Chapitre 25 : Rien ne sert de courir, il faut partir à point

952 88 3
                                    


  Je me demandais si j'avais bien fait de vouloir suivre Lysandre jusqu'à chez Castiel. Quand j'y repensais sérieusement, toutes les fois où j'étais allée chez lui, ça c'était mal terminé pour nous.
Lysandre sortit son double des clés qu'il s'était fait faire pendant la période « noire » de Castiel et ouvrit machinalement la première porte de sécurité de l'immeuble. Et alors que nous nous dirigions vers la cage d'escalier, une masse rouge nous apparut sur le palier. Il tenait son téléphone sur son oreille d'une main et tentait d'ouvrir avec un agacement certain sa boîte aux lettres de l'autre.
Lysandre, chou comme il est, se dirigea vers lui et lui fila un coup de main. Castiel ne sembla même pas surpris de voir débarquer son ami et le laissa faire les sourcils toujours froncés. C'était étrange, il était en conversation téléphone avec quelqu'un mais parlait à voix très basse, ce qui ne lui ressemblait pas du tout. Il finit par comprendre que j'avais accompagné Lysandre et s'arrêta immédiatement de parler.

- Ouais, j'te rappelle, lâcha-t-il. Putain la ferme ! J'te dis que je te rappelle !

Il leva les yeux au ciel et décolla le téléphone de son oreille.

- Castiel, où as-tu mis mon carnet ? le questionna Lysandre.
- Regarde dans le courrier, lui balança ce dernier avec un sourire machiavélique.


Lysandre fait passer les enveloppes les unes par-dessus les autres et finit par tomber sur son précieux petit carnet noir à la forme rectangulaire et à la couverture en cuir. Il lança un regard glacial à Castiel qui le fit rire. Je ne tentais même pas de savoir comment ce suppôt de Satan avait-il réussi pour que tout coïncide aussi bien. Il connaissait sûrement trop bien Lysandre.
Ce dernier s'apprêtait à ranger son carnet dans la poche de son manteau mais je m'approchais de lui pour le récupérer et le glisser dans son sac en lui jetant un regard lourd de sens. Je lui avais expliqué cinquante fois que c'était normal qu'il le perde s'il le fichait toujours dans cette grande poche qui laissait tout retomber lorsqu'il marchait. Il me lança son fameux sourire, celui à moitié retenu mais en même temps totalement sincère qui lui faisait légèrement plisser les yeux.

- Tu refais ta tronche de chinois Lysandre, lui fit remarquer Castiel qui n'avait pas loupé notre échange.

Et alors que Lysandre comptait répliquer, un nouveau venu fit son entrée dans l'immeuble. Il avait un casque sur les oreilles et mit un peu de temps avant de nous apercevoir. Il était grand, blond et plutôt mignon, il fallait l'avouer. Surtout que j'avais déjà un certain vécu avec les blonds, malheureusement. Mais une bien trop grande assurance se dégageait de lui, rien qu'à sa façon de retirer son casque et de poser presque instinctivement son regard sur moi lorsqu'il prit conscience de notre présence.

- Bonjour à vous ! nous salua-t-il en se dirigeant à son tour vers la boîte aux lettres.

Lysandre lui répondit chaleureusement alors que je conservais le silence. Personne ne pipa mot le temps qu'il récupéra son courrier. Une fois cela fait, il se retourna vers nous avec un sourire et semblait déjà prendre la direction de la cage d'escalier lorsqu'il se souvint apparemment de quelque chose et se remit face à nous.

- Super ta fête d'ailleurs Cast, lança-t-il avec un hochement de tête. Merci de m'avoir invité.
- Tu parles, je l'ai fait parce que sinon t'aurais appelé les flics ducon, grommela-t-il en passant une main dans ses cheveux.
- C'est pas mon genre, répliqua le blond en haussant les épaules.
- C'est tout à fait ton genre Sam, insista sèchement le rouquin.


Ma respiration se bloqua. Sam comme dans... Sam ? Je relevai des yeux plein de haine face à cet interlocuteur qui venait soudainement de prendre l'image du diable.
Je m'approchai de lui d'un pas décidé en serrant les poings. Je me stoppai à quelques centimètres de lui et relevai un menton plein de hargne vers lui. Il me contempla de haut en bas, sans comprendre, mais comme je pouvais l'imaginer, il était du genre à croire que son charme faisait effet. Il afficha alors un sourire charmeur sur son visage qui me donna envie de lui foutre mon poing dans sa tronche.

- Qu'est-ce tu fous Mélodie ? grogna Castiel derrière moi.

Je ne pris pas la peine de répondre et continuai de lui tourner le dos en dardant ce Sam de mon regard noir en me remémorant toute la soirée que j'avais passé à consoler ma meilleure amie d'avoir perdu sa virginité avec un type qui n'en avait rien à foutre. Pire que ça, il l'avait carrément fichu dehors alors qu'elle était au plus bas. Je ne pouvais pas m'ôter l'image d'Iris que j'avais retrouvée en larme, dévastée, sur les marches du palier. Son expression m'avait terrorisée, elle m'avait donnée l'impression que rien n'avait plus d'importance à ses yeux.

- Mélodie ? C'est un joli prénom, me complimenta l'autre abruti.

Soit ce type était totalement idiot, soit il me fallait revoir d'urgence mon regard de tueur qui n'avait pas l'air de fonctionner. Je posai mes deux mains sur ses épaules et balançai avec force mon genou entre ses deux jambes. Il lâcha un grognement de douleur en se laissant retomber par terre les genoux contre le sol.

- C'est de la part de la rouquine de samedi soir, lui soufflai-je à l'oreille en tremblant.

Je m'écartai de lui sans un regard pour les deux autres, et quittai comme une furie l'immeuble. Mes mains tremblaient de rage, et je détestais cela. Je les contemplais avec colère en marchant, pourquoi ne voulaient-elles pas arrêter de trembler ? Même mes jambes semblaient vouloir s'y mettre.
Je pris appui sur un muret pour tenter de me remettre de mes émotions. J'entendis des pas derrière moi, quelqu'un m'avait suivi en courant, et je devinais que cela devait être Castiel. Lysandre ne courait jamais, il m'avait sorti un jour une phrase du style « rien ne sert de courir, il faut partir à point ». Je n'avais pas vraiment compris, parce que ce jour-là, nous étions déjà en retard.

- Qu'est-ce qui t'a pris ? s'exclama-t-il en me faisant face avec les yeux comme des soucoupes. Et me dis pas que tu as défoncé ses bijoux de famille juste parce que je t'ai dit qu'il avait déjà appelé les flics dans une de mes soirées !

Je détournai le regard, agacée. Iris n'aimerait pas que j'en parle, je le savais.

- Il t'a fait un truc ? reprit-il face à mon silence.
- Non, non, assurai-je en secouant la tête. Je peux pas en parler, ce n'est pas quelque chose qui me concerne.


Castiel plissa les yeux intelligemment et sortit son paquet de clope de sa poche. Je le remerciai intérieurement de ne pas insister.
Il tira rapidement une cigarette qu'il cala entre ses deux lèvres. Je ne pus m'empêcher de regarder sa bouche. Bon sang, ce n'était pas humain d'avoir des lèvres comme les siennes.

- Ne me dis pas que t'as soudainement envie de fumer, lâcha-t-il sévèrement en suivant mon regard. Même pas en rêve j'te laisse toucher une clope.

Ma première réaction fut de rougir et de détourner le regard. C'était étonnant qu'il ait mal compris mes signaux féminins idiots, il était plutôt doué pour cela d'habitude. Et puis, lentement mais sûrement, ses paroles firent leur chemin jusqu'à mon esprit et je me mis à froncer les sourcils en le contemplant.

- C'est marrant, je ne crois pas que sur mon acte de naissance il y a écrit que mon père s'appelle Castiel Greenberg, affirmai-je doucement.

Il lâcha un long rire qui me fit sursauter. Il devait se rendre compte que Castiel donnant des ordres sur des sujets moraux, c'était tout ce qu'il y avait de plus ridicule.
Il me fit un clin d'œil sexy et me contourna pour reprendre sa route vers son appartement.

- J'te réquisitionne Lysandre pour la nuit ! m'apprit-il en marchant à reculons pour me faire face. Ah ! Et avant que j'oublie : je crois pas que ton père se serait rendu compte que t'avais un niveau de déboutonné de trop sur ton chemisier !

Je penchai le regard vers mon haut. Quand je me rendis compte que Castiel avait raison et que l'un de mes boutons s'était dégrafé par mégarde, je posai instinctivement mes mains sur ma poitrine en lâchant un cri plaintif. Je l'entendis se marrer alors je ne pus m'empêcher de lui balancer mon majeur en gardant une main sur mon décolleté.

***

Je poussai la porte d'entrée de ma maison mélangée entre un sentiment d'amusement et un sentiment d'énervement. C'était l'effet Castiel.

- Ha ! Mélodie ! Tu tombes bien ! s'exclama mon père en se relevant du canapé automatiquement en me voyant. Ta mère m'a confiée Timéo mais je dois aller chercher mon costume au pressing avant qu'il ne ferme, elle m'avait promis de revenir avant mais nom de Dieu, elle n'a pas changé. J'aurais dû me douter qu'elle me ferait tourner en bourrique. Tu pourrais le garder pour moi ?

Je n'eus même pas le temps de lui répondre qu'il m'avait déjà filé le dit biberon dans une main et le doudou en forme de petit ourson dans l'autre.

- Il faut que tu lui donnes le biberon, il est tiède, température parfaite.

Il déposa un baiser sur mon front sûrement par culpabilité et déguerpit aussi vite. Je lâchai un soupir une fois que la porte se referma sur moi.
En même temps, ce n'était pas plus mal. Si mon père était arrivé à la fermeture du pressing, il aurait fait assassiner Aline. Et n'allez pas croire que cela me ferait plaisir.
Je me dirigeai vers la poussette où pendait un nombre incroyable de petites peluches en tout genre, à croire que ma mère avait voulu que mon frère ne soit capable de ne voir que des ours ou des grenouilles les rares fois où il ouvrait les yeux.
J'hésitai un long moment, les mains ballantes, face à ce petit être qui me semblait si fragile. J'avais peur de mal m'y prendre. Et puis, il dormait, fallait-il vraiment que je le réveille ? Je finis par réaliser qu'il dormait tout le temps en réalité, et que ma question n'était pas très sensée.
Je passai des mains hésitantes autour de son petit corps, j'attendis un petit peu par appréhension avant de le soulever. Je me rappelai de la position des parents quand ils l'avaient dans leur bras : une main sous la tête et l'autre bras le tenant fermant. Je m'exécutai alors qu'il commençait à gesticuler un petit peu avec ses pieds. Je me dirigeai rapidement sur le canapé, où j'étais sûre que je ne risquais pas de le faire tomber. Je pris place et me saisis du biberon tiède que j'avais laissé sur la table basse et le plaçai dans sa bouche alors qu'il commençait à s'impatienter.
Il ouvrit alors grand ses yeux pendant qu'il buvait. Et Lysandre avait raison, j'avais l'impression d'y voir les miens dans le miroir. Cette même nuance bleue nuit, ces mêmes tâches sombres sur les coins de l'iris. Les yeux de ma mère avaient une teinte de bleu légèrement plus claire. Alors que là, mon petit frère me regardait avec mes yeux, il m'observait, et c'était comme si je faisais attention à lui pour la première fois depuis qu'ils étaient arrivés. Je tentai alors avec émotion de retenir chaque petit détail de son visage fripé, en partant de son petit nez retroussé qui s'agrandissait alors qu'il respirait, ses belles joues joufflues, les quelques cheveux d'un noir profond sur sa tête, son petit grain de beauté à droite de son œil. Il était beau, il était vraiment beau. A moins que ce ne soit ce fameux effet « je trouve toujours mon bébé plus beau que les autres ».
Non, cela ne pouvait pas être ça.
Nous restâmes un long moment comme cela, dans le silence, à s'observer. Et mine de rien, il en fallait du temps à un bébé pour finir son biberon. Mais cela ne m'avait pas dérangé, je... Je ne savais pas vraiment comment l'expliquer, mais cela m'avait fasciné.
Je reposai le biberon vide sur la table basse et j'entrepris de lui essuyer tendrement la bouche avec une serviette. Il ne mit pas longtemps avant de se rendormir et agrippa mon index dans sa toute petite main et le serra. Le temps était suspendu dans l'air, et j'étais bouleversée par une émotion bien trop forte. Je tentai d'empêcher mon regard de s'embuer, je n'avais pas envie de perdre une miette de ce qui m'était donné de voir dans ce court instant.
Il finit par relâcher mon doigt alors qu'il s'endormait. Je caressai alors son beau visage, et sa peau était toute douce. Comment ne pas craquer face à lui ? Il avait retiré toutes les barrières que je m'étais, sans même m'en rendre compte, imposées pour éviter de m'attacher alors que je ne savais même pas si je le verrais grandir. Maintenant, cette question me paraissait futile. J'avais envie de profiter tant qu'il était là. Parce qu'on ne sait jamais ce que la vie réserve, et je n'avais pas envie de risquer de passer à côté.
Je déposai un baiser sur son tout petit front, tout était si « tout petit » chez lui.
Et moi qui avais toujours cru que l'amour ne tombait pas du ciel. Il venait de perturber toutes mes certitudes.

***

- Bonjour mademoiselle, me salua le vieux monsieur de l'autre côté du bureau en me tendant sa main.

Je la lui serrai par politesse en le saluant d'un hochement de tête à mon tour. Cet entretien ne me m'était pas du tout en de bonnes dispositions, je n'avais aucune envie d'être là. Surtout pas lorsque nous étions le jour de l'anniversaire de mes deux jumeaux préférés. Pas que j'en connaisse d'autre, mais ils aimaient bien quand je les appelais de la sorte.
Je tentais d'observer ce type en me demandant en quoi il allait pouvoir m'aider. Il avait le crâne dégarni, sûrement à cause de la cinquantaine d'années déjà derrière lui, un sourire poli sur ses lèvres et un regard vitreux qui pourtant inspirait confiance.

- Asseyez-vous, je vous en prie. Vous êtes Mélodie, c'est bien cela ? me questionna-t-il. Vous avez votre carte du lycée ?

J'hochai la tête en plongeant la tête dans mon sac à main. J'en ressortis mon portefeuille avant de lui montrer ma carte sous le nez. Il me fit un petit hochement de tête qui indiquait que cela lui convenait.

- Bon, alors. D'après votre père, les études d'ingénierie ou de médecine vous intéresseraient ? Ou peut-être de droit ?

Je ne pus m'empêcher de souffler bruyamment. Il avait bien vendu son avis, le paternel.

- D'après mon père, oui, confirmai-je en m'agitant un peu nerveusement sur le fauteuil.
- Et d'après vous ?


Sérieusement ? Croyait-il que si j'avais la réponse j'aurais quelque chose à faire ici ?

- Aucune idée, me contentai-je de répondre.
- Hum. C'est bien ce que votre père m'a aussi dit, reprit-il en regardant pensivement mon dossier devant lui. Mélodie ? Aimez-vous le lycée ?


Je me mis à froncer les sourcils en cherchant des yeux la plaque dorée que j'avais entraperçu sur son bureau. Je voulais vérifier qu'il n'était pas en réalité psychologue et qu'il ne cherchait pas à me retourner l'esprit. Mais non, sa plaque n'indiquait que Monsieur Fisher, et qu'il était conseiller d'orientation et directeur du centre d'études de la ville.

- Eh bien, j'ai des amis, des bonnes notes. Alors oui, je crois qu'on peut dire que j'aime bien le lycée, répondis-je toujours sur la réserve.
- Et vos amis, que veulent-ils faire ?
- Oh, pleins de choses différentes. Ingénieur, musicien, école de commerce, université,... Ils ont tous un aspect de leur personnalité qui fait que ces études leur correspondent parfaitement !
- Donc, vous pensez que vous n'avez pas d'aspect de votre personnalité qui permette de vous orienter vers une filière en particulier ?


Je savais ce qu'il essayait de faire, et je n'aimais pas du tout. Il tentait de me retourner le cerveau, comme si la réponse se trouvait quelque part là-dedans. C'était ridicule, non ?

- Pas vraiment, avouai-je en me pinçant les lèvres.
- D'accord, très bien, me dit-il en notant quelque chose sur son carnet. Je voulais aussi savoir, avez-vous essayé de procéder par élimination ? Et au lieu de considérer ce qui vous plaît, de considérer ce qui ne vous plaît pas ?
- Eh bien... Non, pas vraiment. Et puis, comment pourrais-je savoir ce qui ne me plaît pas sans l'avoir testé ?
- Tout simplement parce que cela ne vous correspond peut-être pas. Par exemple : est-ce que vous voyez en chirurgie ? Ausculter des patients ? Donner des diagnostics ?
- La vue du sang me dérange un peu, c'est vrai, confirmai-je. Et je pense que les métiers avec trop de contacts humains ne sont pas pour moi.
- Pourquoi ? me questionna-t-il en posant une main sur son menton d'un air intéressé.
- Parce que je ne suis pas toujours à l'aise avec les gens que je ne connais pas, répondis-je avec honnêteté.
- Et comment se manifeste ce malaise ? Est-ce de la timidité ou simplement que vous n'aimez pas cela ?


C'était bizarre comme entretien. Et pourtant, parler de moi me faisait étrangement plaisir. Personne ne me posait autant de question sur ce genre de choses, et en parler me faisait du bien. Il était payé pour cela, certes, mais c'était justement ce qui me poussait à lui dire la vérité. Il s'en fichait, je pouvais vider mon sac sans avoir peur qu'il ne passe le reste de ma vie à me le rappeler tous les jours.

- Disons que je ne suis pas tout à fait insensible aux jugements des autres. Mais je vais de mieux en mieux par rapport à ça.
- Est-ce parce que vous avez subi des moqueries ? Vous ne ressemblez pourtant pas aux genres de jeunes filles vraiment timides que je peux recevoir dans mon bureau.
- Non, non. Pas des moqueries ! lui expliquai-je en m'installant confortablement dans le canapé parce que je commençais à me prendre au jeu. Disons que j'avais tendance à vouloir tout faire à la perfection, en commençant par moi. Tout en sachant pertinemment que c'était impossible.
- Hmhm. D'accord. Donc, vous aimez que les choses soient parfaites de manière générale ?
- Pas vraiment. Les choses parfaites sont parfois un peu trop ennuyantes et inaccessibles, affirmai-je en repensant soudainement à Nathaniel.
- Alors, qui aime les choses parfaites si elles sont ennuyantes et inaccessibles ?
- Mon père, enfin je crois. Et ma mère aussi, sûrement. Les parents ont tendance à aimer les choses parfaites.
- Et les études parfaites pour vos parents sont en rapport avec celles que votre père m'a indiquées ?


J'étais un peu gênée. J'avais l'impression de trahir mon père. Mais au fond, il n'avait pas tort.

- Je pense que oui, confirmai-je.
- Et pourtant, vous savez, aucune voie n'est parfaite. Il y aura des désavantages et des avantages peu importe le choix, l'important c'est que les avantages valent largement le coût des désavantages à vos yeux. Je sais que ça peut paraître redondant, et que vous le savez sûrement déjà, mais c'est aussi pour cela que c'est plus qu'important que le choix soit fait de votre propre chef.
- Et si mon propre chef il ne sait pas quel choix prendre ?
- Je pense, qu'au fond, vous savez déjà très bien ce qui est pour vous et ce qui ne l'est pas. Vous n'arriverez pas à me faire croire qu'il n'y a pas des études qui retiennent plus votre attention que d'autres. Et, croyez-en mon expérience, ce n'est pas grave de se tromper. Cela arrive tout le temps, je vois ça tous les jours. Il y a toujours des élèves qui ne trouvent pas directement la voie qui leur correspondait à la sortie du lycée, qui se trompent, et qui recommencent. Tout le monde survit à cela.
- Mais moi, je n'ai pas envie de me tromper, grommelai-je en croisant les bras contre mon torse. Surtout que je me dis parfois que rien n'est réellement fait pour moi.
- Ecoutez, je vous mentirai en vous disant que je vais vous aider d'un coup de baguette magique. Il y a tellement de voies différentes qui vous plairont, qui vous intéresseront. Choisir c'est aussi renoncer au reste, et cela peut faire peur. Et si ce n'était pas comme je me l'étais imaginée ? Et si je n'y arrivais pas ? Et si cela ne me plaisait pas ? Je n'ai pas de réponse miracle, mis à part de vous dire qu'au fond de vous, vous saurez si cela vaut la peine ou non de faire ces sacrifices.


***

Le rendez-vous passa bien plus rapidement que je ne me l'étais imaginée. Monsieur Fisher me fit rire, réfléchir et il me perturba. Il m'avait posé des questions et m'avait donné des réponses, j'avais encore du mal à savoir ce que j'allais en faire, mais je les gardais dans un coin de mon esprit.
J'avais appris pas mal de trucs sur moi aussi. Par exemple, que j'avais peur de quitter le lycée. Je ne m'en étais pas spécialement rendue compte avant, parce que cette réalité me semblait bien lointaine, mais c'était vrai. Le lycée, c'était mon terrain, j'étais douée avec les professeurs, pour les notes. J'avais des amis de longue date, ma maison à quelques minutes de marche. C'était un terrain acquis. Ma routine. Mais l'inconnu qui suivait le lycée me perturbait, tout serait différent.
C'était difficile de se dire qu'on devait avancer alors qu'on n'en avait pas envie. Malgré le fait que ma vie était compliquée, elle était vraiment bien. J'étais heureuse. Bien plus heureuse que je ne l'avais été auparavant. J'avais envie de faire un arrêt, de stopper le temps. Parce que c'était injuste la manière dont il nous filait entre les doigts sans que l'on ait eu le temps de s'en rendre compte.

- Bon, il va falloir que je vous laisse, j'ai mon prochain élève qui ne devrait pas tarder à arriver, m'apprit-il en consultant sa montre. J'espère que cette séance vous aura été utile, et j'aimerais beaucoup que nous remettions cela une autre fois.
- D'accord, acquiesçai-je en baissant le regard.
- Vous avez mon numéro, n'hésitez pas à me contacter si vous en ressentez le besoin, me rappela-t-il en se relevant pour m'accompagner jusqu'à la porte.


Il me serra la main et je lui offris un sourire de remerciement. Cet entretien avait eu du bon, je devais l'avouer. Il referma la porte derrière moi et je sortis mon téléphone instinctivement pour regarder l'heure. Je paniquais légèrement en me rendant compte qu'il était déjà 18h45. Mince, il ne me restait qu'un petit quart d'heure pour arriver chez les jumeaux, mais cela demeurait raisonnable comme retard. Je me rendis compte que j'avais une quinzaine d'appels manqués d'Alexy. Et comme une piqûre de rappel, ce dernier tenta à nouveau de me joindre. Je décrochai rapidement en baissant le son du portable pour éviter de perdre l'usage de mes tympans.

- Mélodie ! T'es où ?! hurla-t-il comme prévu dans le combiné.
- Je viens de sortir, je suis là dans dix minutes d'accord ? lui promis-je en me bataillant avec mon sac pour réussir à le refermer.
- Ok, ok. Grouilles-toi hein !
- J'arrive, lui assurai-je en raccrochant.


Je m'apprêtai à partir en courant lorsque Nathaniel fit apparition dans le couloir. Je plissai les yeux pour m'assurer que c'était bien lui, et oui, et il paraissait tout aussi surpris que moi de me croiser.

- Mélodie ? Que fais-tu ici ? me questionna-t-il en arrivant à ma portée. Tu n'es pas chez Armin et Alexy ?

C'est vrai, je venais de tilter. Je me rappelais d'une conversation avec Alexy où il m'avait dit avoir invité Nathaniel mais que ce dernier s'avérait occupé.

- J'avais rendez-vous avec le conseiller d'orientation, lui appris-je en désignant la porte. Et toi ?
- Euh... moi aussi, répondit-il gêné en passant un bras dans ses cheveux. J'ai eu un... contretemps. Je ne suis pas en retard dis-moi ?
- Non, non, je ne crois pas. On vient tout juste de finir. Mais je croyais que tu avais décidé d'aller en médecine ? Tu as changé d'avis ?
- Disons que je me suis rendu compte que mon père y était beaucoup dans cette décision.


Je n'en doutais pas. Son père avait toujours eu un grand ascendant sur lui, et c'en était parfois même un peu malsain.

- D'accord, bon désolée mais il faut vraiment que j'y aille, lui appris-je en consultant à nouveau l'heure sur mon téléphone. Ou Alexy va me transformer en bouillie. Tu vas voir, il est vraiment sympa, ajoutai-je en désignant le bureau de monsieur Fisher de la tête.

Il me fit un petit sourire auquel je répondis par un petit hochement de tête avant de partir en marche rapide. Je pouvais le faire, dix minutes pour arriver chez les jumeaux, c'était amplement faisable. Peut-être plus quinze en fait.
Je traversais les longs couloirs du lycée, zigzaguant comme une pro dans ces lieux que je connaissais sur le bout des doigts. Arrivée devant la porte d'entrée, je me mis à accélérer largement ma marche.
Je jetai un nouveau regard sur mon téléphone, 18h49.
Je rejoignis la rue en face du lycée en traversant au pas de course. J'avais environ un kilomètre à réaliser à pied depuis cette rue. Une fois sur le trottoir, j'entendis mon prénom.
Je tournai le regard pour voir qui venait de me héler en continuant obstinément ma marche vers la prochaine rue. Je descendis le trottoir pour arriver sur la route lorsque je réussis à distinguer la silhouette de Nathaniel. Il tenait un objet noir dans la main et le secouait rapidement pour attirer mon attention. Soudainement, son visage se tordit dans une grimace terrible qui me glaça le sang. Il s'apprêtait à crier quelque chose mais un autre son d'autant plus fort m'empêcha de distinguer le hurlement qui s'échappa de sa gorge. Un terrible et effrayant crissement de pneu se fit entendre derrière moi. Je m'apprêtai à me retourner mais c'était trop tard.


Mon corps est projeté comme une vulgaire poupée de chiffons. Je ne crie pas parce que je ne ressens rien, rien du tout. Je n'en ai pas le temps. Pourtant, tout mon corps part en lambeau sous la violence du choc. La scène passe si lentement. Comme j'en ai rêvé quelques instants plus tôt, le temps est comme suspendu, tout s'arrête. J'ai un moment de lucidité dans toute cette horreur et je pense immédiatement à mon père. Que va-t-il se passer pour lui ? Et puis, les visages de Matt, Iris, Lysandre, Castiel, Alexy, Timéo et de tous les autres s'imposent dans mon esprit. Pendant cet instant où je vole, je les revois tous. Je les aime. Et j'ai peur. Quand ma tête heurte brutalement le sol, j'entends un craquement et puis plus rien.  

Et Dieu créa Mélodie... entre deux pauses pipiWhere stories live. Discover now