Chapitre 28 : Une Pompadour et son amant

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  Je m'ennuie. Je m'ennuie. Et... Je m'ennuie toujours.
Je ne m'étais jamais rendue compte auparavant que c'était moi qui entretenais toute la conversation avec Lysandre et qu'il se contentait de quelques mots contre une centaine de ma part. Il était assis sur la chaise à côté de mon lit d'hôpital et s'était mis en tête de m'écrire un poème. Seul problème, il ne se rendait pas réellement compte du temps qui passait quand il était inspiré. Et je ne pouvais pas le sortir de sa rêverie puisque dans tous les cas je ne pouvais pas entretenir la conversation.
Cela faisait deux semaines qu'ils m'avaient retirés l'intubation, et j'avais des pansements recouvrant l'ensemble de ma gorge pour le prouver. Néanmoins, j'avais toujours la mâchoire dans un sale état et je n'étais pas autorisée à ouvrir la bouche. Ni d'ailleurs à me lever, ou encore moins à marcher, mes côtes toujours très fragilisées par l'accident.
Mes amis avaient repris leur vie, les cours, et je passais ma semaine seule à l'hôpital. C'était d'un ennui inconcevable. J'en arrivais à trouver les prépabacs que m'avait ramenés mon père distrayant. Heureusement, tout le monde se relayait pour venir me tenir compagnie après les cours. Castiel passait parfois à la place des cours. Et bizarrement, il était plutôt distant avec moi. Il était là, sans être vraiment là. J'avais peur d'avoir dépassé les limites avec lui. Cette idée occupait la plupart de mes journées solitaires.
Mon père, quant à lui, passait tous les soirs une heure jusqu'à la fermeture des heures de visite.
La première fois que j'avais réussi à avoir une réelle discussion avec ce dernier, il m'avait passé un sacré savon. Je crois que je lui avais fichu la trouille de sa vie. Miranda, elle, s'était contentée de m'embrasser les joues avec émotion.
Et même Aline était passée deux fois, ce qui représentait plus de visite que depuis que j'avais fait mon entrée au collège. Elle venait toujours avec mon père, et ne disait pas grand-chose. J'avais envie de lui dire que si à cause de cet accident, j'avais retardé son départ, qu'elle ne se retienne pas pour moi. Mais je retenais ma colère, parce que je voyais bien qu'elle n'était pas bien face à cette situation, et qu'elle tentait malgré tout de faire des efforts. Et puis, finalement, Lysandre était resté fidèle à lui-même. Toujours dans la retenue. Mais cette retenue avec quelque chose de différent, j'arrivais à en déceler la nuance parce que je le connaissais bien, le vieux bougre. Je voyais dans sa manière de me regarder, avec les yeux qui sourient, qu'il était bien soulagé de me voir sur pied. Enfin, sur pied... C'est une façon de parler.
Je me saisis d'un des stylos qui traînaient sur ma table de nuit et le balançai dans le visage de Lysandre sans regret. Il releva mollement la tête comme s'il s'y était attendu et me contempla un instant comme s'il s'attendait à ce que je lui dise ce qu'il n'allait pas.
Je bataillai avec ma main pour atteindre l'ardoise qui était vers le bout de mon lit. Une fois celle-ci récupérée, je me plaignis par écrit du fait qu'il pourrait faire tout ça plus tard.
Il sembla me donner raison puisqu'il rangea son carnet –encore- dans la grande poche de son manteau. Bon sang, combien de fois lui avais-je dit qu'il allait le perdre en le rangeant à cet endroit ? Au moins une centaine. Je rageai de ne pas pouvoir le lui rappeler.

- De quoi veux-tu parler ? me questionna-t-il.

Il culpabilisait légèrement, je le voyais. Il devait penser qu'il ne m'aidait pas à passer le temps et j'allais en profiter au maximum. Je rédigeai en grosse lettre un « Amélie ? » qui le fit rougir.

- Tu me demandes comment ça se passe avec elle, c'est bien cela ?

Je hochai la tête en retenant le sourire machiavélique qui risquait de fleurir sur mon visage. Il détestait parler de sa vie privée, mais il n'allait pas avoir le choix. Habituellement, je pouvais faire la conversation et il préférait écouter ma misérable vie plutôt que de me parler de la sienne. Mais là, je n'avais aucun moyen d'entretenir la discussion, il allait devoir se débrouiller.

- Comme tu veux Mélodie. Tu la connais, elle a parfois un caractère difficile, et me reproche souvent d'être dans la lune, mais tu sais aussi que je l'apprécie beaucoup. Je songe à la faire venir dîner à la maison avec les parents. Maintenant que Matt a accepté notre relation, je me dis qu'elle apprécierait d'être acceptée par ma propre famille.

Il se tut pendant un certain temps, j'en déduis assez aisément que le sujet était clos pour le moment. Le portable de Lysandre se mit alors à vibrer et il décrocha après avoir regardé l'identité de son interlocuteur. Il ne lâcha pas un mot, la personne à l'autre bout du fil avait commencé son monologue sans même attendre que Lysandre ne le salue. J'en déduisis alors rapidement qu'il devait s'agir de Castiel.

- Que t'a-t-il dit ? le questionna Lysandre en fronçant les sourcils.

Il écouta silencieusement la réponse et il se mit à sourire légèrement.

- C'est une très bonne nouvelle, ajouta-t-il au bout d'un instant. Humhum. Oui, elle est avec moi. D'accord, je te rappelle ce soir. Oui, bon, si cela te rassure rappelle-moi toi. A ce soir.

Je lui lançai un regard interrogateur alors qu'il rangeait son téléphone.

- Ne me regarde pas avec ses yeux, me réprimanda-t-il inflexible. Ce n'est en aucun cas à moi de te parler de la vie de Castiel.

Je levai les yeux au ciel en maudissant mon karma de ne pas avoir un frère comme Alexy, il m'aurait tout avoué dans la seconde, lui. Et j'aurais pu aussi lui parler de ma relation avec Castiel, il m'aurait conseillé. Mais avec Lysandre, c'était comme de foncer droit dans un mur. Il ne parlait jamais des autres. Je décidai de changer de sujet avant de céder à nouveau à la tentation de le questionner sur cette histoire. J'écrivis « et mon poème ? » sur l'ardoise.

- Je ne peux pas te montrer ça, me refusa-t-il à nouveau.

Pour être plus mystérieux que Lysandre, il faudrait être carrément invisible.

- Ceci dit, je peux toujours te dire les grandes lignes, ajouta-t-il en découvrant mon air agacé.

Mon regard s'illumina, alors il me lança un clin d'œil comme s'il était attendu à ce que je réagisse de la sorte.

- Ca parle de la façon dont vous vous êtes installés dans notre quotidien avec ton père, reprit-il en rapprochant sa chaise de mon lit. Et plus précisément de ta détermination, de ton perfectionnisme, de ta façon de parfois jouer de ton autorité, qui est presque je dirais parentale, avec moi. Et puis aussi... de ton accident.
Je sentis que sa voix s'éteignit un peu sur la fin de sa phrase. Nous n'en avions pas parlé, mais d'après Matt, il avait très mal vécu cette situation. Je m'en voulais de lui avoir infligé tout ça. Je décidai de détourner, à nouveau, la conversation en rédigeant un « tu parles de mon talent secret ? » sur cette ardoise où les écritures devenaient de plus en plus difficiles à effacer.
Il sembla se rappeler, à mon grand étonnement, de notre conversation d'il y a quelques mois, qui me semblait remonter à une éternité. C'était lorsque j'avais découvert que ma mère était enceinte de Timéo, j'avais ressenti cette immense océan qui me séparait d'elle. J'avais eu l'impression que c'était de ma faute, parce que je n'avais absolument rien pour moi. Quand j'observais mes amis, je voyais chez chacun d'eux tellement de talents et de qualités, que j'en venais parfois à me demander si j'étais capable de faire quelque chose de mes dix doigts.

- Tu n'as donc toujours pas une petite idée ?

« Mon aimant à catastrophe ? », suggérai-je par le biais de mon ardoise bleue. Il se mit à sourire en me couvant d'un regard aimant qu'il avait de plus en plus ces derniers temps.

- Je ne comprends pas, c'est pourtant évident. Tu es... comme une glue.

Je lui fis une tête interloquée. Si être une glue est un talent, alors je me demande ce qui ne l'est pas !

- Laisse-moi m'expliquer au lieu de prendre cet air outré. Tu n'as jamais prêté attention à la manière dont le groupe s'était formé ? Cela peut te paraître bien anodin, mais ce ne l'est pas, c'est tout à fait révélateur de ton moi profond. Tu es une personne attachante, avec un grand cœur, qui aide bien plus les autres que tu ne t'aides toi-même. Nora et Véra sont folles de toi, Alexy et Iris ont du mal à occuper leurs journées pendant que tu es à l'hôpital, Matt tourne en rond,... Et Castiel aussi est attachée à toi plus qu'il ne le concède. Enfin Mélodie, rends-toi compte du bout de femme que tu es. Tu n'as jamais rien raté dans ta vie, tu te donnes toujours les moyens de réussir. Je ne peux pas donner un nom à ce que tu appelles un talent, ce serait bien trop vaste et fastidieux, mais c'est juste que je refuse que tu considères n'avoir aucun intérêt. Tu es l'une des personnes les plus complexes et intéressantes que je connaisse.

Existait-il un seul autre Lysandre au monde ? Il pouvait se mettre à parler et à dévoiler des tournures de phrases qui semblaient comme préparées depuis des mois, c'était fascinant. Il était fascinant. Je me demandais d'ailleurs si je lui avais déjà fait part de ce côté mystique qui l'habitait. Je me demandais aussi si je lui avais déjà dit à quel point je l'appréciais. Je n'en avais pas le souvenir. C'était quand je ne pouvais plus lui parler que j'en mourrais réellement d'envie. Et je sentais dans sa voix qu'il y avait un silence dissimulé, un non-dit.
Il était soudainement gêné et rougissant, ça sentait le traquenard. Même ses yeux devenaient fuyants, alors qu'il avait l'habitude de soutenir les regards comme personne en dehors de Castiel.

- Il faut que je te parle de quelque chose, quelque chose dont j'aurais dû te parler depuis longtemps, me lança-t-il en détournant le regard. Et je pense que c'est le bon moment, parce que tu ne pourras pas réellement « réagir », si je puis dire.

Je lui lançai un regard noir, quand il commençait ses phrases comme ça, c'était généralement pour m'annoncer qu'il avait perdu mes affaires.

- J'ai pas mal écrit sur toi ces derniers temps. Beaucoup même. Je crois que ça ressemble à un livre.

Ca ressemble à un livre ? Comment cela pourrait-il ressembler à un livre sans en être un ? Je savais que mes yeux lui posaient en même temps un trop plein de questions, et je savais qu'il avait ce talent pour les comprendre.

- C'est pas grand-chose, juste une histoire qui m'est venue en t'observant dans ton quotidien.

Je brandis mon ardoise avec un grand « combien de pages » affiché. Je l'entendis me marmonner un 300. Je lâchai un hoquet de surprise, j'étais sous le choc. Qu'est-ce qu'il était en train de me chanter au juste ?
« De quoi ça parle » rajoutai-je.
- C'est l'histoire d'une femme, une noble du XVIIème siècle qui veut travailler et qui monte son commerce de tissu à la Cour parce qu'elle veut être indépendante. Une sorte de Pompadour si tu préfères. Et je lui ai donné tes traits, ta détermination et à la fois cette complexité qui t'es propre et qui vient du fait que tu sois à la fois indécise, parce que tu as peur de l'échec, des autres, du « quand dira-t-on », et dans un autre sens sûre de toi lorsque tu sais qu'il n'y a plus de retour en arrière, ta capacité à tout entreprendre pour satisfaire ceux qui te sont proches. Tout ça peut paraître contradictoire mais c'est ce qui m'a attiré, ton espèce de crise d'adolescence tardive. C'est mon héroïne qui la vit aussi, elle sort de l'adolescence dorée dans le château de son père qu'elle chérit mais elle veut devenir une femme. Et pas une femme mariée à un vieil homme de soixante ans qui lui donnera de l'argent pour faire la fête. Enfin, j'ai eu l'occasion de t'observer à maintes reprises depuis toute l'année qu'on a passé à vivre ensemble, et tu es un merveilleux sujet d'écriture.

Un merveilleux sujet d'écriture ? Est-ce qu'il s'était mis à me voler ma morphine pendant que je dormais ? Devais-je me sentir flattée ? Ou au contraire agacée ? Je n'en avais aucune idée, je me contentai de le regarder les yeux écarquillés.
Non, en réalité j'étais curieuse. Curieuse de me découvrir sous ses yeux. Et j'avais aussi ce sentiment de frustration, je me sentais dépouillée, presque nue.

- Je suppose que la moindre des choses est de te montrer ce travail, souffla-t-il au bout d'un moment. Cela me met mal à l'aise, je n'ai jamais fait lire un de mes travaux à personne en dehors de Castiel. Mais je crois que je te le dois bien.

Il se leva, déposa un baiser sur mon front et déguerpit sans plus de cérémonie. J'en restai sur le cul. Pardonnez-moi l'expression, mais c'était de loin la plus adaptée. Déjà parce qu'il avait sûrement battu son record de phrases pour l'année, mais aussi parce que tout me semblait prendre une tournure différente. Je le revoyais me lancer des regards pendant que je prenais la parole, me sonder de ses yeux penseurs, et tout prenait un sens étrange. M'avait-il analysé pendant tout ce temps ? C'était difficile à admettre. Et son livre, où allait-il se finir pour moi ? Où me voyait-il à ce point-là de ma vie ? J'avais envie de le savoir. Découvrir la réponse dans ses lignes me rassurait plus que de la découvrir par moi-même.

***

Je regardais l'infirmière en train de faire son contrôle des machines et affichages quotidien. Elle avait ramené l'aiguille pour ma prise de sang et je l'observai comme une espèce de monstre qui allait me sauter dessus à n'importe quel instant. Marie, l'infirmière, ne disait rien en découvrant ma moue parce qu'elle commençait à s'y habituer.

- Tu es prête ? me lança-t-elle sans attendre ma réponse pour me faire la piqûre.

Je me mis à serrer le poing pour concentrer la douleur à un autre endroit. Je me savais très douillette et j'avais beaucoup de mal à gérer la douleur de manière générale. Je grognai, mais mon marmonnement intérieur s'évanouit dans ma gorge.

- Il y a quelqu'un pour toi, m'annonça l'infirmière en échouant lamentablement dans sa tentative de détourner mon attention.

Je me demandais immédiatement s'il s'agissait de Lysandre qui s'était finalement décidé à me ramener son livre. Il ne m'avait pas donné de nouvelles depuis deux jours, et j'avais un peu peur qu'il ait finalement changé d'avis.

- Un blond, ajouta-t-elle d'un ton neutre. Plutôt mignon d'ailleurs.

Et là, elle obtint finalement mon attention. Nathaniel ?
- Je le fais rentrer ? Il passe très régulièrement mais j'ai l'impression qu'il n'ose pas venir te voir. Il pose beaucoup de questions aux docteurs sur toi.

Je hochai la tête, bien entendu que je voulais le voir. Depuis le temps que je le voulais. Et en même temps, j'avais cette forme d'appréhension vis-à-vis de cette rencontre. La dernière fois que je l'avais vu, je me faisais percuter par une voiture. Et une autre dernière fois, il m'avait brisé le cœur. Et une autre plus lointaine, il me protégeait de sa sœur et me poussait sans le vouloir dans le bain de la recherche de la perfection. Etrangement, cet homme était très lié aux grands tournants de ma vie.
Alors quand il fit son entrée dans la salle, le regard fuyant et les mains nouées, c'était comme s'il l'avait compris pour la première fois. Il contempla l'état dans lequel j'étais et ses yeux s'assombrirent. J'en eus honte, parce qu'au fond, il n'y était pour rien. Une erreur, un accident. Personne n'était coupable pour ce genre de choses.

- Salut, marmonna-t-il en s'approchant de mon lit d'un pas bien trop lent pour ne pas être hésitant.

Je lui adressai un pauvre signe de la main qui ne compensait en rien toute la situation. Mais je n'avais rien de mieux en stock.

- Comment tu te sens ? me questionna-t-il.

Je lui répondis par la grimace du sourire inversé qui ne voulait pas dire grand-chose, mis à part que ça pourrait aller mieux, comme ça pourrait être pire. Pour la première fois depuis que je m'étais réveillée dans cette chambre d'hôpital, j'étais bien contente de ne pas pouvoir parler.

- Je... Je suis désolé, lâcha-t-il rapidement comme s'il avait besoin de lâcher sa bombe avant de se dégonfler. Si tu savais comme je m'en veux. Si je ne t'avais pas interpellé, si je ne t'avais pas stoppé alors que tu étais manifestement très pressée, je...

Je décidai de le stopper avec la main. Il était hors de question de parler avec des « si ». Nous aimions tous les deux recourir à ce petit mot qui n'avait aucun sens pour parler d'une situation qui était déjà derrière nous. Les faits étaient là : j'étais blessée, dans un lit, mais j'étais en vie.
J'avais toujours été quelqu'un de très terre-à-terre, comme Saint-Thomas « je ne crois, que ce que je vois ». Et pourtant, je commençais sérieusement à penser que certaines choses ne pouvaient pas arriver par hasard, que certaines choses étaient faites pour se dérouler. Je ne parlerais pas de destin, parce qu'imaginer une vie déjà toute tracée où mon libre-arbitrait m'aurait été ôté me dérangeait profondément. Mais je ne parlerais pas non plus de coïncidence. Il y avait juste un sens à tout ça, une logique qui ne m'était pas dévoilée et qui me parlerait sans doute avec plus de netteté plus tard.
Au fond, sans tous ces évènements, je ne serais pas celle que je suis. Et je commençais à peine à le comprendre.
Hors de question de blâmer Nathaniel. Ou alors il me fallait me blâmer au même titre : quelle idiote j'avais été de ne pas faire attention à la route. Encore une fois, l'imprudence dont nous avions tous les deux fait preuve et qui ne nous ressemblait en aucun cas me semblait bien trop grande pour ne pas signifier quelque chose de plus profond. Tout simplement une nouvelle voie pour nous deux, un nouveau chemin.
Je ne pouvais bien entendu pas lui expliquer tout ça, et Nathaniel était tout aussi rationnel que moi, cette absurdité dont je faisais preuve actuellement ne pouvait être comprise que par ma seule personne en un sens. Et c'était tant mieux. J'avais besoin d'irrationnel en ce moment, j'avais besoin de me dire que tout ceci allait m'apporter quelque chose sur le long terme. Voir le verre à moitié plein, en somme.
Je pris ses mains posées sur le lit dans les miennes et je tentai au mieux de lui faire ressentir que je n'éprouvais aucune rancune, aucun ressentiment. Rien. Même pas des regrets. Plus nous avancions, et plus nous nous éloignions. Mon premier amour devenait peu à peu un étranger, et je compris sûrement que j'étais en train de sortir de l'enfance. Mais il garderait toujours cette place privilégiée que personne ne pourrait jamais lui enlever. C'était plutôt beau, d'avoir cette importance dans la vie d'une personne. De mon côté, je n'étais pas sûre d'avoir été le premier amour de quelqu'un.

- J'ai pensé à te ramener mes cours de mathématiques, je me suis dit que ceux d'Iris devaient ressembler à des pattes de mouche. Surtout qu'elle est particulièrement dans ses pensées en ce moment.

Je récupérai le tas de feuilles photocopiées qu'il me tendait et je savais que nous venions implicitement de mettre un terme à cette douloureuse mais nécessaire conversation. Ca m'arrangeait que Nathaniel ait cette faculté de toujours ramener tout aux études, j'étais plutôt habile pour parler d'études.
Je lui montrai ma brique de jus d'orange tout droit sorti des usines des magasins de grande distribution, sachant pertinemment qu'il en avait toujours raffolé, et tapotai le bord de mon lit pour l'inciter à venir m'y rejoindre. Il ne se fit pas prier et commença à me parler avec passion de la leçon d'algèbre de ce matin.
***

- Mélodie ! Mélodie ! Debout ! Pour une fois, je te jure que c'est important, m'interpella une voix en me secouant énergiquement l'épaule.

J'ouvris les yeux rapidement, inquiétée par la tonalité de la voix, mais quand je découvris cette tignasse bleue, je manquai de hurler d'indignation. Ou alors de l'étouffer entre les coussins. Ou les deux.

- Non, non. Tu ne te rendors pas ! me menaça-t-il en pointant mon index sous le nez.

Je levai les yeux au ciel. Il avait un vrai don. Comment pouvait-on être à la fois si amusant et si insupportable à la fois ? C'était pas croyable, ça relevait du surnaturel.

- Je te jure que cette fois-ci, c'est vraiment important ! Et si tu te rendors, tu vas regretter de ne pas m'avoir écouté. Iris a un mec.

J'ouvris de grands yeux ronds. Plaît-il ?

- Je sais : j'ai eu exactement la même réaction ! Mais elle reçoit des messages d'un numéro masqué. Et oui, j'ai fouiné dans son téléphone. Et ne me regarde pas comme ça je culpabilise pas du tout, j'ai carrément bien fait ! C'est des coups de « je t'aime », de « chérie » de blabla. Mais elle veut garder sa relation secrète. C'est super bizarre, et super intriguant. Du coup je suis fou de rage parce que je sais pas si je dois lancer le sujet sur la table ou non. Au fond, j'aurais pas dû lire ses messages. Mais elle n'a pas le droit de pas nous en parler, non ? Si ? Je trouve ça vraiment idiot, on est ses meilleurs amis... Et puis moi, je vous ai bien parlé de ce qui se passait avec Oliver. Du fait qu'on se soit revus, qu'il était super sexy avec son blouson. Qu'il m'a touché la main, sans le faire exprès, mais je suis sûr que c'était fait exprès. Qu'on est allés dans ce café, qu'on a discuté des heures et...

Je crois qu'à un moment, j'ai un peu décroché. Alexy m'avait raconté sûrement un milliard de fois sa rencontre avec Oliver dans ce fameux café. D'après lui, le courant était passé, mais il avait toujours le problème du « petit ami ». Je lui avais conseillé, enfin mon ardoise, de continuer à être son ami, sans attendre rien de plus et de voir l'évolution de la situation. Comme d'habitude, je doutais qu'il écoute sérieusement mes conseils.
J'en étais surtout restée au fait qu'Iris avait un petit ami. Mais surtout qu'Iris ne m'en avait pas parlé. Depuis quand nous ne nous disions pas ce genre de choses ? Je lui avais même parlé de Castiel, sans tout révéler, certes, mais au moins l'essentiel. Pourquoi ce silence ? Pourquoi tout le monde avait-il décidé de faire le mort en ce moment ? D'abord Castiel, puis Lysandre, et maintenant Iris ? Quelle était la prochaine étape au juste : Alexy ? Non, je retirai cette épisode farfelue de mon esprit, Alexy serait incapable de faire le mort même s'il l'était réellement.

- Tu m'écoutes oui ? On fait quoi ? On lui en parle franco ou est-ce qu'on attend un peu ? Ou alors on peut monter un plan pour la surprendre avec son mystérieux amant, genre au lit quoi ?

Parfois je me demandais s'il entendait réellement l'écho de sa voix quand il parlait ou s'il se contentait de sortir tout ce qui pouvait traverser son petit esprit vicieux sans filtre. Je lui indiquai le chiffre deux avec mes doigts pour lui montrer la solution la plus adéquate et il soupira longuement.

- Mauvais réponse, se plaignit-il. T'es sûre que tu veux pas au moins qu'on lui pose des questions pour la piéger ? Prêcher le faux pour avoir le vrai ! Et puis, je dis même pas ça pour moi. Elle a connu tellement de déceptions avec les garçons, je suis pas sûre qu'elle en supporterait une nouvelle... Ca lui briserait le cœur. En tant que meilleurs amis, on devrait quand même s'assurer qu'elle va bien non ? Qu'elle sort pas avec un ex-taulard ou un trafiquant ?

Et bien sûr, prends-moi pour un jambon. Il devait avoir reçu un quota de curiosité malsaine plus élevée que la moyenne lorsque Dieu avait créé sa petite personne. A moins qu'il ne soit tout simplement allé chercher un petit démon en enfer.
Je lui secouai à nouveau la main sous le nez pour insister dans mon refus.

- Mais mince alors ! Qu'est-ce que vous avez tous à me contrarier aujourd'hui ? D'abord Armin qui refuse de porter la nouvelle écharpe que je lui ai acheté sous prétexte qu'elle fait fille – je tiens à préciser que le rose saumon est très viril, il n'a vraiment rien d'avant-gardiste ce garçon -, ensuite Castiel qui devait m'accompagner à l'hôpital qui me laisse tomber, et puis maintenant toi qui t'y mets, c'est pas vrai ça... Il y a un pacte, une sorte de pétition secrète pour que vous me...

Castiel avait refusé de venir me voir ? En soi, cela n'avait rien d'étonnant, il avait sûrement eu mieux à faire. Mais je trouvais cela quand même bizarre, il passait de moins en moins fréquemment et restait de moins en moins longtemps. Je ne pouvais m'empêcher d'avoir un mauvais pressentiment face à cette situation. Quand Castiel commençait à faire des cachotteries dans son coin, c'est qu'il devenait incontrôlable. J'avais tellement parcouru de chemin avec lui, je n'avais pas envie de tout recommencer maintenant. Pas alors que je commençais à peine à accepter mes sentiments. Que tout semblait s'arranger.
Castiel, qu'est-ce que tu peux bien faire encore ?  

Et Dieu créa Mélodie... entre deux pauses pipiحيث تعيش القصص. اكتشف الآن