Chapitre 6 : Physiquement et Organiquement Très Emmerdants

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  Je me sentais mal. Très mal. J'avais balancé à Lysandre et à Matt que Castiel se trouvait sans toit à cause de sa mère. J'avais l'impression d'avoir brisé le peu de confiance qu'il pourrait avoir en moi, si on partait du principe qu'il en avait bien entendu. Mais que pouvais-je faire d'autre ? Aurais-je dû me taire et prétendre que rien ne s'était passé ? Si quelque chose lui était arrivé, je ne me le serais pas pardonné.
Je savais ce que Castiel m'aurait répondu s'il avait pu entendre cette dernière pensée : « arrête de faire ta nonne Mélodie ». Est-ce que je me mêlais vraiment de ce qui ne me regardait pas ?
Je contemplais son siège habituel à la cafétéria, occupé aujourd'hui par Kentin. Je n'avais pas revu Castiel depuis le début de la semaine. Il n'était plus revenu en cours. Il nous refaisait le même scénario que l'année de la disparition de son père.
Perdue dans mes réflexions, je croquai dans ma pomme les yeux dans le vide.

- Lily, tu m'écoutes quand je te parle ? se plaignit Alexy.

Je tentai de prendre un air innocent en finissant de mâcher mon morceau de fruit. J'avais lâché son monologue quand il avait commencé à me parler de son prof de salsa apparemment très craquant.

- Mélodie t'es une vraie crado, t'as du jus de pomme sur ton débardeur ! me fit remarquer Matt en fronçant les sourcils.
- Pff, faut vraiment mater ses seins pour s'en rendre compte hein ! l'attaqua Véra avec un sourire malicieux.


Le visage de Matt devint cramoisi, il se prit une bourrade d'Armin. Et moi, j'hésitais entre me foutre de la gueule de mon voisin pris en flagrant délit ou de m'enterrer sous terre devant l'étrangeté de la situation. Je savais que mon voisin était un homme, avec des faiblesses, bien entendu. Mais Matt qui reluquait ma poitrine ? C'était... bizarre.
Et vous savez ce qui était encore plus bizarre ? Nous mangions maintenant tous les midis avec les amis de Lysandre, comme si nous étions un groupe à part entière.
Le premier repas, nous nous étions littéralement retrouvés les uns sur les autres. Nous avions encombré une petite table ronde conçue pour seulement sept ou huit personnes, mais c'est vrai qu'on s'était carrément marré. Matt s'était fichu sur les genoux d'Armin en l'appelant « ma chérie » à tout va, Kim volait de la nourriture à Lysandre pendant que ce dernier était encore dans la lune, Véra s'amusait à me faire du pied et Rosalya avait hurlé comme une folle lorsque Nora lui avait présenté son nouveau sac Marc Jacobs.
Enfin bref, un vrai bordel. Mais un bordel comme on les aime. Ces moments agréables où tu n'as qu'une envie, mettre tout en arrêt sur image et de contempler la scène indéfiniment avec un sourire aux lèvres. C'était d'ailleurs un peu ce qu'avait fait Lysandre, enfin plutôt ce qu'il faisait les trois quarts du temps. J'adorais me foutre de lui quand je me rendais compte qu'il avait lâché la conversation et était perdu dans ses pensées. C'était comme tirer Matt de son sommeil un dimanche matin : une mission haute en couleurs.
Malgré toutes ces crises de rire, il avait fallu se rendre à l'évidence : il nous fallait une plus grande table. Nous avions donc pris la décision de déplacer l'agencement des tables de la cafétéria, pour pouvoir tous s'asseoir confortablement. Les cantinières étaient folles de rage, mais elles avaient fini par céder face à la grande persuasion de Nora et les petits mots doux d'Alexy qu'elles adoraient (elles lui filaient toujours des rabs de frites le jeudi midi, ce qui me rendait folle de jalousie. On parle de frites là quand même !).
En revanche, je percevais dans cette bonne ambiance générale que Castiel, malgré son côté insupportable et tête brûlée, manquait à tout le monde. Lysandre était très affecté par sa disparition et Matt était... bizarre. Nora et Véra n'étant pas dans la confidence de ses problèmes familiaux, répétaient sans cesse avec un sourire plutôt faux qu'elles allaient le retrouver et le ramener à l'école par la peau du cul. Son absence leur pesait, ça se voyait comme le nez au milieu de la figure.
J'avais tenté de drainer des informations auprès de Lysandre mais il était resté muet comme une tombe, se murant dans le silence sur ce que pouvait bien trafiquer le rouquin.
Pour tenter de leur remonter le moral, je tentai tant bien que mal de faire le pitre (une première) et de les distraire en leur racontant mes premiers pas d'expérimentation personnelle. Parce qu'en une semaine, j'avais déjà quelques exploits à mon actif. Première nouveauté, et pas des moindres, je n'avais pas adressé la parole à Nathaniel de toute la semaine : autant dire une éternité pour l'ancienne Mélodie ! Puisque j'avais en effet donné ma démission, fini le boulot d'assistante déléguée. J'aurais aimé avoir un appareil photo pour rentrer dans la postérité la tête que Nathaniel avait fait quand je lui avais annoncé.
Malgré cela, mon absence ne semblait pas trop peser à Nathaniel qui, de toute façon, était tellement accroché à sa Sue qu'il ne traînait même plus avec nous, ce que tout le monde regrettait unanimement. Alexy était d'avis qu'il reviendrait bientôt la queue entre les jambes, fatigué de faire le « canard » et qu'on pourrait bien se payer sa tête.
Deuxième petit changement : le quatuor Iris, Rosalya, Nora et Véra avaient débarqué chez moi pour m'aider à refaire ma garde-robe qui était apparemment plutôt craignos, vu la tête qu'avait fait Nora en y mettant le nez. Du coup, j'avais un peu actualisé mes vêtements, je restais certes avec un style classique qui me correspondait mais il était dorénavant plus frais, moins « oppressant ». J'avais dit adieu à mes chemisiers remontés jusqu'au dernier bouton et à mes jupes strictes qui s'arrêtaient en-dessous de la cuisse. Iris avait même balancé toutes mes barrettes par la fenêtre. Je dois avouer que j'avais quand même un peu gueulé : après tout, je les aimais bien mes barrettes...
Ensuite, j'avais passé une nuit blanche avec Lysandre à arracher mon papier peint rose de ma chambre, et ça m'avait fait un bien fou. Même si Lysandre n'avait pas foutu grand-chose, se contentant de regarder dans le vide la plupart du temps, il avait été d'une assez bonne compagnie.
En somme, je me sentais mieux. J'avais en l'espace de quelques jours réalisé un D&CO personnel de ma façade extérieure.
C'était comme si quelque chose s'était détendu à l'intérieur de moi, je me sentais inexplicablement plus légère. J'étais toujours moi, mais j'avais desserré les liens qui m'étranglaient. D'après Iris, j'avais simplement passé le cap de l'enfance, et selon elle à 17ans, c'était pas trop tôt.

- Qu'est-ce que tu vas mettre samedi soir ? me questionna Alexy en me tirant de mes pensées.
- Aucune idée.
- Ah non ! Je te vois venir ! Je t'avertis : pas de pyjama ! Ou alors fais au moins un effort pour mettre une nuisette sexy, histoire d'attirer les beaux garçons autour de nous !
- Je pense me contenter d'un jean mais merci du conseil, ironisai-je.
- T'as réussi à convaincre ton père ? me demanda Iris, curieuse.
- Bien sûr ! mentis-je en détournant le regard.


A mon grand étonnement, ils semblèrent gober mon mensonge puisqu'ils retournèrent dans leurs diverses conversations. Seul Matt me regardait avec un air entendu et m'articula silencieusement un « menteuse » que je fus la seule à intercepter. Je lui fis la grimace idiote que nous nous faisions toujours quand nous étions petits (les joues gonflées et les yeux qui louchent), ce qui eut pour effet de le faire rire.
Cependant, les sermons de Matt n'y changeraient rien. J'avais déjà lancé la machine.
Avant de partir en boîte, nous nous rendrions chez Iris pour faire une surprise pour l'anniversaire de Nora, j'en avais profité pour faire croire à mon père que nous y passions la soirée, omettant le petit détail de la présence de garçons, et du fait que nous n'y resterons pas longtemps.
De toute façon, ce qu'il ne sait pas ne peut pas lui faire de mal, si ?

***

- Bon, tout le monde est OK ? s'assura Véra en éteignant les lumières. Matt, cache-toi derrière la porte et quand elle arrive tu la bombardes avec la chantilly, et pas de pitié ! Tous les autres : derrière les canapés et pas un bruit sinon j'vous botte le cul !

Ca faisait bizarre de voir Véra prendre les commandes, d'habitude c'était plutôt Nora qui dirigeait les choses, elle et son âme de leader. Mais étant donné que la rousse était supposée avoir la surprise de nous découvrir tous cachés chez Iris, quelqu'un avait dû prendre les choses en main : et ce fut Véra. A mon grand étonnement.
Quant à moi, j'étais planquée derrière le rideau avec Armin à ma gauche. J'étais littéralement explosée de rire parce qu'une petite araignée était installée juste au-dessus de sa tête et qu'il était à deux doigts de s'évanouir.
Je fus vite rappelée à l'ordre par l'ouverture de la porte, qui fit entrer une légère luminosité dans la pièce sombre. Véra alluma la lampe à sa droite et tout le monde sortit de sa cachette pour crier un « joyeux anniversaire » très désordonné et chaotique. De son côté, Matt se dégagea de derrière la porte, tout fier avec sa chantilly, et s'apprêtait à déverser la bouteille sur la tête de sa victime.

- Matt, si tu t'imagines une seconde faire ce à quoi je pense, je te ligote à un poteau à poil les couilles à l'air, l'avertit un Castiel plutôt remonté.
- Castiel ? s'étonna ce dernier mêlé entre enthousiasme de retrouver son ami et déception de ne pas pouvoir mettre son plan à exécution. Comment t'as su ? Tu ne m'avais même pas vu !
- T'es pas vraiment quelqu'un d'imprévisible mon vieux.


Je croisai presque instinctivement le regard sombre de Castiel. Il savait. Il savait que je l'avais balancé à Lysandre et Matt. Il mit tout le dédain dont il était capable dans son regard avant de détourner les yeux, comme s'il ne souhaitait même plus m'accorder de l'attention. C'était la pire des punitions venant de Castiel : le mépris.
Je ne pensais pas que ça pourrait me faire autant de mal, je ne pensais pas que ce qu'il pensait de moi pouvait m'atteindre. Castiel avait toujours été à mes yeux le gars qui s'énervait contre tout et tout le monde, il ne fallait pas voir cela comme une atteinte personnelle. Mais là, c'était différent, il se sentait trahi. Trahi par moi qui plus est, la petite Mélodie dont il exècre la vie qu'il croit si parfaite.

- Bordel ! Ca fait du bien de te voir ! s'enthousiasma Véra en coupant notre échange tacite. Tu m'expliques t'étais où toute cette semaine ?! Et ne me réponds pas au Pérou parce que cette fois, je ne te croirai pas ! Bon peu importe, tu nous raconteras ça plus tard, t'es en retard putain ! Va te cacher ! Si tu fais tout foirer je te jure que...
- Non mais les gars j'ai vu Nora avant d'arriver, elle vous a cramé comme des merdes elle est passée par la porte de derrière, nous apprit Castiel d'un ton neutre. En même temps avec la vieille tignasse bleue d'Alexy qui dépasse du sofa, dans le genre discret vous vous posez là quoi.
- Qu'est-ce tu traites de vieille tignasse ? s'insurgea Alexy en prenant un air vexé tout en caressant ses cheveux.
- Non mais Cast, tu déconnes là ? lâcha Kim qui peinait à rester planquée derrière la lampe de sol.
- J'ai une tête à déconner putain ? s'emporta-t-il.
- Salut les larves ! intervint soudainement une voix.


Toutes les têtes pivotèrent instinctivement vers le fond de la pièce d'où provenait la voix. Nora se trouvait appuyée nonchalamment contre la porte, les bras croisés, comme si elle nous attendait depuis de longues minutes. Le regard de Véra fit un allé retour entre sa meilleure amie rousse et notre bande. Tout le monde était en haleine, à attendre un mouvement de la part de l'une ou de l'autre. Nora avait un large sourire sur le visage, fière de nous avoir berné, et se doutant sans doute de la réaction à venir de la blonde.
Véra fronçait les sourcils pour montrer sa contrariété. Ce n'est qu'au bout de plusieurs secondes qu'elle rejeta d'un coup la tête en arrière en riant avant de se jeter dans ses bras pour hurler un « joyeux anniversaire » très aigu qui fit grimacer tout le monde.

- Bordel, vous êtes cons quand même, fit remarquer Nora en soulevant Véra du sol. Elle est où la bouteille de champagne ?
- Il n'y a vraiment que ça qui t'intéresses hein ! s'exclama Alexy en lui tendant un verre. On trinque : à notre discrétion et à tes 18ans !


***

- Pour un flirt avec toi, je ferai n'importe quoi, pour un fliiiiirt, avec toi ! chantonnai Matt d'une voix fausse en tournant comme un gamin autour de moi.
- Je serai prêt à tout, pour un simple rendez-vous, pour un flirt : avec toiiii ! renchérit Armin en passant son bras gauche sur mes épaules.
- Pouuur un petit touuuur, continua Matt avec un air coquin en me pointant du doigt ouvertement, un petit jour, entre tes draps !
- Arrêtez nom de Dieu ! Tout le monde nous regarde ! leur intimai-je en enfouissant ma tête dans le cou d'Armin, gênée par la situation.
- Je ferai des folies, pour arriver dans ton lit, pour un flirt avec toiiiiii ! ajouta Véra en sautillant devant moi.


Je ne pus m'empêcher de sourire, quelle bande d'abrutis. Ils avaient clairement remarqué que je n'étais pas au meilleur de ma forme depuis l'arrivée de Castiel et tentaient de me dérider en faisant les pitres.
Nous étions dans la file d'attente pour entrer dans la boîte et tout le monde nous regardait comme s'il nous manquait une cause. Et il nous manquait une case, clairement. Kim était en train de draguer le videur ouvertement, Castiel hurlait à Kentin depuis cinq minutes qu'il espérait voir un spectacle de strip-tease, Iris riait tellement qu'elle avait manqué trois fois de se pisser dessus et Nora était si bourrée que Lysandre la portait dans ses bras comme une princesse alors qu'elle tirait sur sa jupe pour que personne ne puisse voir sa culotte. Une belle équipe de bras cassés.
Je jetai presque naturellement un regard vers Castiel, ayant le fol espoir qu'il avait oublié cette histoire, qu'il ne me détestait plus, qu'il avait toujours un minimum d'estime pour moi. Mais il ne me regardait pas, il faisait comme si je n'existais pas. C'était dur à encaisser. Devais-je regretter mon choix ? Aurais-je dû me taire ? Me détestait-il définitivement ou était-il simplement en colère ?
Je n'eus pas le temps de pousser mes réflexions plus loin puisque le videur nous laissa entrer non sans avoir pris le numéro de Kim au passage. Je fus embarquée dans un tourbillon de bras, de cheveux et de cris de joie, attirés par la musique qui s'échappait de l'obscurité du lieu.

***
Petite note de l'auteur : je me suis rendue dans le lieu que vont visiter les protagonistes, il existe réellement et c'est un de mes endroits préférés au monde ! J'espère réussir à vous retransmettre la magie du lieu. si le cœur vous en dit !

- Foutues chaussures ! se plaignit Véra en retirant ses escarpins rouges pour finir de marcher pieds nus.
- On est presque arrivé ! assura Alexy avec un sourire. Vous allez voir j'ai découvert cet endroit par hasard en me baladant, la vue est gran-di-o-se !


Alexy était tout excité et sautait partout comme un gamin, il nous avait rabâché les oreilles toute la semaine sur sa découverte d'un endroit génial et qu'il mourait d'envie de nous y emmener.
Nous avions marché depuis la boîte de nuit, pas très droit pour certain d'ailleurs. Il était 5heures du matin et le jour commençait à pointer. J'étais fatiguée mais nom de Dieu que j'étais heureuse ! Cette soirée avait été géniale, j'avais dansé, j'avais bu du champagne, j'avais ri et c'est tout ce dont je me souvenais. C'est incroyable comme l'excitation ambiante, la chaleur humaine, la danse pouvaient aider à faire tout oublier. Je crois que même Castiel avait légèrement mis de côté sa rancune sous l'effet de l'alcool. Il m'avait marmonné quelque chose à l'oreille à un moment mais c'était rapidement ravisé en me fixant de son regard noir. Je n'avais pas cherché à comprendre ce qu'il me racontait et je m'étais retournée pour danser de nouveau avec Véra. S'il y avait un soir où rien n'avait d'importance, c'était ce soir-là.
Je levai la tête vers le ciel, les yeux fermés, inspirant la fraîcheur de l'air ambiant qui gelait légèrement mes joues rougies. Pourquoi n'avais-je pas fait un truc fou comme ça avant ? C'était tellement génial, tellement jouissif que mon cœur menaçait de sortir de ma poitrine.

- Attends mais c'est un hôpital ?! s'épouvanta Violette en s'arrêtant net.
- Fais pas ta chochotte Vio, ça vaut le coup d'œil je te le jure ! assura Alexy en passant son bras sur l'épaule de la jeune fille comme pour la protéger.


Violette leva la tête vers lui, ses yeux brillaient d'admiration. Je savais depuis toujours que l'adolescente avait un faible pour lui. Il était son exact opposé et elle l'admirait plus que quiconque, sûrement parce qu'il avait les qualités qu'elle avait toujours rêvé d'avoir : la spontanéité, un grain de folie, un côté extraverti irrécupérable. Je voyais dans son regard qu'elle aurait pu le suivre n'importe où, et son homosexualité ne l'avait jamais empêché de l'aimer. Finalement, je n'étais pas la seule à être amoureuse d'un homme inaccessible.
J'observai le grand bâtiment gris qui se dessinait sous nos yeux ébahis. C'était effectivement un hôpital désaffecté, avec de grandes fenêtres rectangulaires sur tous les murs. Alexy nous dirigea vers l'envers du bâtiment où se trouvait un petit coin de verdure.
L'hôpital était situé sur une légère colline, et derrière ce triste immeuble abandonné, sans charme et sans vie, apparut une vue imprenable sur tout Paris. J'eus l'impression d'entrer dans un jardin secret, un endroit caché du monde entier qui s'ouvrait à la vue de ceux qui voulaient bien y prêter attention. L'hôpital renfermait un secret, et pour y accéder il fallait voir mais aussi s'aventurer au-delà des apparences.
La vue était dégagée, le soleil coloriait le ciel de ce bel orange matinal, les lumières des immeubles étaient éteintes et la Tour Eiffel se distinguait vers la gauche comme pour embellir ce paysage. Il n'y avait rien à ajouter à ce tableau, tout semblait à sa place, chaque bâtiment remplissant l'espace irrégulièrement mais avec une grande harmonie. Je sifflai d'admiration, béate devant ce spectacle tout droit sorti d'un poème. Je me laissai tomber sur l'herbe en m'installant face à cette immensité qui s'offrait à nous.
La pente de la colline me donnait l'impression de pouvoir tomber dans cette grandeur, que tout était à portée de main. Une photographie n'aurait pas suffi à rendre toute cette merveille que seuls les yeux pouvaient expérimenter avec une telle euphorie.

- Je suis le roi du monde ! s'écria Castiel les mains en porte-voix face au vide, avant de lâcher un long rire qui sonnait faux.

Tout le monde se retourna vers lui. Pour la première fois depuis longtemps, il laissa entrapercevoir l'espace de quelques courtes secondes le chagrin qui était le sien dans la noirceur de ses prunelles, j'en eus un pincement au cœur. Son éclat de rire n'était pas le même que d'habitude, il avait un côté amer et sarcastique qui ne m'échappa pas. Ce fut cependant un moment éphémère, si bref que j'eus l'impression de l'avoir rêvé.
Je m'allongeai dans l'herbe, le regard tourné vers les nuages.

- Mélo t'es pétée ou quoi ? se renseigna Iris en plaçant sa tête au-dessus de la sienne.
- Pas du tout ! assurai-je en observant ses yeux bleus translucides.
- La mythooo elle est pétée comme un trou ! se moqua Alexy en s'allongeant à son tour et en posant sa tête sur mon ventre.
- Attention s'il vous plaît ! quémanda Nora en se plaçant dos à la vue pour attirer notre regard.


Je ne pus m'empêcher de ressentir un pincement de la jalousie en l'observant. Je la trouvais belle, vraiment très belle. Elle portait une robe verte émeraude moulante avec un grand dos nu. Ses beaux cheveux volaient dans le vent et je pus distinguer à ses oreilles les perles que nous lui avions offert pour son anniversaire Alexy, Iris et moi. Elle souriait bêtement, elle était vraiment très bourrée.

- Un discours ! Un discours ! comprit Matt en s'asseyant en tailleur comme un enfant devant elle.
- Et ouais ! C'est le moment émotion ! affirma-t-elle en passant avec tendresse sa main dans les cheveux de Matt. Merci pour cette soirée, qui était troooooop top.
- Tu parles, tu t'en souviendras même pas demain dans ton état, la coupa Castiel en allumant une cigarette.
- Ronron Castiel, mon petit cochon, arrête de râler ! se moqua Iris en plissant le nez.


Iris avait toujours adoré comparer Castiel à un petit cochon, il faut dire qu'il n'a pas son pareil pour grogner et pester contre le monde entier. Son caractère lui évoquait quand elle était petite, va savoir pourquoi, le bruit d'un cochon se roulant gracieusement dans la boue.

- Si c'est une nouvelle référence à ton côté petite cochonne dévergondée, désolé, j'suis vraiment pas intéressé, assura Castiel en tentant d'allumer sa clope en la protégeant du vent avec sa main.
- Eeeeeet silence ! intima Nora en levant un index vers le ciel. Je parle ! Donc, je voulais dire : cette soirée était GE-NI-ALE, merci d'être là et de m'offrir un anniversaire au topppp. Je sais pas vraiment comment on en est arrivé à mettre autant de temps à se faire une sortie tous ensemble alors qu'on se connaît tous depuis au minimum le lycée. J'sais pas non plus comment je fais pour vous supporter d'ailleurs. Tout ça pour diiiiire que j'aimerai trinquer à cette soirée, et aux prochaines ! Hé ! ajouta-t-elle en regardant autour d'elle. Il n'y a pas de verre ! C'est quoi ce bordel ?!
- Pas grave ! T'as qu'à faire semblant ! proposa un Armin qui matait ouvertement le décolleté de Véra à sa gauche.
- Ouais, t'es pas bête toi, lui dit-elle en levant son poing vers le ciel comme une rockeuse. A notre année !


J'avais envie de boire ses paroles, j'avais envie de les interpréter comme une promesse, un pacte tacite entre nous, 13 adolescents totalement différents et qui avaient du coup une telle légitimité à être ensemble. Chacun apportait sa touche personnelle à cette grande entreprise, nous faisant sentir encore plus vivants, encore plus entiers. Un groupe complet en somme. Je savais qu'ils allaient m'insuffler quelque chose de nouveau, que les côtoyer avait une grande influence sur mon comportement, qu'ils allaient m'aider à oublier Nathaniel. C'était la première fois depuis longtemps d'ailleurs que j'avais passé une soirée entière sans une pensée pour le blondinet, je ne pus m'empêcher de sourire. Qui aurait cru qu'une révolution personnelle passait aussi par les rapports aux autres ?
Comme pour confirmer que tout ça était bien réel, je glissai mes mains dans les mèches bleues d'Alexy. Il ronronna de plaisir.

- Tu faisais tout le temps ça quand on était petits, tu te rappelles ? me confia-t-il soudainement sans me regarder. J'adorais venir m'asseoir à côté de toi parce que tu ne pouvais t'empêcher de me caresser la tête. Et tu sais à quel point je raffole des papouilles.
- Oui je me rappelle, intervint Lysandre un sourire aux lèvres et le regard perdu dans le passé. Une fois je m'étais assis à côté de toi dans le parc et tu avais instinctivement passé la main dans mes cheveux. C'était très émouvant. Personne ne m'avait jamais fait ça auparavant.


Je les regardai, l'un après l'autre. Je tentai d'en raviver le souvenir mais je n'y arrivai pas. La seule chose qui me vint à l'esprit fut ma mère, qui venait chaque fois m'embrasser le soir et passer sa main si douce sur ma joue et la descendait jusqu'au bout de mes mèches brunes pour me souhaiter bonne nuit.
Elle m'aura au moins laissé quelque chose avant de partir.

- Moi je me rappelle surtout d'elle et Iris qui partaient à toutes les récrés farfouiller dans les brins d'herbe, persuadées que la fée Clochette s'y trouvait, ajouta Armin un sourire aux lèvres.
- Tout ça à cause de Castiel, lâchai-je en tournant mon regard vers le rebelle. Tu t'en souviens ?


Ce dernier tourna lentement sa tête vers moi et posa ses prunelles dans les miennes. Son regard ne me laissa aucun doute sur le fait qu'il avait compris ma manœuvre pour tenter de nous rabibocher. Je crus un instant qu'il allait m'ignorer, mais il finit par hocher la tête.

- Bordel vous croyiez tout et n'importe quoi, marmonna-t-il, néanmoins toujours distant. Je vous avais balancé que je l'avais écrasé avec mes pompes et vous étiez parties comme des folles en hurlant à sa recherche. Deux vraies débiles.
- Holalala ! Qu'est-ce que j'avais pu chialer ! s'exclama Iris en riant. T'étais déjà une vraie petite pétasse à cet âge !
- Que veux-tu ? C'est inné le talent, se complimenta Castiel en haussant les épaules.
- La connerie aussi ! rétorqua Véra en lui arrachant sa clope de la bouche avant de la placer entre ses lèvres.
- Véra, je croyais que t'avais arrêté ! la réprimanda Nora en tâchant de rester sérieuse.
- Rho ça va hein, c'est juste pour ce soir, promis.


Nous restâmes encore dans notre jardin secret une bonne heure, à se chamailler, à discuter, à rire, à chanter. A faire des trucs d'adolescents. A faire des trucs insensés. A faire des trucs que je ne faisais pas. A faire des trucs que j'avais envie de refaire. Pourquoi personne n'était venu me prévenir à quel point c'était fantastique de simplement profiter du moment présent au lieu de rester chez moi coincée entre mes devoirs et ma vie étriquée ?
Sûrement parce que je n'aurais jamais voulu arrêter.

***

Les lumières de ma maison étaient allumées, je fronçais les sourcils : mon père commençait-il aussi tôt ? Comment allais-je rentrer sans me faire griller ? Zut de zut !
Je m'approchai de la fenêtre, Lysandre derrière moi.

- Pourquoi ils sont réveillés à ton avis ? m'enquis-je en croisant ses yeux vairons.
- Aucune idée, m'assura-t-il. On peut toujours passer par la fenêtre de ma chambre.
- Alors là tu peux rêver ! Je veux pas mourir moi ! Ta fenêtre est à plusieurs mètres du sol et il faut escalader le mur ! Je vais tenter une percée offensive et directe par la porte. Mon père doit être en train de prendre un café, il a dû faire une insomnie.
- Comme tu veux, abandonna Lysandre en s'éloignant. Envoie-moi un message quand tu es bien dans ta chambre ou si tu as un quelconque problème.
- Promis mon général ! lui affirmai-je en lui faisant un salut militaire qui le fit rire doucement.


Je tentai de distinguer des formes par la vitre, mais personne ne semblait réveillé. Je me décidais à ouvrir la porte d'entrée, persuadée que mon père avait tout simplement dû oublier d'éteindre les lumières. Je retirai mes chaussures pour ne pas faire de bruit en marchant sur le carrelage. Je refermai la porte derrière moi le plus silencieusement possible.
Je m'apprêtai à gravir les escaliers sur la pointe des pieds lorsque j'entendis la voix grave et très énervée de mon père en pleine conversation téléphonique.

- Comment ça Aline ? Tu ne penses qu'à toi tout le temps c'est pas possible ! Je suis mort d'inquiétude !

Aline ? Pourquoi diable mon père parlait-il avec ma mère ? Mon sang se glaça dans mes veines, ce n'était pas bon signe. Pas bon signe du coup. Alors sans réfléchir, je me dirigeai vers l'endroit d'où provenait la voix, curieuse de découvrir le motif de la discussion. Elle n'appelait jamais en dehors de Noël et de mon anniversaire habituellement.
Quand mon père m'aperçut, il manqua de lâcher le combiné. Il paraissait fatigué, il n'avait pas retiré son costume de la veille et ses yeux étaient entourés de très grosses cernes. Il ne s'était pas rasé et ses cheveux étaient tout ébouriffés.

- Mélodie nom de Dieu ! Où étais-tu passée ?! hurla mon père en sautant sur moi. Je t'ai cherché toute la nuit !
- Comment ça ? tentai-je en regrettant de ne pas être montée me cacher dans mon lit.
- J'ai appelé le père d'Iris pour m'assurer que tu étais bien arrivée et il m'a dit que sa fille n'était pas là du week-end puisqu'elle était supposée dormir chez nous ! Qu'est-ce que tu as fait Mélodie ?


Et merde. C'était la dernière fois qu'Iris et moi nous servions mutuellement d'excuses. J'avais eu trop vite fait d'oublier le tempérament de mon père.

- Rien du tout, mentis-je. J'ai dormi chez Rosalya.
- Ne me mens pas Mélodie. Je me suis tellement inquiété ! J'ai cru que tu t'étais enfuie, j'ai imaginé le pire et j'ai dû appeler ta mère !


J'entendis au son de sa voix à quel point devoir quelque chose à ma mère le détruisait. Il ne voulait plus rien à voir à faire avec elle. Quand cette dernière appelait à la maison pour me souhaiter un joyeux Noël ou mon anniversaire, il se contentait de lâcher un petit soupir las. Rien que de la savoir au téléphone l'agaçait.

- Papa, je suis juste sortie. Tout va bien, tentai-je de le rassurer en levant les yeux au ciel.
- Comment ça tout va bien ?! s'emporta-t-il soudainement. Qu'est-ce qui t'arrives nom de Dieu en ce moment ? D'abord tes cheveux, puis ta chambre et ensuite le fait que tu me répondes et maintenant voilà que tu me mens ! Ca ne va pas du tout Mélodie, pas du tout.
- Papa, je vais bien, répétai-je. J'ai jamais été aussi bien d'ailleurs !
- C'est à cause de Miranda ?
- Mais pas du tout ! assurai-je en ouvrant grands les yeux.
- Tu vas être privée de sortie Mélodie, je te le garantis, me menaça-t-il tout en semblant néanmoins soulagé. Tu n'es pas prête de me refaire un coup pareil !
- Désolée si tu t'es inquiété pour rien, mais je ne suis pas insouciante, je suis responsable tu le sais bien ! Je n'ai pas fait quelque chose d'idiot ! Je suis juste sortie avec mes amis, c'est si mal que ça ?
- Quand il faut mentir à ton père pour le faire, oui !
- Tu ne m'aurais pas laissé y aller sinon ! lui reprochai-je en haussant à mon tour le ton. Tu ne me laisses jamais vivre, tu as trop peur que je me brise papa ! Mais c'est en agissant comme ça que je serais incapable de me protéger lorsqu'il m'arrivera de vrais problèmes !
- Ne rejette pas la faute sur moi ou ça risque de très mal aller Mélodie. Je m'assure simplement de ton éducation et de ta réussite ! Cela ne fait pas de moi un mauvais père ! Je ne veux plus entendre un mot de plus sortant de ta bouche, tu es privée de sortie jusqu'à nouvel ordre.


Je soufflai bruyamment, sachant pertinemment que cela ne servait plus à rien d'argumenter. Mon père n'était pas d'humeur à discuter&. Surtout s'il y avait encore ma mère à l'autre bout du fil.

- C'est bon, je l'ai retrouvé, ajouta-t-il à l'intention du téléphone. Au revoir. Comment ça tu veux lui parler ? Aline, je... Je ne crois pas que ce soit le bon moment. Hum, hum. Bon très bien. 5minutes, il est tard.

Il me brandit le téléphone et je le regardai quelques instants en hésitant à m'en saisir. J'étais énervée contre lui, nous ne nous étions encore jamais disputés comme ça. De plus, je n'avais pas envie de parler à ma mère. Une remontrance parentale m'avait largement suffit pour la journée. Devant l'air irrité de mon père, je me décidai néanmoins de le prendre.

- Allô ? lançai-je d'une petite voix hésitante.
- Mélodie ? entendis-je à travers le combiné. Tout va bien ?
- Oui et toi ? répondis-je simplement.


Avec ma mère, les discussions n'étaient pas profondes. Nous échangions toujours les mêmes banalités, j'aurais pu écrire à l'avance notre dialogue tellement nous nous répétions. Nous n'avions rien d'autre à nous dire de toute façon. Ou plutôt, je n'avais rien d'autre à lui dire. Elle passait son temps à me raconter à quel point sa vie en Inde était fantastique et ne se rendait pas compte à quel point je pouvais lui en vouloir. A quel point j'aurais mendié pour avoir ne serait-ce qu'un petit moment d'attention de sa part.

- Il faut que je te parle de quelque chose d'important, reprit-elle d'une voix lointaine.
- Hum hum ? marmonnai-je en préméditant un long monologue.
- Tu te souviens de Peter ? Je t'ai parlé de lui en décembre ?
- Ton nouveau copain ? devinai-je en tentant de défaire un nœud dans les cheveux.
- Oui, c'est ça. Et bien... Nous allons nous marier parce que...
- Très bien, félicitations, la coupai-je froidement, lasse de devoir sans cesse l'écouter.
- Je n'ai pas fini Mélodie, je suis enceinte. C'est pour ça que nous souhaitons nous marier.


Je laissai tomber le téléphone de mon père sur le sol sous le choc. Enceinte ? Ma mère ? Cette femme qui n'avait même pas été fichu de s'occuper de moi ?
C'était comme un coup de poignard. Ma mère ne me trouvait pas assez bien, pas assez intéressante, pas assez réussie. C'était donc pour ça qu'elle m'avait abandonné ? J'avais toujours cru au fond de moi que c'était parce qu'elle n'était pas faite pour être mère, que ce n'était pas de sa faute. Mais alors pourquoi un autre enfant ? Voulait-elle une nouvelle chance d'avoir un bébé qu'elle arriverait à aimer ? Désirait-elle devenir une « bonne mère » pour cet enfant mais pas pour moi ?
Je sentais que mes yeux me piquaient, que j'étais sur le point de craquer. Et je ne voulais pas le faire devant mon père, qui ne semblait d'ailleurs plus énervé du tout mais plutôt désolé. Il savait alors ?
Je fis donc la seule chose censée, je montai les marches de l'escalier sans un mot et me dirigeai vers la chambre de mon demi-frère pour tenter d'y trouver du réconfort. J'avais besoin de parler à quelqu'un qui ne se rapportait pas de près ou de loin à mes parents.
J'ouvris la porte sans prendre la peine de toquer, je n'entrais habituellement jamais dans sa chambre mais il comprendrait avec facilité la gravité de la situation. Je lui avais déjà parlé de ma mère, il connaissait ma situation. Je refermai derrière moi la porte, la vue floue à cause des larmes qui coulaient le long de mes joues.
Je l'aperçus rapidement, il était en T-shirt et jogging assis en tailleur sur son lit double. Il releva ses yeux de son bouquin pour me regarder. Au départ, il parut paniqué, ce que je ne compris pas, puis quand il s'aperçut que je n'allais pas bien il se releva instinctivement et fit un geste vers moi. Je brisai la distance qui nous séparait et me blottit avec force dans ses bras. J'enfouis mon visage dans son torse.

- Qu'est-ce qu'il se passe Mélodie ? Parle-moi, chuchota-t-il en me caressant doucement le dos.
- C'est ma mè-mère, bégayai-je entre deux sanglots. Elle va a-avoir un autre bébé. Tu t'ima-magines ? Elle ne s'est jamais intéressée à moi ! Et maintenant elle veut, elle veut, un autre enfant. Elle refait sa vie, c'est fi-fini ! Elle ne reviendra plus... Qu'est-ce que j'ai fait Lysandre ? Qu'est-ce que j'ai fait pour qu'elle me déteste comme ça ?


Je pleurai alors à chaudes larmes, secouée violemment par de longs sanglots. J'agrippais son T-shirt fermement entre mes mains, pour me calmer. Je n'avais jamais pleuré ainsi, jamais. Même pas quand elle était partie. Pourquoi pleurer maintenant ? Je n'en savais rien.
Lysandre n'ajouta rien, se contentant de m'offrir la chaleur de son étreinte. Je me laissai aller contre lui, j'avais confiance en Lysandre, je savais qu'il était là pour moi et ne cessait de me le prouver. Mes larmes finirent par se tarir, grâce à la douceur de son étreinte.
Je décidais néanmoins de rester dans cette position encore quelques instants, profitant de la protection de ses bras.
Je finis par me détacher de lui pour essuyer douloureusement mes joues. En m'éloignant de mon demi-frère, j'heurtai quelque chose du pied et manquai de tomber à la renverse.
En baissant le regard pour identifier ce qui avait manqué de me faire chuter, je découvris un matelas gonflable et un duvet installés sur le sol. Je fronçai les sourcils : pourquoi vouloir dormir par terre alors que son lit est le plus confortable de la maison ? Encore un de ses délires étranges de poète torturé ?
Je relevai mon visage d'incompréhension vers lui et il s'apprêtait à s'expliquer lorsque j'entendis une voix provenant de derrière moi :

- Et merde, cramés.

Je me retournai brusquement pour découvrir Castiel, debout derrière le battant de la porte habillé d'un simple jogging. Il ne me fallut que quelques secondes pour comprendre la situation.

- Ne dis rien à Philippe, Mélodie, me supplia Lysandre.

Je fronçai les sourcils, Lysandre avait dû réfléchir longtemps à la situation. Mentir à mon père ne lui ressemblait pas et devait clairement ne pas lui plaire, je l'entendis dans le ton suppliant de sa voix. En même temps, je connaissais mon père, il n'avait jamais porté Castiel dans son cœur. Il voudrait l'envoyer dans un foyer d'accueil ou je ne sais quoi pour ne pas l'avoir sous ton toit, ce que le rebelle refuserait catégoriquement.
Allais-je devoir donc encore mentir à mon père ?
Je jetai un regard vers Castiel, il ne disait rien. Cependant je savais qu'il réagirait au quart de tour à n'importe laquelle de mes réponses. Il détestait s'imposer, avoir l'impression d'obtenir la charité. Il était bien trop fier pour ça. Lysandre avait dû tellement insister pour le convaincre de venir dormir à la maison. Il fallait que je réfléchisse bien avant d'ouvrir la bouche.

- Non c'est bon, c'est ta chambre, tu fais ce que tu veux, finis-je par dire simplement en haussant les épaules.

La tension dans la pièce se détendit instantanément. Je m'apprêtai à quitter la chambre de Lysandre lorsque ce dernier me chuchota :

- Mélodie, reste discuter un peu avec nous.

J'acceptai lentement en hochant la tête, j'avais besoin de parler, de vider mon sac. Tant pis si Castiel se trouvait dans le coin pour écouter. J'en avais lourd sur la patate.  

Et Dieu créa Mélodie... entre deux pauses pipiWhere stories live. Discover now