la chaise installée à côté du canapé, une cigarette à la main, et jouait distraitement avec une de mes mèches entre ses doigts. Je m'arrêtai de gigoter, par peur de l'effrayer, je n'avais vraiment pas envie qu'il s'arrête. Je reprenais ma position initiale et fermai les yeux en prétendant n'avoir rien vu.

- Mél, tes cheveux sont doux... marmonna-t-il en enroulant une de mes boucles sur son index. Comme... Comme... Comme une guitare ! Putain c'est bizarre !

Je ne réussis pas réellement à comprendre le lien entre les deux mais je ne pus m'empêcher de glousser stupidement. Il n'était pas nécessaire d'avoir un Bac+5 pour comprendre qu'il était légèrement bourré. En effet, je me rappelais brièvement l'avoir vu se remplir plusieurs verres de vodka.
Il marmonna soudainement quelque chose d'inintelligible, que je fus incapable de décrypter. Voyant que je ne répondais rien, il reprit la parole :

- Pourquoi blond ? répéta-t-il.
- Je ne sais pas. Mon père est blond, et j'ai toujours trouvé qu'il avait les plus beaux cheveux au monde. Et au lieu de ça, j'ai hérité de la même couleur que ma mère... Et j'ai pas envie de... Enfin... C'est un peu idiot mais j'ai pas envie de penser... à elle.
- Te bile pas, j'ai pigé. Moi aussi je me casse le cul à les teindre à cause de ma mère. J'ai les mêmes cheveux noir corbeau que mon père et ça la faisait tout le temps chialer, c'était comme si dès qu'elle me voyait, elle avait l'image de mon père qui lui revenait à la tête. Un jour, j'en ai eu marre et j'ai radicalement modifié ma couleur. Et comme le rouge, ça fait fuir ses mecs, c'est un bonus.
- T'as eu... des nouvelles ? osai-je demander. Enfin, de ta mère je veux dire.
- J'crois qu'elle s'est fait larguer par son mec. C'est pas plus mal, m'apprit-il en tirant sur sa cigarette. Et la tienne ? Toujours une brioche au four ?
- Positif.
- Pas cool, dit-il simplement avant de se mettre à rire brusquement. Quand j'y pense, tu te tapes Lysandre comme frangin, l'irresponsable tête en l'air, et bientôt un bébé, qui braille et qui gerbe. J'sais pas c'est quoi le pire.
- Pourrais-tu me rappeler pourquoi nous sommes amis déjà ? intervint Lysandre qui venait de rejoindre le salon accompagné d'Iris.
- Honnêtement mec, j'sais pas du tout, répondit-il avec un franc sourire aux lèvres.


Castiel me lâcha les cheveux soudainement, stoppant brutalement les frissons qui me parcouraient. Frustrée, j'ouvris alors les yeux pour l'apercevoir se lever de sa chaise et s'adosser au mur avec une expression indéchiffrable. Il avait toujours des réactions imprévisibles, même dans cet état.

- Tu te fous de moi ! s'exclama Alexy en bousculant Matt, tu crois que je t'ai pas vu mater le cul de la prof de SVT ?

Les deux garçons venaient de faire leur entrée à leur tour dans la pièce principale de la maison. Matt répondit à Alexy en lui faisant un clin d'œil complice. Alexy roula alors des yeux avant de m'apercevoir sur le canapé et de venir s'y laisser tomber à côté de moi.
Il me prit dans ses bras et cala sa tête sur mon épaule comme un bébé. Je me mis à caresser son visage aux traits fins de mes doigts, sachant pertinemment qu'il raffolait des caresses. Alexy avait toujours été quelqu'un de très tactile, qui avait besoin de contacts et de la chaleur humaine pour être pleinement épanoui. Quand il était petit, j'étais son distributeur de papouilles ambulant. Ce qui n'avait pas réellement changé à vrai dire.

- Raconte-moi une histoire Lily, marmonna-t-il en me serrant un peu plus fort dans ses bras.
- Quoi comme histoire ? le questionnai-je.
- Je sais pas, un truc d'intello dont tu as le secret. Un truc pour dormir, m'expliqua-t-il et je sentis sous mes doigts qu'il était en train de sourire.


Je lui fichai une petite claque sur la joue avant de réfléchir sérieusement à ce que je pourrais lui raconter.

- Bon, commençai-je en reprenant mes caresses. Selon la légende chinoise, l'Empereur Céleste avait sept filles, toutes belles et intelligentes. La plus jeune et la plus douce d'entre elles se faisait appeler la « Tisserande ». Un beau jour, les sept créatures célestes décidèrent de venir sur terre pour se baigner dans une rivière. Au bord de ce court d'eau, vivait un jeune paysan très travailleur qui faisait paître ses buffles. Tout le monde le prénommait le « Bouvier ». Il s'était lié d'amitié avec un vieux buffle très sage qui l'accompagnait dans chacune de ses journées.
« Ce jour-là, le Bouvier décida de mener le buffle pour l'abreuver à la rivière. Il aperçut alors les sept sœurs s'ébattre dans l'eau et il fut particulièrement fasciné par la douceur et la beauté de la Tisserande. Comprenant son ami, le buffle lui dit alors : « Va prendre la robe dorée qui se trouve près du saule, et celle que tu aimes deviendra ta femme ». Le Bouvier, très timide, hésita à agir. Le vieux buffle insista tant et si bien que le Bouvier finit par aller récupérer les vêtements de la jeune Tisserande. Face à l'apparition du jeune homme, les filles de l'Empereur se rhabillèrent et s'envolèrent dans le ciel. Seule resta la jeune Tisserande qui n'osait sortir sans ses vêtements. Elle le supplia de lui rendre ses habits, les joues écarlates de honte. Le Bouvier la regardait amoureusement, perturbant d'autant plus la Tisserande. Il lui dit simplement avec un sourire : « D'accord, si tu acceptes de devenir ma femme ! ». La Tisserande parut d'abord énervée devant l'affront du Bouvier, mais elle fut ensuite touchée par l'honnêteté, la sincérité et la bonté qui se dégageaient du jeune homme. Elle hocha alors la tête sans prononcer un mot. A partir de cet instant, le Bouvier et la Tisserande demeurèrent inséparables. Les années passèrent et ils eurent deux beaux enfants : un garçon et une fille. Cependant, l'Empereur Céleste finit par apprendre que l'une de ses filles s'était mariée avec un humain et menait une vie terrestre. Furieux qu'on eût ainsi violé la loi céleste, il envoya aussitôt un génie pour chercher la Tisserande et la ramener au ciel, la séparant de son mari et de ses enfants.


Tout le monde avait regagné le salon, et tous les yeux étaient rivés vers moi. Il régnait un silence religieux dans la pièce. Je croisai le regard de Nathaniel, il n'était pas encore venu me parler et je m'en étonnais. Il n'avait pas pour habitude de me cacher ses pensées très longtemps. Alexy me pressa ma main libre pour que je continue mon histoire.

- La Tisserande pleura de douleur en quittant la Terre. Elle était inconsolable de la perte de sa famille. L'Empereur Céleste prit alors la décision de faire une concession et d'autoriser sa fille à retrouver son mari une fois par an. Depuis, chaque année, le septième jour du septième mois du calendrier lunaire, les pies célestes forment une passerelle provisoire sur laquelle le Bouvier et ses enfants rencontrent la Tisserande. En Chine, pour célébrer les retrouvailles des deux amants, de nombreuses personnes viennent contempler les deux constellations de chaque côté de la Voie Lactée : le Bouvier et la Tisserande. Voilà ! Fini, t'es content gros bébé ?
- C'est horrible ton histoire, gémit Alexy dans mon cou.
- J'ai trouvé ça poétique, ajouta Lysandre toujours d'un air pensif.
- Le buffle il parle mec, y'a quoi de poétique ? se moqua Castiel en lui balançant son paquet de clope dans la tête.
-Bordel Lily, j'suis en train de m'endormir, me chuchota mon meilleur ami à l'oreille. Ca va pas du tout là !


Il se releva brusquement et se mit à sautiller sur place pour se réveiller.

- Bon, on fait un jeu, j'sais pas, n'importe quoi ! proposa Alexy en continuant à bondir dans tous les sens. En cercle, en cercle : on va jouer à action ou vérité !
- T'as quel âge Alex ? se plaignit Castiel.
- 10 ans papi ! lui répondit-il en lui tirant la langue.


Etonnement, mes amis parurent l'écouter et un cercle se forma rapidement. Je m'assis par terre à côté d'Iris, qui me fit un sourire étrange.

- Armin ! Vérité ou vérité ? commença Alexy en le pointant du doigt.
- Et il est parti en vacances le « action » ? bougonna son frère.
- Rho vas-y fais pas ton rabat-joie j'ai une question à te poser ! se plaignit Lex en faisant la moue.
- T'es relou. Je te vois venir à mille kilomètres mon gars ! Allez, pose la ta foutue question, accepta-t-il en secouant la main.
- Puisque tu insistes... Elle te plaît Véra ? lui demanda-t-il avec un sourire sournois.
- Sale traître, lui reprocha-t-il avec un regard noir.


Armin passa sa main dans ses cheveux, un peu gêné par la situation. J'étais de mon côté plutôt contente qu'Alexy mette son frère au pied du mur. Alexy servait toujours de moteur à Armin, il savait comment le booster. La tornade bleue qu'il était avait au préalable harcelé Véra de question sur son frère pendant toute la semaine et d'après lui, elle lui avait avoué ne pas être insensible aux charmes de son jumeau.
Quand Alexy décidait de jouer aux cupidons, il loupait très rarement son coup.

- Bon allez accouche ! l'encouragea Matt.
- Fais pas le malin toi ! T'es le prochain ! l'informa-t-il avant de se tourner vers Véra. Bon, je crois que c'est un secret pour personne ici. Véra, tu me plais beaucoup. Voilà c'est bon, je l'ai dit, on passe à autre chose maintenant ?


J'aperçus les yeux pétillants de Véra, c'était vraiment adorable. Les autres ajoutèrent un peu leur grain de sel avec des commentaires divers et variés.
Je sentis tout à coup qu'Iris me tirait par la manche pour attirer mon attention.

- Faut que je te demande un truc, me chuchota-t-elle à l'oreille discrètement.
- Quoi ? m'enquis-je, curieuse.
- Avec Lysandre, je stagne totalement. Il t'a parlé de moi ?


Je fis une moue réprobatrice. Lysandre ne me parlait pas de filles, jamais. Quand nous discutions, c'était généralement pour qu'il m'annonce qu'il avait besoin de moi pour retrouver son carnet ou pour se rappeler l'horaire de son rendez-vous chez le médecin. Rien de bien palpitant.

- Je ne sais plus quoi faire. J'ai tout tenté, reprit-elle toujours à l'oreille. J'ai lu « la poésie pour les nuls », j'ai fait des chasses au trésor pour son foutu carnet, que je n'ai jamais lu sans qu'il ne me le permette d'ailleurs, j'ai même écouté toutes les musiques qui lui plaisent. J'ai l'impression que rien a changé cependant.
- C'est Lysandre Iris, tu le connais depuis la primaire... Il est difficile à aborder mais c'est aussi ce qui fait son charme. Il ne parle pas beaucoup mais ça lui donne un côté mystérieux, non ?
- Bien entendu ! Mais c'est aussi un problème étant donné qu'il ne me rend pas la tâche facile pour savoir si je lui plais aussi... râla-t-elle en soupirant.
- J'essayerai de lui en parler. Laisse-moi juste un peu de temps et je vais essayer de mener mon enquête, lui promis-je en contemplant mon demi-frère qui griffonnait sur son carnet.
- Merci, et tu crois que...
- Mélodie, entendis-je soudainement.


Instinctivement, je tournai mon regard vers celui qui venait de prononcer mon prénom. Tout le monde m'observait bizarrement et il y avait une certaine tension dans la pièce que je ne compris pas.

- Oui Matt ? répondis-je.

Il tourna son regard vers moi, il était bizarre. Bizarrement sérieux. Ca ne lui ressemblait pas.

- Rien, Mél. Je répondais juste à la vérité d'Armin.
- Quelle vérité ? l'interrogea Iris.
- Quelle était la fille qui me plaisait le plus dans le lycée, dit-il simplement en haussant les épaules.


Je tentai de chercher dans ses yeux bleus cette nuance d'humour et d'ironie qui le caractérisait, mais ils n'exprimaient rien. Il ne souriait pas. Se pourrait-il qu'il soit sérieux ?
Je ne comprenais pas, j'avais l'impression de vivre cette scène dans le corps de quelqu'un d'autre. Il me paraissait impossible que l'on parle de moi. Matt qui me trouvait attirante ? Jamais il ne me l'avait laissé entendre, jamais il n'avait eu un geste de travers, jamais un regard qui en disait long.
J'eus soudainement besoin de prendre l'air. J'avais l'impression d'avoir loupé quelque chose. Etait-ce encore une de ses blagues dont il avait le secret ? Etait-il sérieux, pour une fois ?
Matt... Qu'est-ce que je ressens pour Matt au juste ? La première chose qui me vint à l'esprit fut une amitié comme je n'en avais eu avec personne. Une relation presque fraternelle, fusionnelle. Il me tirait vers le haut. Je ne savais pas si j'arrivais à lui apporter quelque chose de mon côté, mais lui, il m'avait tant appris et tant offert. Rien qu'en année de vie avec toutes les crises de rire que cet idiot m'avaient données. C'était aussi bien entendu un très beau garçon, toujours joyeux, et assez sexy, il fallait l'avouer. Je me mis à piquer un fard, ma température corporelle venait de grimper en flèche.
Tout le monde avait les yeux rivés sur moi, certains gênés, d'autres curieux. Ne supportant pas cette ambiance tendue, je quittai la maison sous un silence de plomb.
Je m'installai alors dans un recoin du jardin à l'abri des regards qui pourraient me voir depuis les baies vitrées. Je m'adossai au mur de la maison, invisible dans la nuit, et pris une grande respiration.
Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?

- Mélodie, je peux te parler ? entendis-je.

Je relevai mes yeux pour découvrir la silhouette de Nathaniel dans l'ombre. Le blondinet avait pris un ton sérieux et dur qui impliquait qu'il s'apprêtait à avoir la discussion qui fâche. Avais-je vraiment envie d'en discuter maintenant ? Je finis par m'y résoudre, cette discussion devait avoir lieu à un moment ou à un autre. Et avec Nathaniel, la ponctualité était de mise.

- Je ne suis pas idiot, commença-t-il en se plaçant face à moi. Je sais que tu m'en veux pour quelque chose. C'est injuste Mél, j'ai le droit de savoir.
- Je sais. Et je te promets que j'ai voulu te le dire, maintes et maintes fois, mais c'est comme si tu refusais de le voir ou que tu ne pouvais pas comprendre, soupirai-je en passant ma main sur mon front, comme pour vérifier que je n'avais pas de la fièvre.
- Avec toi, c'est toujours de ma faute, me reprocha-t-il en posant une main qui se voulait apaisante sur mon épaule.
- Non, non. Je sais bien que je suis largement responsable, avouai-je en baissant la tête. Qu'est-ce qui ce serait passé si je t'en avais parlé avant ? Est-ce qu'on en serait arrivé là ? J'aurais aimé le savoir. Mais c'est trop tard et ça ne sert à rien de se torturer avec des « et si ».
- Mais de quoi tu parles bon sang Mélodie ?! s'emporta-t-il en approchant son visage rougi par la colère du mien. Tu me refais le même coup que dans le parc la dernière fois... Depuis que tu as commencé à t'éloigner, j'ai l'impression que je n'arrive plus à te comprendre. Tu me perturbes beaucoup en ce moment Mélodie.
- Nathaniel, tu le fais exprès ? Je suis amoureuse de toi bon sang ! Et tout le monde est au courant, depuis le début.


Je lus d'abord le choc dans ses prunelles dorées, une profonde incompréhension, son esprit sembla vagabonder quelques instants dans le passé, comme s'il tentait de repasser dans sa mémoire les moments que nous avions passé ensemble, pour tenter de démêler ses souvenirs, de rassembler les indices. Je le laissai appréhender la nouvelle, le ventre noué et la mâchoire crispée.
Il finit par revenir dans le présent, et poser ses yeux dans les miens, en y cherchant une réponse. Il avait son air des mauvais jours, quand il n'arrivait pas à dénouer un problème de mathématiques des plus ardus. Il fronçait les sourcils et me regardait de haut en bas, comme s'il était indécis. Il posa une main sur ma joue délicatement et regarda mes lèvres d'un air pensif. J'eus alors une pensée folle, insensée, j'avais l'impression qu'il voulait m'embrasser. Mes poings étaient tellement serrés que mes ongles me transperçaient la peau.

- Mélodie, je... je n'ai jamais pensé à... ça, m'avoua-t-il confus. Je suis incapable de savoir ce que je ressens pour toi.

Ses lèvres étaient à présent à seulement quelques centimètres des miennes, je sentais son souffle me caresser le visage. Etait-il sur le point de m'embrasser juste pour se tester ?
Au moment où il s'apprêtait à commettre un acte irréparable, je posai ma main sur ses lèvres pour le faire reculer.

- Tu le regretteras Nath, lui assurai-je en sentant mes yeux s'embuer. Ne fais pas ça s'il te plaît.

Il baissa le regard vers ma main et cligna des cils longuement, recouvrant peu à peu ses esprits. Il me contempla, totalement perdu, comme s'il venait de sortir d'un sommeil profond.

- Oh mon Dieu ! s'étonna-t-il doucement en rougissant fortement. J'ai failli... J'ai failli t'embrasser. Je suis désolé Mélodie, je... Il y a Sue... Je... Je ne suis pas dans un état normal et...
- Qu'est-ce qui se passe ici bordel ?! intervint une voix.


Nathaniel se fit tirer par le col par Castiel, le reculant d'un ou deux mètres de moi. Je n'avais pas remarqué à quel point notre proximité pouvait être mal interprétée pour quelqu'un nous découvrant ainsi. Nathaniel était appuyé sur moi, me coinçant contre le mur alors que je tentai de le repousser. N'importe qui aurait pu s'imaginer qu'il tentait de me tripoter contre mon gré. Et encore plus un Castiel qui détestait Nathaniel et qui était légèrement à côté de ses pompes.

- Mél, qu'est-ce qu'il t'a fait ce trouduc ? me questionna sèchement Castiel en secouant durement Nathaniel.
- Lâche-moi ! ordonna ce dernier en lui attrapant à son tour le bras.
- Tu me touches pas toi, lui dit le rouquin en le poussant violemment.


Les deux jeunes hommes se tenaient, haletants de colère, l'un en face de l'autre. Ils se regardaient et se jaugeaient, comme de bêtes sauvages s'apprêtant à se sauter dessus.
Il fallait que j'intervienne avant que cela finisse mal.

- Tout va bien ! C'est bon. C'est un malentendu, assurai-je en posant une main sur l'épaule de Castiel.

Ce dernier lâcha son rival des yeux pour croiser mon regard. Il sembla perplexe quelques instants puis il haussa les épaules et passa sa main dans ses cheveux, comme si rien ne venait de se passer.
De mon côté, je me sentais si perdue et si confuse. Pendant 17ans, aucun garçon ne s'était réellement intéressé à moi, et voilà que deux venaient soudainement le même jour brouiller toutes mes émotions. Pourquoi les garçons faisaient-ils les choses de manière si étrange ? Je me sentais vidée de toutes mes forces.

- Je vais rentrer, annonçai-je en me dirigeant sans un regard vers les deux ennemis.
- Je te suis, j'suis trop sec là, m'apprit Castiel en soufflant bruyamment.


Je récupérai vivement mes affaires sous les regards interrogateurs de mes amis. Je sentais dans mon dos que Matt me regardait, et bon sang, il n'avait pas l'air de rire. Il fallait que je tire les choses au clair avec lui. Mais pas ce soir. Ce soir n'était pas le bon soir. Je quittai le salon en claquant une bise à Iris et en saluant brièvement le reste de l'assemblée, suivie de près par Castiel.
Je traversai la rue en traînant des pieds. La lumière des lampadaires me permettait de savoir que j'étais suivie par le rouquin, son ombre était le seul signe de sa présence étant donné qu'il restait étrangement silencieux. Une fois devant ma maison, je me retournai finalement vers lui.

- Je pense que tu peux passer par la porte d'entrée, tout le monde doit dormir.

Il hocha simplement la tête et me suivit à l'intérieur comme un automate. Il m'imita quand je retirai mes chaussures pour ne pas faire craquer le parquet en rejoignant l'étage. Nous réussîmes miraculeusement à ne pas faire de bruit.

- Castiel ? l'interpelai-je doucement une fois devant l'ouverture de la porte de ma chambre.
-Hmm ? marmonna-t-il en relevant difficilement la tête.
- Merci d'avoir voulu me défendre, tout à l'heure, avec... C'était pas ce que tu crois, mais merci tout de même d'avoir... essayé, enfin d'avoir voulu m'aider.
- Ne le laisse plus jamais poser une main sur toi. Pas tant qu'il est avec l'autre. Ca finit toujours mal ce genre d'histoires merdeuses, ma mère en sait quelque chose. Les mecs en profitent toujours quand ils peuvent se taper une belle nana.


Une belle nana ? Je me surpris à sourire bêtement face à ses propos, il n'avait même pas dû se rendre compte qu'il venait de me faire un compliment. J'avais l'air idiote mais je ne pus m'empêcher de tripoter mes cheveux en détournant le regard. Aucun garçon ne m'avait encore jamais qualifié de « belle ». Mis à part papa, mais avec papa, c'était différent.
Etrangement, je me sentis fière d'avoir stoppé Nathaniel avant qu'il ne soit trop tard. Je n'avais pas l'impression d'avoir commis une erreur, bien au contraire. J'aurais tellement culpabilisé, et je me serais sentie plus que nulle. Et pas seulement par rapport à Sue, mais aussi par rapport à moi-même.

- Bonne nuit Miss-Parfaite, reprit-il en faisant un salut militaire ridicule.
- Bonne nuit crétin, marmonnai-je plus pour moi-même.


Il titubait légèrement en rejoignant la chambre de Lysandre. Je perçus de dos que ses épaules se levaient et s'abaissaient, signe qu'il était en train de rire.
Quel idiot.
Je me laissai tomber sur mon lit toute habillée et sombrai presque directement dans un sommeil profond.

***

Je fus réveillée vers 10heures du matin lorsque je sentis mon téléphone vibrer dans la poche de mon jean. Je me frottai distraitement les yeux tout en tentant de me mettre en tailleur, toujours enroulée dans ma couette. Je tirai distraitement l'objet de ma poche.
Ma respiration se bloqua quand je lus le nom de Matt s'afficher sur l'écran de mon portable. Les événements de la veille revinrent avec force dans mon esprit.

De : Matt
A : Mélodie
Il faut qu'on parle. Je ne veux pas qu'on s'éloigne à cause de ce que j'ai dit. Laisse-moi m'expliquer.

De : Mélodie
A : Matt
J'ouvre la fenêtre.


Quand nous étions petits, j'avais pris l'habitude de laisser ma fenêtre ouverte pour qu'il puisse rentrer dans ma chambre quand il le voulait. J'aimais imaginer qu'il puisse me surprendre à n'importe quel moment de la journée. Il escaladait le grand chêne de notre jardin pour l'atteindre. J'avais cependant arrêté de le faire vers mes douze ans, quand il avait enfin compris l'utilité d'une porte d'entrée.
J'aimais l'idée de superposer l'image d'un Matt âgé de huit ans avec du chocolat autour de la bouche en train de pénétrer par l'étroite ouverture de ma chambre avec celle du grand gaillard de 17ans qu'il était devenu. J'étais persuadée qu'il souriait en lisant mon message, avec la même pensée en tête.
Quand je finis par entendre du bruit par ma fenêtre quelques minutes plus tard, pour la première fois de ma vie, la présence de Matt me rendit nerveuse.  

Et Dieu créa Mélodie... entre deux pauses pipiWhere stories live. Discover now