Chapitre 30 : Comme dans un hublot ouvert

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  Il me semblait qu'il s'était écoulé des heures et des heures depuis que Castiel avait passé la porte de la chambre d'hôpital. C'était étrange comme ma notion du temps était perturbée depuis que j'étais coincée ici. L'annonce qu'il m'avait faite n'avait fait qu'accentuer un sentiment déjà bien présent. Je n'avais pas bougé d'un poil, j'étais restée les bras le long du corps, la tête contre l'oreiller, les joues humides. C'était comme si mon corps était en train d'analyser le choc, de l'appréhender, de le comprendre, de le regarder avec prudence. Il était parti. Un an. Un an, ça me semblait peu et énorme à la fois. Peu car le temps passait tellement vite, et énorme car il pouvait se passer tellement de choses. Autant de mon côté que du sien. J'avais l'impression qu'on ne me rendrait jamais le Castiel que j'avais connu, que cette distance allait briser le lien que nous avions établi pendant ces derniers mois. Et ça me tuait. Je ne savais pas pourquoi, mais c'était en train de me ronger de l'intérieur.
C'était trop. Tout ce qui se passait, c'était trop. Mon accident, ma mère, Castiel, mon Bac, mes études, c'était trop. Je me mis soudainement à pleurer. J'étais restée immobile si longtemps, c'était comme de souffler après avoir retenu trop longtemps sa respiration. J'étais secouée de tremblements, et j'avais maintenant du mal à respirer. Mon nez refusait de faire rentrer de l'air dans mes poumons. Il fallait que j'ouvre la bouche, il fallait que je respire. Je me relevai d'un coup sur le lit, le cœur battant à tout rompre, et avec l'impression déchirante que ma trachée s'était soudainement endurcie. Je passai mes mains sur ma gorge avec force, je me mis à gesticuler pour tenter de déclencher l'arrivée d'air. Rien n'y faisait. Mes mains se posèrent sur mes tempes alors que mon visage prenait une teinte rouge effrayante. Il fallait que j'enlève la plaque dans ma bouche, il fallait que je l'arrache.
A ce moment-là où je m'apprêtai à commettre l'irréparable, quelqu'un fit son entrée. Dans ma panique et avec ma vue trouble à cause de toutes mes larmes, je fus incapable de déceler son identité, mais j'entendis des mots. Une voix. Une voix calme, posée, qui se rapprocha de mon visage. Et soudainement, cet inconnu me gifla. Ma tête se déporta sur la gauche, et le choc du coup associé à la douleur qu'il m'avait provoqué dans la mâchoire détourna suffisamment mon attention pour me permettre de calmer. Je réussis finalement à prendre une grande inspiration d'air.
Il me fallut plusieurs longues minutes pour retrouver un pouls correct, pour que la douleur que la baffe m'avait causée dans la mâchoire ne s'estompe, et pour que ma respiration ne reprenne un rythme normal.
Je tournai le regard vers la personne qui m'avait tirée de ma crise de panique.

- Désolée Mélodie, je suis tellement désolée, commença ma mère en s'approchant avec retenue de mon lit. Il fallait que je te donne cette gifle, j'ai déjà fait des crises de panique comme celle-ci et je sais que cela reste la meilleure méthode, quoi que brutale. Je suis désolée ma chérie.

Je conservai le silence, toujours légèrement retournée. Nous nous contemplâmes ainsi pendant de longues secondes, elle était gênée et hésitait sans arrêt à me toucher de ses mains. De mon côté, je demeurais abasourdie. Ma mère était venue me rendre visite une ou deux fois, mais toujours accompagnée de mon père. J'avais deviné que c'était ce dernier qui avait imposé cette limite afin d'éviter de ne me rendre plus stressée que je ne l'étais déjà. Apparemment, il ne m'avait pas fallu ma mère pour perdre totalement les pédales.

- Ton père serait totalement paniqué s'il t'avait vu comme ça, reprit-elle en fronçant les sourcils. Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Tu as mal quelque part Mélodie ? Tu veux que j'appelle une infirmière ?

Je secouai doucement la tête. Non, je n'avais pas vraiment envie de voir qui que ce soit. Et surtout pas ma mère. Pour la première fois de ma vie, je me fichais totalement de ne pas avoir cet exemple maternel à qui se confier, j'avais actuellement juste besoin de solitude. Rares étaient les moments où je réussissais mieux à encaisser les choses par moi-même, mais celui-ci en était un.

- Tu veux en parler ? Est-ce que ça a un rapport avec ce garçon avec les cheveux rouges que j'ai croisé dans le couloir ? Il avait l'air très en colère, il t'a fait du mal ?

Je ne savais pas quoi répondre à cette question. Castiel me faire du mal ? A croire qu'il en était capable, en effet. Il s'était toujours amusé à me rendre la vie impossible. Je resserrai le drap de mon lit dans mes mains.

- C'est le petit ami dont m'a parlé ton père ?

Bon sang, pourquoi me posait-elle toutes ses questions ? Je n'essayai même pas de faire semblant d'y répondre, je me contentai de regarder dans le vide en espérant qu'elle trouverait elle-même les réponses à ses interrogations.

- Je sais que tu n'as pas envie d'en parler avec moi, continua-t-elle en baissant le regard. Et je te comprends. Je... Je veux vraiment faire des efforts Mélodie. Je sais que je ne rattraperai jamais tout ce que j'ai perdu, mais j'ai au moins envie qu'on essaye de se connaître. Tu sais, je sais ce que ça fait un chagrin d'amour. J'ai eu ton âge.

Je n'avais définitivement pas envie d'avoir cette conversation. Pas maintenant. Pas maintenant. Elle ne pouvait pas décider de jouer son rôle de mère aujourd'hui. Aujourd'hui, j'avais besoin de solitude, j'avais besoin de réfléchir, je n'avais pas besoin de l'entendre me raconter toutes ses anecdotes de chagrin d'amour pour me changer les idées. Ca ne me changerait pas les idées. Je lui lançai un regard, qui je l'espérais, exprimait toutes les émotions que je pouvais ressentir à cet instant. Je vis ses sourcils se froncer, et sa bouche former un petit rictus. Elle avait compris, mais je lui avais clairement fait de la peine, je le lus dans ses yeux. Qu'espérait-elle de toute manière ? Que nous allions partager notre lit et nous raconter des histoires de garçons ? Non. Je n'avais pas envie de lui parler de Castiel. Non, je n'avais pas envie de lui parler à quel point j'avais envie de hurler. De hurler de frustration d'être coincée ici alors que lui partais. De hurler de peur de ne toujours pas savoir où allait ma vie alors que lui était si déterminé, qu'il avait le courage d'assumer ses rêves et de les vivre. De hurler de colère parce que je ressentais bien trop de choses pour que son départ ne me donne pas un terrible sentiment d'injustice, d'insatisfaction.
Mais surtout de regret. Coincée dans un film où toutes les répliques ne commenceraient que par des « et si ».

- Je sais que tout le monde dit ça, et que c'est ridiculement cliché. Mais ce n'est qu'un garçon, ce n'est pas le premier, et ce ne sera certainement pas le dernier.

Je détestais cette phrase. Je la détestais. Quel intérêt ? Quel intérêt de savoir qu'il n'était ni le premier ni le dernier ? La douleur n'en était pas moins grande, pas moins lointaine, pas plus relativisée. Il était parti. Qu'il y en ait cinquante après lui n'y changerait rien. La douleur restait la même.

- Je voulais te parler de quelque chose, mais j'ai l'impression que ce n'est pas le bon moment... Est-ce que tu veux que je repasse plus tard ?

Je passai mes mains de mes joues à mon front en lâchant un grognement à peine audible en guise de réponse.

- D'accord, je vais te laisser un peu, accepta-t-elle en passant la bandoulière de son sac en toile par-dessus son épaule. Mais Mélodie, si ça ne va pas, n'hésite pas à m'appeler. Tu as mon numéro. Ou si tu ne veux pas me parler à moi, ni à ton père, tu as toujours Iris. C'est ta meilleure amie c'est ça ? Je suis sûre qu'elle aura de biens meilleurs conseils que moi, surtout qu'elle a l'air d'avoir une très belle relation avec sa petite amie.

Je laissai tomber mes mains de mon visage lentement sous le choc, en relevant soudainement des yeux étonnés vers elle.

- J'ai dit quelque chose ?

***

De : Mélodie
A : Alexy
C'est quoi cette histoire ?!

De : Alexy
A : Mélodie
T'es au courant pour Castiel ? Je saute dans le bus si ça va pas, il te suffit juste de me le dire. Je comprends, c'est dur pour tout le monde...

De : Mélodie
A : Alexy
Ecoute, je ne veux vraiment pas du tout parler de ça maintenant. Je te parle d'Iris là. Et de sa COPINE.

De : Alexy
A : Mélodie
Attends. Rassure-moi : c'est pas moi qui aie craché le morceau ? Je voulais tellement t'en parler que j'en ai rêvé, ou du moins, je croyais que c'était un rêve...

De : Mélodie
A : Alexy
Donc c'est vrai ? J'en reviens pas...
Et non, pour une fois, tu n'es pas impliqué dans l'histoire. Comme quoi, ça arrive les miracles ! Ma « mère » a vu Iris embrasser une fille dans un couloir de l'hôpital. Comment tu le sais toi ?

De : Alexy
A : Mélodie
Disons que je l'ai légèrement suivi après les cours plusieurs jours d'affilée. Et je l'ai surprise. Elle m'a aussi surpris d'ailleurs, et m'a passée un gros savon. Si je te répétais quoi que ce soit, elle m'a dit qu'elle ne voudrait plus jamais me parler. Je suis soulagé maintenant, j'ai plus peur de faire de gaffe !

De : Mélodie
A : Alexy
Mais... Pourquoi elle ne nous en a pas parlé ? Je ne comprends pas... Je suis sa meilleure amie, j'aurais aimé partager ça avec elle...

De : Alexy
A : Mélodie
Mél, j'ai vécu ça aussi. Tout est confus, on perd tous nos repères, on a peur de la réaction des gens qu'on aime, on a peur de nos propres réactions. Il m'a fallu du temps avant de l'accepter. Laisse-lui le temps. Pour une fois, je sais de quoi je parle. Elle voudra le partager avec toi, mais pas maintenant.

De : Mélodie
A : Alexy
Je veux juste m'assurer qu'elle va bien ! Tu ne sais pas tout, elle a vécu des trucs pas cool ces derniers temps... J'ai peur qu'elle souffre encore, c'est tout.

De : Alexy
A : Mélodie
T'inquiètes. Avec Kim en guise de copine, je peux t'assurer que personne lui cherchera des noises.

De : Mélodie
A : Alexy
KIM ?! Elle sort avec Kim ?!

De : Alexy
A : Mélodie
Merde. J'ai gaffé ? Ca va encore se retourner contre moi cette histoire ! Et dire que le fait de ne plus t'entendre parler commençait à me manquer...


***

Quel train avais-je manqué ? J'avais forcément loupé quelque chose dans ma vie. Rien n'allait. Tout ne tenait presque qu'à un fil : le garçon qui me plaisait venait de partir pour un an, je n'avais pas été fichu de me rendre compte que ma meilleure amie était secrètement homosexuelle, j'étais incapable d'avoir une discussion avec ma mère sans lui en vouloir à en crever et mon frangin –ou ce qui s'en rapprochait le plus tout du moins – avait écrit un livre inspiré par ma personne mais refusait de me le montrer. Tout ne semblait s'écrouler autour de moi, et je ne m'étais pourtant jamais sentie aussi solide. La Mélodie du début de l'année qui avait eu le cœur brisée par son premier amour avait bien évolué, ses épaules étaient devenues bien plus dures, bien plus aptes à affronter les difficultés.
Ce qui n'empêchait pas le fait que tout était difficile en ce moment pour moi. Tout. Quelques jours s'étaient écoulés, et j'avais fait comme si de rien était. J'avais fait comme si Castiel ne partait pas, j'avais fait comme si Iris ne me cachait pas quelque chose d'aussi gros, comme si je ne comptais pas rester coincée ici encore un mois.
Ma meilleure amie était passée me voir, et loin de ressentir de la colère, je l'avais serré encore plus fort contre moi, mes lèvres s'étaient attardées plus tendrement sur sa joue et je l'avais regardé avec émotion. Elle avait assimilé mes larmes à ma tristesse du départ de Castiel, elle n'avait pas eu entièrement tort. Mais j'avais aussi pleuré pour elle, parce que je l'aimais et que je me faisais du soucis pour elle, pour ce qu'elle traversait en ce moment.
Perdue dans mes réflexions, il me fallut un peu de temps avant d'entendre quelqu'un toquer à la porte de ma chambre, avant de passer la tête par l'embrasure. Je reconnus immédiatement Lysandre, et sa chevelure blanche si reconnaissable. Je ne croisais pas son regard, et je devinais tout de suite qu'il était d'humeur mélancolique. Il n'eut pas besoin de dire quoi que ce soit, je compris facilement ce qui le mettait dans cet état. Nous étions vendredi. Castiel venait de partir.
Lysandre se dirigea vers moi sans un mot, les yeux d'un vide total qui était très rare chez lui. Il ne disait toujours rien, et il se cala sur le lit à côté de moi pour mon plus grand étonnement. Je le regardai un instant, il semblait gêné. Lysandre n'était pas du tout tactile, ou que dans les très rares cas où il en ressentait un besoin primaire, vital. N'étant pas en mesure de le réconforter par des phrases douces, je décidai presque instinctivement de prendre l'initiative de serrer sa tête entre mes bras en reposant ma joue sur ses cheveux doux. Il avait ce point commun avec Castiel, les contacts humains étaient toujours très laborieux avec eux pour des raisons différentes mais qui me touchaient particulièrement. Lysandre parce qu'il était trop dans la lune, comme un extra-terrestre ayant atterri sur terre qui n'aurait pas connaissance des habitudes humaines, et Castiel comme une bête sauvage qui refusait de se laisser apprivoiser par peur, et surtout par fierté.

- Tu vas peut-être trouver cela étrange, finit-il par dire le visage toujours caché dans mes bras, mais j'étais presque content de découvrir cette photographie de lui en habit d'Adam sous mon oreiller.

Je lâchai un gloussement qui s'évanouit dans ma gorge. Bon sang. C'était fini tout ça. C'était fini.

- Je voulais l'accompagner à l'aéroport, mais il a caché mon téléphone dans la nuit. J'aurais dû me douter qu'il ne voudrait pas d'au revoir.

C'était tellement bizarre de voir Lysandre dans sa fragilité. Il n'y paraissait pas, mais il était sûrement le plus solide d'entre nous. Et étonnement, j'avais l'impression qu'il se confiait avec bien plus de facilité à la Mélodie muette. Sûrement parce qu'il avait horreur de la curiosité, et que là, c'était de la pure générosité, de la pure spontanéité. Il ne se sentait pas forcé de me raconter, il le faisait naturellement, sans question, sans conversation. C'était bien entendu toujours limité à ce qu'il acceptait de ne pas garder pour lui-même, mais c'était mieux que rien. J'avais toujours eu en tête que derrière Lysandre, il devait se cacher tout un monde, tout un univers qui ne lui serait jamais ouvert qu'à lui. Cet aspect était tellement fascinant chez lui, comme s'il avait toujours plus à apprendre aux autres, une éternité de trésors et merveilles. Je retrouvais d'ailleurs cet aspect dans sa façon de chanter, une voix à la fois tellement mystérieuse, sensible, qui cachait tout une facette de lui-même à jamais enfouie, et en même temps d'une grande générosité. C'était tout à fait Lysandre finalement.
Il se releva soudainement, et sortit son carnet de cette fichue poche de manteau. Il avait besoin d'écrire tout ça, je le savais. Il se releva, et se dirigea vers la porte de ma chambre. Il se stoppa à portée du meuble télé et déposa une enveloppe plutôt épaisse, toujours dans un silence religieux. Je manquai de sauter dessus quand je compris de quoi il était question : son livre. Par respect pour sa pudeur, sa timidité sur ce travail, je me décidai à patienter avant d'aller le récupérer. Il quitta la chambre comme il était venu, sauf que son nez était dorénavant collé à son carnet. Il avait retrouvé ce regard pétillant quand il était inspiré, celui qui montrait que son esprit fonctionnait à pleine régime. Je l'observais avec un sourire aux lèvres reprendre le chemin de la sortie. Lysandre. Mais quel Lysandre.
Je contemplai le vide de ma chambre, et je sentis un malaise. Je venais de réaliser, en retard de plusieurs minutes, que ça y est, Castiel était parti. J'avais toujours détesté les niaiseries des films d'amour, avec des je t'aime gaspillés bien trop facilement et qui ne voulait presque plus rien dire, ou la mise en avant d'un côté bien trop pathétique qui faussait les sentiments. Mais là, il était parti. Enfin, c'était réel maintenant, ce n'était plus quelque chose d'hypothétique, de lointain, d'abstrait. Non, non, il était dans son avion, au-dessus de l'Atlantique, en train de crier sur son voisin de cabine qui lui bavait sur l'épaule. Castiel avait commencé à prendre tellement de places dans ma vie que je pouvais voir avec une facilité incroyable le trou qu'il y laissait. Je savais que j'aurais ressenti cette douleur avec n'importe quel autre membre du groupe, car chacun avait une place spéciale, comme un puzzle, une personnalité propre, un caractère si spécifique. Mais je ne me serais jamais attendue à ce qu'il puisse me manquer comme ça, jamais.
Je regardais la pochette de Lysandre avec un espoir fou, elle devait me changer les idées. Et qui sait, peut-être en apprendrais-je sur moi-même ?

***

- Bordel Artie, arrête de mater les seins de cette hôtesse de l'air, je grogne en suivant le regard du bassiste du groupe.

Artie est un personnage, un sacré putain de personnage. Il a une partie du crâne rasée, de longs cheveux blonds qu'il attache constamment en un chignon flou. Il me fait un clin d'œil goguenard avant de partir dans un long rire grave. Ce type me fait mourir de rire. Il reprend sans aucune gêne sa contemplation de la belle hôtesse de l'air rousse.

- Me dis pas que c'est pas ton style ! C'est le style de tout le monde cette nana, mate-moi ce corps, grogne-t-il en levant un bras vers elle.

J'aperçois son tatouage qui dépasse de sa manche, une fleur de lys. Je ne sais pas pourquoi, mais il m'impressionne, ce tatouage. Sûrement parce qu'il est totalement en décalage avec Artie, un gars totalement désordonné, qui déteste l'ordre, le propre sur soi. Et dans ma tête, la fleur de lys me semble un motif détonnant avec tous ces aspects.

- Cast, t'as pas vu mon sac ? intervint Claire, la chanteuse, en passant devant nos places.
- Si, si. Sur l'aile de l'avion, juste là regarde, je me moque en pointant du doigt le hublot. J'ai dit au pilote de lui garder la meilleure vue, ne me remercie pas.
- T'es vraiment con, marmonne-t-elle en me menaçant du regard.


Elle, par contre, je l'aime vraiment pas. Bien trop sur les apparences, bien trop de chichi, bien trop de tout. Bien trop ce que je n'aime pas, en gros. Elle m'a déjà pris la tête rien que le jour où je l'ai rencontrée en me parlant de sa coupe de cheveux dont je n'avais strictement rien à carrer.
Je lui fais un sourire de con, puisqu'elle en redemande, et je lui tourne le dos parce qu'il ne faut pas trop pousser ma patience à bout.

- Mec, m'appelle Artie en me tapotant l'épaule. Faut vraiment que vous vous calmiez tous les deux, je passe pas l'année coincé entre vous.

Je me réjouis d'avance, parce qu'il en a déjà ras-le-bol alors qu'il ne me traîne que depuis quelques jours de manière quotidienne. Que devrait dire Lysandre ?
Je lui montre Finn d'un coup de tête, notre batteur, qui dort comme un bébé. C'est un grand black avec des dreadlocks, toujours décontracté, et sûrement le mec le plus cool que j'aie jamais pu rencontrer. Après Lys-le-moine bien sûr.

- T'auras qu'à traîner avec Patrick l'étoile de mer, je lui lance en ricanant. Avec lui ce sera soirée mousse tous les soirs, tu vas t'éclater mon vieux.
- Arrête tu m'excites.


Je lève les yeux au ciel, et je me tourne de nouveau face au hublot. Je vois la mer. Je ne comprends définitivement pas ce qui ont peur de l'avion, cette sensation de tout survoler est tellement grisante. Et puis, je me sens tout bizarre, tout étrange. A la fois léger, enfin je me casse, j'ai l'impression de laisser tous mes problèmes derrière moi. Et en même temps, si lourd, je laisse tous mes potes aussi. Et Mélodie. La voir pleurer, ça m'a vraiment remué le bide. Retourné serait le terme le plus exact. Personne n'a jamais pleuré pour moi, personne. Je sais pas, c'était une sensation totalement inédite pour moi.
Au fond, mes potes, c'est tout ce que j'ai. J'ai pas de famille à part eux, et je n'ai jamais eu l'impression de compter pour qui que ce soit. Dans ces cas-là, on apprend à se démerder tout seul, à survivre sans tout le reste du monde. Et j'ai maintenant beaucoup de mal à réapprendre à vivre avec ce reste du monde justement. Mais en un sens, je m'en fous. Je suis pas fait pour vivre avec le reste du monde, je suis bien trop chiant. Et j'ai ma bande de potes, qui arrive à me supporter, alors je n'en demande pas plus. Surtout cette dernière année, qui a été particulièrement riche en émotion.

- Tu repenses à ta blonde ? me balance Artie en papillonnant des cils pour se payer ma tête.

Je lui lance un sale regard qui le calme rapidement. Qu'il ne me pousse pas trop dans mes retranchements celui-là. Parler de Mélodie avec moi ? Il faudra qu'il se lève de bonne heure.
Notre relation avait été tellement imprévue. Ca m'était tombé sur la gueule comme ça, comme la musique avait pu me tomber sur la gueule. Peut-être que dans un sens, j'étais en train de fuir tout ça en choisissant ma guitare, de fuir cette histoire à laquelle je ne m'attendais pas le moins du monde. Mais je me connais, j'aurais inévitablement fini par tout détruire avec elle. Je suis une bombe à retardement, tous mes proches finissent toujours par subir mes conneries. Je me protège tout autant que je la protège en prenant mes distances. Je suis pas prêt. Et putain, mais quel avenir je lui offrirai à cette fille ? Un pauvre type pas fichu d'avoir son bac, incapable de lâcher sa guitare, qui mord plus qu'il ne parle ? Elle, elle est intelligente, sensible, douce, aimante. Je peux pas détruire ce qu'elle est. Je me le suis interdit. Et tout le monde me l'a interdit, même implicitement, en passant par son père, à Matt, Lysandre, et tous ceux qui tiennent un minimum à elle et me connaissent. Comment m'opposer à tout ça ? Qui suis-je pour m'y opposer ? Je ne suis personne. Personne qui compte réellement tout du moins. Quand je me serai prouvé à moi-même que je peux être quelqu'un qui compte, je pourrai me battre sérieusement pour ce que je veux. Ca me semble être un bon plan.

- Putain Artie ! Bave encore une seule fois sur mon T-shirt je te jure que je te défonce ! je hurle en repoussant ce con endormi dont la tête tend dangereusement de mon côté.

Et Dieu créa Mélodie... entre deux pauses pipiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant