Chapitre 10 : Sortez couverts

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  Matt se contorsionna pour réussir à passer par la fenêtre, il lâcha plusieurs jurons avant de finalement pénétrer dans ma chambre. Honnêtement, je me serais fichue de lui si la situation avait été autre. Je me tenais dans mon lit, toujours enroulée dans ma couette, les joues rouges et les nerfs en pelote. Quand il m'aperçut, il passa nerveusement sa main dans ses cheveux et chercha un endroit pour s'asseoir des yeux. Je tapotai le lit pour lui faire signe de m'y rejoindre.
Il se laissa tomber à mes côtés et pour la première fois, il y eût un silence gênant, aucun de nous ne semblait d'ailleurs vouloir le briser.

- Euh... Ca va sinon ? tentai-je piteusement en lui donnant un coup de coude.
- Heureusement que tu es là pour poser des questions perspicaces, se moqua-t-il en riant.


Un faible sourire s'étira sur mes lèvres, je ne pus m'en empêcher.

- Ecoute Mél, commença-t-il en me prenant la main. On se connaît mieux que personne tous les deux, pas vrai ?

Je hochai la tête sans vraiment vouloir le regarder. Je ne savais pas encore si j'étais prête pour ce qu'il s'apprêtait à me dire, mais j'avais néanmoins envie de l'entendre me le dire.

- Je sais par exemple que tu te mords la lèvre quand ton père te dispute pour ne pas pleurer, que tu es incapable de louper un seul épisode des Reines du Shopping, ce que je trouve idiot d'ailleurs, que tes mains tremblent quand un prof rend une interro, que tu ne peux pas t'empêcher de rire quand je te fais mon imitation de Lysandre. Je t'ai toujours trouvé mignonne, quand j'étais petit, je t'appelais tout le temps mon bébé, tu t'en rappelles ? Et je sais pas, à un moment, j'ai commencé à te trouver plus que mignonne. Je crois que ça a commencé au collège, quand Paul Archer t'avait offert une fleur pour la Saint-Valentin. J'ai eu envie de le tuer, sérieux ! Enfin, t'as toujours été à moi. Pas dans le sens où je te prends pour un objet, mais dans le sens où j'ai jamais eu à te partager avec un autre garçon. Et en même temps, je voulais pas te parler de ce que je ressentais, j'aurais voulu le garder pour moi, vraiment. Tu sais à quel point j'apprécie notre amitié, j'ai pas envie que ça change, vraiment pas. Mais je pouvais plus continuer à te cacher tout ça, j'y arrivais plus. Tu me connais, je suis nul en cachotterie, mais j'ai pourtant jamais aussi bien menti de toute ma vie.

Je l'avais écouté sagement déballer sa tirade en sentant mon cœur se serrer à l'avancée de son discours. J'avais arrêté de bouger, de respirer. Je n'y croyais pas. Peut-être qu'il me faisait une caméra cachée, en le connaissant, c'était plausible. Mon cœur tambourinait si fort dans ma poitrine que je me demandais s'il n'était pas capable de l'entendre.

- Mélodie, dis quelque chose, me quémanda-t-il en me caressant la paume pour obtenir mon attention.

Que pouvais-je répondre ? M'avait-il réellement posé une question ? Qu'attendait-il de moi ? J'avais l'impression qu'il avait juste eu besoin de se confesser.
Je regardai avec attention ses yeux bleu nuit. Pourquoi doutais-je en la réussite d'une possible relation entre nous ? Matt était parfait, drôle, attentionné, respectueux, beau. J'aurais voulu presser un bouton, être capable de lire dans l'avenir, tout aurait été tellement plus simple. Mais il était avant toute chose mon ami, mon frère, mon allié. Mon Dieu, il avait beau être sexy et attirant, je le respectais beaucoup trop pour tenter une quelconque relation sans être persuadée que cela fonctionnerait. Et ça me tuerait de le perdre, j'avais grandi à ses côtés, je ne pouvais même pas imaginer ce que serait ma vie sans lui. Sûrement très ennuyeuse.

- Je suis sûre que tu sais ce que j'en pense... marmonnai-je difficilement en enlevant une mèche de cheveux de son visage pour pouvoir voir ses yeux.
- Je sais Mél que tu n'es pas amoureuse de moi. Et c'est pour ça que je me suis mis tellement de barrières, que je me suis interdit de ressentir plus qu'une attirance physique pour toi. J'ai choisi notre amitié au détriment des sentiments. Je ne regrette pas mon choix, pas encore. Parce qu'au final, ce n'est pas le fait de ne pas sortir avec toi qui me ferait le plus de peine, mais surtout le fait de ne plus être ami avec toi. C'est con, parce que ça n'avait aucun intérêt que je te parle de mes sentiments en partant de ce principe, mais j'avais besoin d'être fixé tu comprends ? D'arrêter d'espérer pour rien et de passer à autre chose. Et je voulais que tu aies le choix toi aussi. Et je ne te parle pas d'un choix entre sortir avec moi et me perdre, ce n'est pas de ça dont il est question. Je te parle d'un truc qui changerait tout entre nous, et je voulais juste savoir si t'étais prête à prendre ce risque.


Tout était tellement contradictoire. Je savais que si je l'avais rencontré pour la première fois au lycée, dans une vie parallèle, j'aurais pu si facilement être conquise par lui, j'aurais pu facilement succomber à ses charmes, et peut-être même tomber amoureuse. Mais là, maintenant, dans la vie que je menais, je ne me sentais pas prête pour ça. Pas prête à risquer une si forte amitié pour une histoire d'amour qui pourrait peut-être ou pas fonctionner. Je le repoussais parce que je l'aimais, et non l'inverse. Je savais qu'au fond de moi il avait dû mettre autant de temps à me parler de tout ça, ce qui ne lui ressemblait pas, tout simplement parce qu'il devait encore hésiter lui aussi.

- Tu te rappelles quand j'avais dix ans et que je t'ai dit que je voulais qu'on reste ensemble pour toujours ? m'enquis-je doucement.
- Euh... Tu veux dire la fois où ma mère nous avait ramené un paquet de sucettes plus gros que ma tête et que t'avais décrété que tu partirais pas tant qu'on ne l'aurait pas fini ?
- Oui, bon, le contexte était différent. Peu importe. L'idée est la même. Evidemment que tu me plais, je ne serais pas honnête si je te disais le contraire. Mais l'éventualité de réussir une relation de couple avec toi, ça ne me suffit pas. Je ne te l'ai jamais dit, parce qu'on ne se dit pas ces choses-là d'habitude, mais je tiens énormément à toi. Tu ne peux pas savoir. C'est aussi grâce à toi que je m'en suis sortie toutes ses années, quand ma mère est partie, quand j'avais des coups de blues, quand mon père s'est remarié. C'est comme si tu étais... mon point d'ancrage ? Tu gardes la tête sur les épaules dans toutes circonstances, tu me fais rire, tu es toujours là pour moi. Je ne sais pas si je t'apporte autant, et je me sens parfois égoïste de tout te prendre sans rien donner, mais je ne veux pas te perdre. Je ne peux pas en fait, ce serait plus juste. Ca me terrorise. J'arriverai peut-être un jour à me projeter dans une relation... différente... avec toi avec facilité et certitude, mais là maintenant, c'est impossible.


J'avais débité ma tirade le visage entre mes mains, pour me donner du courage. J'aurais été incapable de lui dire tout ça dans le blanc des yeux. Nous n'avions jamais parlé de choses aussi sérieuses, jamais. J'étais pourtant quelqu'un de sérieux, d'organisé, qui aimait mettre des noms sur les choses et sur mes sentiments, mais ce n'était pas le cas de notre relation. Notre relation était simple, légère, mais forte. Et nous n'en parlions pas. Ce n'était pas non plus comme si nous en avions particulièrement besoin de toute façon, tout était dit d'un simple regard, d'une simple bourrade, d'une simple blague.

- Je savais que t'allais me sortir un truc du style, affirma-t-il. Tout d'abord, parce que je sais que tu ne peux pas te passer de moi bien entendu, et ensuite parce que j'en suis venu à la même conclusion il y a quelques temps. Si jamais.... Enfin... Il se passait un quelque chose entre nous et qu'il s'avérait que ça finisse mal, je me suis dit : mais qui fera mes devoirs ? Qui va donc me rappeler à l'ordre quand je pars en vrille, comme ce fameux Noël d'il y a deux ans où j'avais voulu faire péter le circuit électrique parce que le sapin de mon père ne ressemblait à rien ? Qui va venir me couper les cheveux quand je loupe encore mon rendez-vous chez le coiffeur ? Qui va me soutenir quand je m'embrouille avec ma mère parce que je me suis tapé une sale note en physique ? Et oui, ça paraît con et je pourrais trouver un autre bouche-trou qui se taperait ce sale boulot à ta place, mais j'ai envie que ce soit toi. Mais en même temps, j'avais vraiment besoin de t'en parler parce que ça se trouve, notre couple fonctionnerait bien Mél. Et on se plante totalement en faisant ce choix tous les deux.
- J'en ai vraiment aucune idée Matt, répondis-je honnêtement. Mais je ne me sens pas prête, pas maintenant. Je ne sais pas si je le serai un jour d'ailleurs... Je n'ai jamais imaginé l'éventualité d'un avenir en ce sens entre nous, je... Je prenais même ça sur le ton de l'humour quand on me faisait la remarque. Je ne sais pas si je serais capable de tomber amoureuse de toi, et je ne suis pas prête encore à risquer notre amitié sur cette donnée aléatoire. Si je te disais oui, ce serait sur un coup de tête et ce serait tellement stupide.
- C'est ce que j'avais besoin d'entendre, lâcha-t-il au bout d'un certain temps. Allez, regarde-moi Méli-Mélo. A charge de revanche !


Il me prit mes mains pour les tirer de mon visage, je le laissai faire parce que l'ambiance s'était complètement détendue par notre accord tacite de se contenter d'être ami pour l'instant. J'avais l'impression de l'avoir juste conforté dans son idée de départ, il avait eu besoin d'être honnête avec moi parce que Matt ne supportait pas de garder les choses pour lui. Je le pris dans mes bras, et il me serra fort contre lui. Je respirai fort l'odeur de son cou, un mélange de mousse après-rasage, de chocolat et de chaleur. Sans lui, je n'aurais jamais pu croire que la chaleur avait une odeur.
Il me relâcha au bout de quelques instants.

- Un dernier petit bisou ? quémanda-t-il en tendant les lèvres.

Je ne pus m'empêcher de glousser. Jamais je n'aurais cru que je me réjouirai de connaître un idiot pareil. Qu'est-ce que je risquais à lui céder ? De toute façon, j'en avais aussi un peu envie, je n'allais pas le cacher.

- T'es vraiment idiot, me moquai-je en déposant brièvement mes lèvres sur les siennes.

***

- Je ne vais pas vous mentir, ces contrôles étaient une pure catastrophe. Je suis extrêmement énervée, commença madame Marnier avec le tas de copie entre ses mains. La moyenne tourne autour des 7,5. Vous n'avez pas travaillé, ou alors vous êtes tout simplement désintéressés par la matière. Je ne sais pas trop quoi en dire ! J'ai rangé les notes par ordre croissant, de la note la plus basse à la note la plus haute.

Suite à cette annonce, il y eu quelques chuchotements et quelques plaintes qui se firent entendre.

- C'est pour vous préparer aux études supérieures, nous expliqua-t-elle, à la pression et surtout à la compétition. Et j'espère que ça motivera les plus mauvais à travailler. J'en doute forcément quant à celui qui obtient la médaille du plus grand poil dans la main : Greenberg, votre copie.

Elle fit le tour de quelques tables pour rejoindre Castiel et lui tendit sa feuille d'un air sévère.

- Un deux, vous avez battu votre record cette fois-ci, lui reprocha-t-elle. Qu'est-ce qu'il y a de drôle Greenberg ?! Je vous fais rire, peut-être ?
- Non, non, pas du tout, assura-t-il entre deux éclats de rire. C'est juste que vous aviez vraiment l'air surprise.
- Rigolez bien Greenberg, mais vous venez de gagner le gros lot : des cours de soutien avec Nathaniel. C'est lui qui a la meilleure note, c'est donc lui qui s'occupera de votre cas, et je lui souhaite bien du courage !


Le sourire de Castiel s'était instantanément évanoui et il jeta un regard noir envers le délégué qui signifiait : « te fais pas trop d'illusions Blondie, tes cours de soutien tu peux te les foutre où je pense ». Nathaniel leva les yeux au ciel avant de tourner son regard vers moi presque instinctivement. Il avait une mine désolé, le connaissant, il devait culpabiliser pour ce qui s'était passé ce week-end. En avait-il parlé à Sue ? Comptait-il revenir me parler ? Voudrait-il mettre un terme à notre amitié ? Tant de questions qui restaient encore sans réponse.

- Et hors de question que vous refusiez Greenberg, sinon c'est avec moi que vous les ferez ! le menaça madame Marnier.

Je perçus le visage de Castiel se décomposer. Apparemment, entre les deux, il préférait encore choisir Nathaniel. Il lâcha un « merde » peu discret, mais madame Marnier fit mine de ne pas l'entendre et continua de distribuer les copies.
J'avais les mains moites et Iris à côté de moi ne pouvait s'empêcher de se moquer de moi. Elle arrêta cependant de rire quand la prof prononça son prénom et qu'elle écopa d'un 6. Elle s'empressa de griffonner dans son cahier, énervée et frustrée.
La prof continuait de distribuer, et mon nom ne s'était toujours pas fait entendre.

- Mélodie Vernant ! m'appela-t-elle finalement en s'approchant de moi. Du travail, comme d'habitude, bravo.

Elle me donna ma copie et je pus lire un 15, je soupirai bruyamment. Cette note avait une signification toute particulière, elle impliquait que j'avais réussi à trouver un bon équilibre entre mon travail et mes loisirs. Et c'était vraiment tout ce qui m'importait.
Une sonnerie de portable se fit entendre soudainement dans la classe. Sans surprise, le bruit provenait non loin de Castiel.

- Greenberg, est-ce qu'il serait possible de faire un seul cours où vous ne vous faites pas remarquer ?! s'emporta notre professeur.

Je m'attendais à ce que ce dernier lui sorte une blague idiote, une répartie insolente, mais il se contentait de garder les yeux rivés sur son téléphone. Il ne répondait pas mais ne raccrochait pas non plus. Il resta ainsi plusieurs secondes avant de se lever et de quitter la classe sans un mot, dans une démarche qui témoignait de sa colère. Madame Marnier proféra quelques menaces à son encontre, mais il ne prit même pas la peine de se retourner.

***

- Brocoli ! Brocoli ! Brocoli ! clamait Alexy en tapant sur la table pour m'encourager à manger.
- Je ne peux pas, je te jure, assurai-je en repoussant mon assiette d'un air dégoûté. Si je mets ça dans ma bouche, je vais mourir, ou attraper une maladie.
- Ils ne sont pas si terribles, me promit Violette en souriant.
- Vio, tu es végétarienne : si tu commences à faire ta difficile sur les légumes, tu t'en sors pas ! lui rétorqua Véra en souriant.
- Véra, ma chérie, tu es célibataire : si tu commences à faire ta difficile avec mon frangin, tu t'en sortiras pas non plus ! contre-attaqua Alexy avec sa mine sournoise.
- Mollo le schtroumpf, est-ce que je t'ai fait une remarque quand t'as chopé mon cousin la semaine dernière ? Non ! Alors sois beau et tais-toi ! répliqua Véra en pointant sa fourchette vers lui.
- Pfft, tu vas pas m'en vouloir jusqu'à la fin de ta vie pour cette stupide histoire... gémit Alexy en levant les yeux au ciel.


C'est à ce moment-là que Matt déboula en courant jusqu'à notre table, essoufflé, accompagné d'un Lysandre étrangement paniqué. Ce qui attira mon attention presque instantanément, Lysandre ne paniquait jamais. Je levai le regard vers les deux hommes et Matt me fit signe de le suivre avec la tête.
Je ne me fis pas prier pour laisser mon assiette encore pleine de brocolis et les rejoindre rapidement. Nous quittâmes la cafétéria et personne ne prononça un mot jusqu'à atteindre un couloir vide. Les deux garçons se retournèrent alors pour me faire face.

- La mère de Castiel a fait une overdose, m'annonça Matt durement. L'hôpital a d'abord appelé Castiel mais il ne s'est jamais pointé. Ils ont ensuite contacté le lycée et le proviseur nous a informés de la situation. On le cherche partout depuis plus d'une heure mais il est introuvable. On va essayer d'aller chez Lys, et on va aussi faire un tour du quartier. Il faudrait que tu restes là au cas où il revienne. Tu peux faire ça ?

Je hochai la tête machinalement, encore soufflée par la nouvelle. J'imaginais facilement l'état dans lequel devait se trouver Castiel, j'eus soudainement peur pour lui. Peur qu'il ne se fasse du mal.
Matt et Lysandre ne me laissèrent pas le temps de leur poser des questions et ils disparurent tous les deux en courant. Confirmant par leur nervosité que mes soupçons étaient fondés.
Je restai alors là, dans le couloir, comme une idiote. Je m'apprêtai à rejoindre mes amis dans la cafétéria lorsqu'un élément dans mon champ de vision attira mon attention.
La porte de secours. Se pourrait-il que... ?
J'avançai, poussée par mon inquiétude et un espoir fugace, et ouvris sans hésitation la porte en métal gris. Je la refermai derrière moi, haletante, et m'avançai vers l'endroit où il se trouvait lors de cette fameuse conversation téléphonique avec sa mère. Je passai donc le coin, et n'aperçus d'abord rien. Jusqu'à ce que je baisse les yeux et découvre avec surprise une tignasse rouge. Castiel était assis par terre contre le mur, la tête entre les bras. Il s'était mué en statue, il ne semblait même pas respirer. Heureusement, il serra soudainement ses poings sur ses genoux, ce qui attesta qu'il était conscient.
Je m'approchai doucement en hésitant. Castiel détestait qu'on le découvre vulnérable. Il détestait tout ce qui avait un lien avec le fait de se dévoiler, il s'était construit une carapace, un mur autour de lui. Et là, je le trouvais dans son état brut, je retrouvais le Castiel torturé et dévasté.
Je m'agenouillai à mon tour et encerclai sa tête de mes bras tendrement. Ce fut un instinct presque maternel qui me poussa à agir ainsi, sur le coup, j'eus l'impression que c'était la seule chose à faire. Il tressaillit d'abord et se crispa. J'eus peur un instant qu'il ne me repousse, mais il resta immobile.

- Casses-toi Mél, cracha-t-il sans pour autant quitter sa posture.

Il m'avait déjà ordonné de me « casser » des millions de fois. Et je ne le prenais au sérieux seulement qu'un tiers du temps. Sa technique ne fonctionnait réellement qu'avec ceux qui ne le connaissaient pas, ou qui avaient peur de lui. Alors je me contentai sagement d'attendre qu'il s'habitude à ma présence. Je le sentis se détendre peu à peu sous mes bras, jusqu'à ce qu'il pousse un long soupir.

- T'es au courant ? l'entendis-je finalement marmonner.
- Oui, confirmai-je faiblement.
- Bordel, je la hais tellement.
- Elle va... bien ? le questionnai-je en resserrant mon emprise sur sa tête par peur d'une réponse négative.
- Les docteurs disent qu'elle est hors de danger, m'apprit-il. Elle va me rendre fou. Virer son propre fils, ça ne lui pose pas de problème, mais quand le gros porc qui lui sert de mec la quitte, là, elle tente de se foutre en l'air. Et le pire, c'est que putain, je peux rien faire ! Ca fait dix ans qu'elle se détruit littéralement de l'intérieur devant moi. Je...


Je le sentis tressaillir sous mes mains, il ressemblait tellement à un petit garçon à cet instant.

- Je n'ai plus envie d'en parler, conclut-il en prenant une grande inspiration.
- Comme tu veux. Tu n'es pas obligé. J'ai mis plus de cinq ans avant de réussir à parler de ce que je ressentais à propos du départ de ma mère, je comprends très bien ce que tu peux ressentir. Mais l'important, c'est qu'elle aille bien, non ?
- Tu appelles ça « aller bien » toi ? Je me fais pas d'illusion, elle va recommencer ses conneries dès qu'elle sera sortie. Et j'en ai ras le cul, j'en ai marre de jouer le rôle de l'adulte à sa place.
- Tu n'as pas à le faire, lui rappelai-je doucement. Tu l'aimes, c'est normal, mais tu ne peux pas la laisser détruire ta vie.
- C'est plutôt drôle ce conseil venant de toi, me rétorqua-t-il sarcastiquement.


Il n'avait pas tort. Il y eut un léger silence, nous étions totalement immobiles. Je n'en revenais pas que je me trouvais là, à consoler Castiel, ce type avec qui j'avais toujours cru n'avoir que très peu en commun. Alors qu'au final, j'étais peut être la seule à pouvoir réellement le comprendre en ce moment. Le manque d'affection maternelle, j'en avais moi aussi tellement souffert. Seulement, il fallait avouer que de mon côté, j'avais le reste de ma famille : mon père, Miranda et Lysandre. Castiel n'avait personne à qui s'accrocher à part ses amis. Comment pouvait-on survivre avec si peu d'affection ? J'étais particulièrement touchée par ses problèmes, parce qu'ils étaient un reflet, certes différent mais proche, des miens. J'avais dû mal à gérer ma vie, comment pouvait-il réussir à le faire avec la sienne qui était sans aucun doute beaucoup plus dure ? Je ne pus m'empêcher de lui caresser les cheveux, comme si ce geste pourrait changer quelque chose.

- Mél, j'suis pas un chien putain, me rappela-t-il d'un ton acerbe.
- Je sais, pleurnichai-je en continuant néanmoins à passer stupidement ma main dans ses cheveux.
- Ne me dis pas que tu chiales, marmonna-t-il. C'est pas ta mère qui vient de faire une overdose nunuche.
- Je sais, répétai-je en reniflant avec peu d'élégance.
- C'est pas vrai... se plaignit-il en soufflant.


Il finit enfin par relever sa tête, mes bras entourant toujours son visage. Il leva ostensiblement les yeux au ciel en découvrant quelques larmes que j'avais laissé couler involontairement. Il glissa ses deux mains sur mes joues afin de les essuyer furtivement. Je fus tellement surprise par ce geste tendre qui ne lui ressemblait pas que je ne pus retenir un gloussement ridicule. Il fronça alors les sourcils, vexé comme un pou, ce qui me fit rire de plus bel.
Je me rendis compte en me calmant que nous nous trouvions très proches l'un de l'autre. Je n'étais pas habituée à avoir une proximité avec Castiel et elle me mettait un peu mal à l'aise.
La même idée dut probablement traverser l'esprit du rouquin puisqu'il se releva soudainement, comme électrisé. A cause du déséquilibre, je basculai en arrière et mes fesses percutèrent durement le sol.

- Merci pour la délicatesse... grommelai-je en me frottant la cuisse pour m'assurer que je n'avais pas un bleu.
- De rien, tu pourras toujours demander à Nathaniel de jeter un coup d'œil, me provoqua-t-il avec son éternel sourire d'emmerdeur.


Il avait retrouvé son masque. Le Castiel dévasté que je venais de croiser avait laissé place à cet homme imperturbable et sarcastique.

- T'es vraiment stupide, rétorquai-je en me relevant.
- Cet insulte me bouleverse. Sérieux Mél, tu sais comment toucher les hommes dans leur égo, se moqua-t-il avant de me tourner le dos.
- Matt et Lysandre te cherchent ! l'informai-je.
- Dis-leur que j'ai pas besoin d'aide, me répondit-il sans même se retourner en accélérant le pas.


Je tirai mon portable de ma poche et rédigeai un bref message à Lysandre pour l'informer que Castiel venait de quitter le lycée. J'entendis au loin un moteur rugir, et j'aperçus sa moto sur la route qui fila loin du lycée. Se rendait-il à l'hôpital ? Comptait-il déverser sa haine à coup de tequila ?
Je n'en avais aucune idée mais je ne pus m'empêcher de me sentir concernée, d'être inquiète pour lui.
Et merde, cela voulait dire que je commençais à devenir amie avec Castiel. A quel moment s'était arrivé au juste ?

***

- Mélodie, aurais-tu vu ma tête en l'air de fils par hasard ? m'interrogea Miranda qui venait de sortir de la cuisine.

Je me trouvais sur la table de la salle à manger et j'avais étalé mes cahiers et mes livres pour faire mes devoirs. Je relevai la tête vers ma belle-mère, mon stylo bic dans la bouche, et tentai de prendre une expression neutre. Je savais que Lysandre était à l'hôpital avec Castiel, il m'en avait informé par message, mais j'étais chargée de mon côté de le couvrir, afin d'éviter de créer des soupçons autour de l'absence de résidence fixe de son ami. J'avais donc répété une excuse bidon.

- Il avait oublié son sac au lycée, il a dû y retourner, mentis-je avec un grand sourire parfaitement innocent.

Bien entendu, mon mensonge était tout ce qui avait de plus crédible. Lysandre nous avait déjà fait le coup un certain nombre de fois. Miranda ne parut même pas douter une seconde de ma sincérité et se contenta d'hocher la tête pensivement.

- Mince alors, j'ai besoin de sa carte vitale pour me faire rembourser sa dernière visite chez le dentiste. Je vais aller la chercher dans sa chambre, il a sûrement dû la laisser traîner sur sa table de nuit.

Je manquai de tomber de ma chaise. Lysandre avait-il pris soin de cacher le matelas de Castiel ? Avait-il laissé traîner des affaires ? De gros doutes s'immiscèrent dans mon esprit. Il avait déjà dû mal à se rappeler l'heure du repas, je ne voyais pas comment il avait pu penser à cela.
Je me relevai brusquement et me mis à courir à la poursuite de Miranda dans les escaliers. Je réussis à la devancer et à me placer devant la porte de Lysandre pour lui en bloquer le passage.

- Y a-t-il un problème ma chérie ? s'enquit-elle en me regardant bizarrement.
- Je... Eh bien je... bafouillai-je en posant ma main sur la poignée. J'ai voulu lui emprunter un de ses cahiers pour récupérer un morceau de cours que je n'avais pas bien entendu et j'ai un peu laissé sa chambre en bazar... Je vais d'abord ranger deux petites minutes, et je te laisse la chambre !
- Pourquoi voudrais-tu les leçons de Lysandre alors que les tiennes sont si bien notées ? me questionna Miranda.


Je ne pris pas le temps de lui répondre et pénétrai dans la chambre de mon demi-frère en prenant bien soin de la refermer derrière moi. Je jetai un regard paniqué d'ensemble et poussai un long soupir. Aucun matelas ou caleçon avec des petites guitares en vue. Seulement ses carnets traînant comme d'habitude sur son lit et quelques feuilles annotées jonchant sur son bureau.

- Mélodie, je n'ai pas bien saisi, m'affirma Miranda en pénétrant à son tour dans la chambre sans avoir pris la peine de prendre en compte ma requête. Mais... Je ne comprends pas ma belle, ce n'est pas du tout le bazar ici... Enfin, pas plus que d'habitude.
- Je suis très rapide pour... ranger, inventai-je en lâchant un petit rire nerveux.


Je baissai les yeux pour éviter qu'elle ne s'aperçoive de mon trouble. Mon regard était alors plongé vers le sol lorsque je découvris un petit papier en plastique de couleur très flashy qui attira fortement mon attention. Ma première réaction fut de mettre le pied dessus, et je me mis ensuite brusquement à rougir. N'importe qui aurait pu sentir mon malaise.
Heureusement pour moi, Miranda avait apparemment arrêté d'essayer de me comprendre et farfouillai dans les tiroirs de Lysandre à la recherche de sa carte vitale. Elle finit par la trouver rapidement, connaissant son fils sur le bout des doigts. Ma belle-mère me jeta un dernier regard étrange parce que je restai parfaitement immobile comme une idiote, avant de quitter la chambre sans rien dire de plus.
Je me penchai alors pour ramasser l'emballage du préservatif sous mon pied en rougissant de plus bel. Nom de Dieu ! Et si Miranda avait découvert ça... Je manquai de tomber à la renverse quand je me rendis compte que l'emballage était déchiré et vide.
Je retirai absolument toutes les gentilles pensées que j'avais eues envers Castiel, j'allais le tuer. Cette espèce d'abruti avait failli me mettre dans une position super gênante en plus de me faire passer l'un des moments les plus embarrassants de ma vie (et il y en avait eu).
Nom de Dieu, je n'étais peut être pas douée en relations charnelles et tout le bazar, mais je savais au moins qu'il fallait être deux pour ce genre de truc. Je ne pus m'empêcher cependant d'être piquée par un vilain élan de curiosité : avec quelle fille avait-il bien pu aller plus loin que les simples baisers ? Est-ce que je la connaissais ?  

Et Dieu créa Mélodie... entre deux pauses pipiWhere stories live. Discover now