Chapitre 20 : Des débris et du verre

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  Je tournai en rond comme une folle dans cet appartement qui me semblait rétrécir heure après heure. J'étais plantée ici à faire le guet depuis maintenant plus de trois longues heures. Il était 12h46, Alexy s'était réveillé et je n'étais pas revenue. Et je n'avais plus de nouvelles de Matt et Lysandre, et encore moins du rouquin porté disparu depuis la veille.
J'avais débarqué totalement débraillée au point de rendez-vous et j'avais découvert l'horreur qu'était devenu l'appartement de Castiel, qu'il avait retourné de fond en comble sûrement après l'annonce du décès de sa mère. Des chaises étaient renversées, la table basse brisée en deux et je ne parle pas des débris de verre qui jonchaient le sol. Et le pire, ce qui me brisa le cœur, fut de découvrir sa guitare qu'il avait violemment fracassée contre le mur. La scène m'avait laissée sous le choc, j'avais maintenant une idée bien précise de l'état d'esprit de Castiel, et j'en avais peur. Où était-il ? Que s'était-il infligé ?
Je me laissai tomber pour la cinquième fois consécutive dans le canapé, que je ne cessai de quitter, croyant les entendre arriver à chaque bruit de pneu qui crispe, ou de porte qui claque.
Je crois que je ne m'étais jamais autant inquiétée de toute ma vie, est-ce que c'était normal ? Après tout, Castiel était un grand garçon. Je ne sus faire taire la petite voix dans ma tête qui ajouta qu'il n'était pas un garçon comme les autres, et qu'il s'avérait souvent incapable de faire les choix les plus judicieux pour lui-même. Je me mordillai de nouveau les ongles jusqu'à sentir un goût de sang dans la bouche. J'étais dans un état qui dépassait le simple stress de la veille d'un contrôle de mathématiques, les rougeurs sur mes doigts pouvaient en témoigner. Dans quel état était-il, lui ? Avait-il fini à l'hôpital, au poste de police ? En le connaissant, tout était possible. J'avais peur, et j'étais incapable de contrôler mes émotions.
Je me pris à nouveau le visage entre mes mains, frottant mes yeux frénétiquement comme pour sortir de ce sale cauchemar qu'était devenue la vie de Castiel.
J'entendis brusquement un bruit de clef dans la serrure, je me relevai d'un seul coup, comme montée sur ressors. L'avaient-ils trouvé ? Je ne bougeai cependant pas de ma place, j'avais bien trop peur, et je sentais cette barre dans mon ventre grandir. Je me rongeai à nouveau les ongles pour tenter de penser à autre chose.
La porte s'ouvrit en grand et j'aperçus Lysandre et Matt faire leur entrée, ils supportaient chacun à l'aide de leur bras un Castiel qui peinait à tenir debout. Il avait les cheveux qui lui tombaient sur le front, j'étais incapable de voir son visage, mais il crachait des injures à ses deux amis pour qu'ils le lâchent. Ce qu'ils ne firent pas, ils le déposèrent sur le canapé après que je me sois écartée pour les laisser passer. Castiel grogna quelques mots intelligibles et se laissa mollement tomber. Il puait l'alcool à plein nez, mais j'étais presque incapable de sortir un seul mot de ma bouche parce que j'avais finalement réussi à percevoir son visage. Il posa ses yeux gris acier dans les miens, et je n'y trouvai pas l'habituelle pointe de sarcasme, son petit air moqueur de constante rébellion, il n'y avait rien que du néant. En m'apercevant, sa bouche se déforma dans un rictus qui me fit frémir.

- Qu'est-ce tu fous là toi ? grommela-t-il.

J'avalai ma salive avec difficulté, je ne pouvais pas cacher ma peur. Il tenta de se relever en posant ses coudes des deux côtés du canapé. Son teint était livide. Il réussit finalement à se mettre dans une position assise quelque peu instable. Il m'observa quelques instants en penchant la tête sur le côté et se mit à rire longuement.

- T'es venue consoler le pauvre orphelin, c'est ça hein ? lâcha-t-il en laissant tomber sa tête sur l'accoudoir du canapé.
- Lâche-la deux secondes Cast, me défendit Matt qui était en train de lui tendre un verre d'eau. Bois ça.
- Dégage putain ! s'emporta ce dernier en donnant un coup dans le verre qui s'explosa sur le sol.
- Merde Castiel, arrête-toi deux secondes ! Tu fais chier sérieux, tu crois que ça nous amuse nous de te supporter alors que t'as décidé de faire ton connard ? Reprends-toi mec, tu nous fais flipper !
- Pépépépé, depuis quand tu ressens plus de pitié pour moi ? Je viens de perdre ma mère hier et tu m'engueules, c'pas très, c'pas très... coool, fit-il remarquer en finissant avec difficulté sa phrase.
- Où vous l'avez trouvé ? les questionnai-je en tentant de regarder le moins possible Castiel, dont la vue me glaçait le sang.
- Dans une rue, me répondit Lysandre en passant une main lasse sur son visage. Il sortait d'un bar, ou d'une boîte, je ne sais pas trop. Il s'était endormi par terre une bouteille vide à la main.
- Je dormais bien jusqu'à ce que vous ne veniez me réveiller bande de connards, leur reprocha Castiel dont le regard me semblait plus vide à chaque minute passée.
- Allez, viens, on va te coucher, annonça Matt en s'avançant vers lui.
- Casses-toi ! Même pas en rêve tu me mets au lit. Mélodie n'a qu'à s'en charger, ajouta-t-il en me regardant de haut en bas. J'avoue que sa tenue m'excite pas, mais comme il y a rien d'autre à se foutre sous la dent.
- Ne parles pas comme ça Cast, soufflai-je dégoûtée par ses propos. C'est pas toi ça...
- C'est vrai que tu connais tout de moi toi, cracha-t-il avec un ton plein de sarcasme. Comme tu connais tout de tout le monde a priori. C'est Lucas qui avait raison, t'es qu'une putain d'allumeuse.
- Cast, arrête de te défouler sur elle, t'es pas dans ton état normal, reprit Matt en tentant de le tirer par le bras. Viens te coucher merde !
- Je t'ai dit d'aller te faire foutre toi, grogna-t-il en le repoussant. T'es toujours à prendre sa défense parce que t'as qu'une envie c'est la sauter putain !


Je lâchai un hoquet de surprise. Mon Dieu, que lui arrivait-il ? Comment des choses aussi horribles pouvaient-elles sortir de sa bouche ? J'avais l'habitude de l'entendre dire des conneries, des grossièretés, mais jamais il n'avait voulu faire du mal à ce point à quelqu'un, et surtout pas à Matt.

- Ferme ta gueule Castiel ou je te jure que je te décoche un poing pour te foutre dans les vapes et te mettre au lit de force, le menaça Matt.
- Bah quoi ? Me dis pas que c'est pas la vérité haha ! Et elle, tu sais pas quoi ? Elle m'embrasse, et maintenant elle se tape un Thomas. Pas vrai Mélodie ? Tu l'as chopé comment celui-là ? Tu lui as fait le coup de la pauvre petite fille abandonnée par sa mère ?


C'en était trop, ce n'était pas lui ça, pas cette méchanceté gratuite. Je pris place à côté de lui, sans le lâcher des yeux. Je savais ce qu'il essayait de faire, il tentait de nous repousser. Et il était très doué à ce petit jeu avec les autres d'habitude, mais ça ne prenait pas avec les gens qui le connaissaient vraiment, ceux qui supportaient son sale caractère connerie après connerie. Je le sondais longuement, espérant déceler quoi que ce soit qui allait me faire penser qu'il allait finir par exploser de rire en nous annonçant que tout ça n'était qu'une autre de ses blagues idiotes, et qu'il allait ensuite partir fumer une clope en grommelant qu'on avait aucun humour.

- Quoi ? Qu'est-ce tu veux ? pesta-t-il en fronçant les sourcils. J'suis pas d'humeur poupée.

Je lui pris son visage de mes deux mains, le forçant à me regarder droit dans les yeux.

- Ce que tu ne fais ne sert à rien, lui assurai-je durement. On sait tous pourquoi tu nous repousses, mais on va pas partir et tu le sais très bien. Arrête de te comporter comme ça. Je voulais juste te dire que... Je suis sincèrement désolée pour ta mère, mais ça va aller et...
- Ne me parle pas d'elle ! s'énerva-t-il en me repoussant.


Il avait posé ses deux mains sur mes épaules et m'avait poussé particulièrement violemment sous le joug de la colère. Tant et si bien que je basculai en arrière et me plantait par terre, ma main droite s'enfonça dans des débris de verre et j'émis un gémissement de douleur pathétique.
Je relevai ma main qui était en sang, me sentant blêmir. La vue du sang avait toujours eu pour effet de me mettre dans tous mes états. Lysandre accourut vers moi, paniqué, et me prit ma main dans la sienne pour inspecter les dégâts.

- Putain de merde, souffla Matt.
- Mél, comment tu te sens ? me questionna Lysandre qui avait toujours le nez dans ma plaie.
- Je... Euh... Je me sens... bégayai-je encore soufflée par le choc.
- On va aller à l'hôpital maintenant, tu as un morceau de verre enfoncé et je ne préfère pas te l'enlever moi-même, trancha Lysandre qui m'aidait déjà à me lever.
- Ouais, cassez-vous c'est ça ! Cassez-vous ! hurla Castiel totalement fou de rage.
- Matt, restes avec lui tu veux ? Empêche-le de faire quelque chose d'encore plus idiot. Et si ça ne va pas, tu m'appelles d'accord ?


Ils échangèrent encore quelques mots, mais je n'écoutais pas. J'étais presque anesthésiée contre la douleur qui me lançait dans la paume. Le choc avait été rude, une colère monstre était en train de monter en moi. Pourquoi fallait-il toujours qu'il fasse les mauvais choix ? Pourquoi était-il totalement incapable d'être raisonnable ? Je m'en voulais tellement mais, à cet instant précis, je le détestais de tout mon être. Je le détestais de ne pas nous laisser l'aider. Je le détestais de m'avoir blessée, et pas seulement d'un point de vue physique. Il m'avait traité comme une moins que rien, comme si tout ce qui s'était passé auparavant n'avait été que du vent. J'essuyai mes joues de ma main valide, humides à cause des larmes que j'avais versées sans même m'en rendre compte.
Je quittai cet appartement qui me donnait envie de vomir sous les insultes de Castiel, j'étais incapable de savoir contre qui il les proférait : Lysandre ? Matt ? Moi ? Est-ce que cela avait une réelle importance ? Il crachait son venin contre l'humanité toute entière, contre le monde entier. Il me fit penser à Lucas à cet instant, et rien au monde ne me fit plus de peine.

***

Je poussai la porte d'entrée de ma maison accompagnée de Lysandre. Nous revenions de l'hôpital et j'avais eu le droit à quelques points de suture et un beau bandage. Heureusement, les médecins avaient été formels : aucun nerf n'avait été touché. J'aurais peut-être dû me sentir heureuse, mais je me sentais surtout totalement vidée, comme si je n'avais pas dormi depuis des mois.

- Mélodie ! s'écria mon père en nous voyant rentrer. Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Pourquoi est-ce que vous ne m'avez pas appelé avant ? Tout va bien ?
- Oui, oui, tout va bien, le rassura Lysandre. Nous n'avons pas vraiment eu le temps de te joindre, les médecins l'ont prise en charge assez rapidement. Désolé de t'avoir appelé si tardivement, je dois t'avouer que ça m'est un peu sorti de l'esprit...
- Comment tu t'es fait ça Mélodie ?
- Je... Hum. J'ai cassé un verre ? inventai-je en tentant de prendre une expression totalement neutre.
- J'entends bien ma puce, mais comment est-ce qu'il est arrivé dans ta main, ce verre ? insista-t-il en perçant grâce à son instinct infaillible que quelque chose clochait.
- Quelle idiote... Je suis tombée la main dedans, répondis-je franchement.


Au fond, c'était bien ce qui s'était passé. Pas la peine de lui expliquer que c'était un accident dont Castiel était fautif, je crois qu'il était capable de le tuer.

- Tu n'as pas l'air dans ton assiette, tout va bien ?
- Si, si, ça va. Je suis juste un peu retournée par l'accident, c'est tout, affirmai-je en baissant les yeux. Je vais aller dormir un peu.
- Très bien, mais pas trop sinon tu sais bien qu'après tu nous fais des insomnies la nuit, me recommanda-t-il en m'observant monter les marches de l'escalier.
- Oui papa, soufflai-je même si je me fichais bien de préserver mon sommeil.


***

J'avais passé ces dernières heures au téléphone, entre Alexy et Armin en haut-parleur qui m'avaient donné la migraine, Nora, Véra, et surtout Iris. Tout le monde était au courant maintenant pour la mère de Castiel, pas sûre qu'il apprécie, mais ce n'était pas comme si nous avions le choix.
Iris avait immédiatement insisté pour me tenir compagnie, mais j'avais refusé. J'avais juste besoin d'être seule, de réfléchir et de regarder un bon épisode des Reines du shopping. Et j'étais même sûre que pour une fois, mon père ne trouverait rien à redire en me voyant m'empiffrer de chocolat.
Lysandre avait informé nos parents de ce qui se passait avec Castiel, mon père n'avait heureusement pas fait le lien avec cette histoire de verre dans ma main. En même temps, mon demi-frère avait toujours su le rassurer, et même s'il détestait le faire, il était bien plus doué pour mentir que moi.
J'avais cogité toute l'après-midi, et j'étais toujours aussi remontée, toujours aussi dégoûtée et déçue. Je me sentais inutile et idiote.
J'étais devant la télévision lorsque mon père était venu s'installer à côté de moi sur le canapé, posant mes jambes sur ses genoux pour récupérer un peu de place.

- Tu as essayé de l'appeler ? me questionna-t-il.
- Non.
- Pourquoi cela ?
- Il a envie d'être seul, lui expliquai-je en détournant le regard. C'est son genre de se renfermer quand quelque chose va mal.


Il ne trouva rien à répondre, parce qu'au fond, il savait bien que j'avais raison. Aucunement besoin d'avoir un Bac+5 en Castiel pour savoir qu'il était plutôt du genre à repousser les gens qu'à leur ouvrir son cœur. Rien que le mot cœur me semblait lui être totalement opposé.

- Ca m'a fait réfléchir cette histoire, continuai-je d'un ton sérieux. Je crois que finalement j'ai envie de parler à... ma mère, qu'elle vienne ici.
- Vraiment ? s'étonna mon père.
- Oui, vraiment, confirmai-je. J'ai envie de lui laisser cette chance de s'expliquer, de... de se faire pardonner. Je sais qu'elle va me décevoir, qu'elle ne me donnera jamais les réponses que j'ai envie d'entendre, mais je crois que c'est mieux de l'affronter plutôt que de le regretter toute ma vie. Tu avais raison, si je ne le fais pas, ça va me poursuivre et finir par m'exploser à la figure.


Il ne répondit rien pendant un instant, se contentant de m'observer longuement. Je m'étais toujours imaginée, depuis que j'étais petite, que c'était sa façon à lui de me chercher des points communs avec elle. Parce qu'au fond, j'en avais forcément, même si j'espérais secrètement que non.

- Je suis fier de toi chérie, finit-il par dire.

Je ne pus retenir un sourire. Mon père ne me disait que très rarement ce genre de choses, ce n'était pas vraiment nous les grandes démonstrations d'affection père-fille. Ce qui rendait cette déclaration d'autant plus spéciale, mémorable. Et moi de mon côté, en quelque sorte, je me sentis aussi fière de lui. Si cette scène avait eu lieu quelques mois plus tôt, il aurait sûrement beaucoup plus insisté, nous aurions eu de longues discussions où il m'aurait expliqué de long en large qu'il avait raison à propos de ma mère. J'aurais fini par céder pour lui faire plaisir, et parce que je me serais entièrement reposée sur lui, lui déléguant toutes les décisions. J'appréciais énormément qu'il m'ait, peut-être sans s'en rendre compte, donné l'opportunité de faire le bon choix de mon propre chef, sans intervenir de manière excessive. Peut-être qu'au fond, nous commencions tous les deux à accepter que j'avais grandi ?
Il resta avec moi tout le long de la soirée, jusqu'à une heure bien trop tardive pour lui, et ce alors que je le forçais à regarder une série d'émissions débiles se suivant les unes après les autres. Il accepta de jouer le jeu et de me tenir compagnie. Sa présence me fit me sentir mieux, mon père était quelqu'un qui inspirait la confiance, et je ne me sentais jamais plus en sécurité qu'avec lui.
Je compris cependant qu'il commençait à arriver au bout de ses limites lorsque je l'entendis ronfler de manière très faible vers deux heures du matin. J'entrepris donc d'éteindre la télévision et de lui secouer légèrement l'épaule afin de le réveiller.

- Papa, viens on va se coucher, lui soufflai-je.

Il grommela quelques mots, que je ne compris pas, mais finit par se lever avec difficulté. Je le suivis dans les escaliers, et jusqu'à sa chambre. Il me lança un « bonne nuit » endormi avant de s'infiltrer dans l'obscurité de la pièce.
Je regagnai le chemin de la mienne un sourire aux lèvres, mon père n'était pas aussi parfait que j'avais toujours bien voulu le croire, mais il en était encore plus génial.
Je refermai soigneusement la porte de ma chambre, et un vent froid s'infiltra dans mon peignoir, un frisson me traversa le corps. Je refermai soigneusement la fenêtre puis allumai ma lampe de chevet.
Une fois la pièce sortie de l'obscurité, je manquai de pousser un hurlement. De l'autre côté du lit dépassait une tignasse rouge qui ne m'était que trop reconnaissable. Que faisait-il là ? Il était rentré par la fenêtre ? Cette idée me déplut, Matt avait dû lui parler de cette technique pour pénétrer en douce dans ma chambre.

- Tu n'avais pas fini de m'insulter tout à l'heure c'est ça ? lui lançai-je.

Il ne prit même pas la peine de me répondre. J'avais l'impression que je n'étais pas supposée être en colère contre lui alors qu'il venait de perdre sa mère, mais je ne pouvais pas m'en empêcher. Il avait réussi à me faire du mal, parce qu'il l'avait voulu. Je contournai mon lit rapidement pour lui faire face, je ne voulais pas de lui ici.
C'était exactement ce que je m'apprêtais à lui dire mais ses yeux se levèrent vers moi, et je vis son expression. Ce n'était pas la même que tout à l'heure, non, ce n'était pas celle vide de tout sentiment, du connard qui tentait de prétendre se foutre du monde entier, et d'autant plus de la mort de sa mère. Il arborait une expression dévastée, il était redevenu lui-même, mais le pire de lui-même. Son corps était relâché, comme s'il n'avait plus rien à quoi se tenir, ses yeux étaient perdus dans le vide, son teint avait pris une couleur blafarde. Il était là, le Castiel qui venait de perdre sa mère, le Castiel qui se retrouvait seul face au reste du monde. Il lui avait fallu une gueule de bois monstrueuse et une journée d'insultes pour en arriver là.
Sa douleur me frappa en pleine face, j'en oubliais ma colère, ma main, mon père, sa mère, je me laissai tomber par terre à côté de lui et lui pris la tête entre mes bras, le serrant fort contre ma poitrine. Je savais qu'il ne pleurerait pas, pour pleurer, il fallait être triste. Et là, il n'en était plus à ce stade, il était tout simplement dévasté, perdu. Je savais qu'il se demandait à quoi allait ressembler sa vie, comment il allait continuer alors qu'il n'avait plus personne. Il n'avait pas besoin de le dire pour que je le devine. Je passai une main sur ses cheveux, comme si ce geste était capable de lui ôter toutes les idées noires qui devaient s'accumuler dans sa tête depuis cette fameuse nuit où sa vie avait basculée.

- J'suis désolé, j'ai été trop con, marmonna-t-il sans bouger.

Il se saisit de ma main, celle avec le bandage, et il la porta face à ses yeux comme pour l'observer.

- Je détruis toujours tout ce que je touche.
- C'est rien du tout, les médecins m'ont affirmés qu'il y avait eu plus de peur que de mal, lui assurai-je en récupérant ma main.
- Tu devrais me détester, je t'ai dit des trucs... Pourquoi je suis comme ça merde ?
- Je ne t'en veux pas, répétai-je en passant à nouveau ma main dans ses cheveux.
- Moi je m'en veux, je me déteste putain, me confia-t-il de sa voix brisée.


J'étais incapable de trouver une réponse, des mots qui puissent le réconforter. Je doutais qu'il y en ait. Ce n'était pas ainsi qu'il était possible de rayer toute une enfance ratée, une mère totalement à l'ouest et alcoolique et une terrible colère qui grondait au fond de lui. Je me contentais de lui offrir le peu que j'avais, le peu qu'il était capable d'accepter sans me repousser.
Nous restâmes ainsi pendant plusieurs longues minutes, je crus d'ailleurs un instant qu'il s'était endormi. Mais aussi bien et apaisée que je pouvais me sentir à cet instant, je savais pertinemment qu'il allait à nouveau partir, qu'il allait à nouveau fuir. Et il finit en effet par se détacher de mon étreinte, comme si son seuil de douceur avait été trop mis à l'épreuve.
Il se releva brusquement, épousseta son éternel blouson en cuir qui ne le quittait pas, et me lança un sourire en coin.

- Je vais me barrer avant que Dark Vador me surprenne et ne me chasse à coup de fusil, me lâcha-t-il.
- Tu ne veux vraiment pas rester ? m'enquis-je en me relevant à mon tour.
- Non, c'est pas... Non.


Je n'avais pas envie qu'il parte. J'avais peur qu'il le fasse, et j'avais peur des conséquences. Qu'allait-il faire ensuite ? Etait-ce une période de lucidité avant de replonger ? J'étais bien plus accrochée à lui que je ne voulais me l'admettre. Et ce fut en me posant toutes ses questions, et en le regardant droit dans les yeux, que je pris conscience de quelque chose. Il n'y avait personne pour nous voir, il n'y avait pas de jeu, pas de comédie, mais j'avais eu envie de l'embrasser. Et je l'avais fait. Je me fichais éperdument qu'il me repousse. Mes lèvres étaient venues se poser sur les siennes presque par instinct, par réflexe, par envie, j'avais encadré son beau visage anguleux de mes deux mains.
Il avait été d'abord surpris, très surpris. Cette situation aurait pu me faire rire, Castiel ne devait pas avoir l'habitude de se faire embrasser à l'improviste, c'était plutôt lui qui se chargeait de le faire avec les filles. Il reprit rapidement du poil de la bête et approfondit notre baiser en passant ses deux mains dans le bas de mon dos, me serrant fort contre lui.
Jamais de ma vie je ne me serais doutée que j'embrasserai un jour Castiel dans ma chambre, de ma propre volonté. Jamais je ne me serais doutée que j'en voudrais plus, que mon ventre se tordrait de désir pour cet idiot que j'avais plus appris à détester qu'à apprécier. Je n'avais jamais réellement eu de contacts physiques avec un garçon, mais étrangement, avec Castiel, cela ne me faisait pas peur.
Néanmoins, je glissai très prudemment mes mains sous son T-shirt, je me sentis rougir mais j'avais envie de sentir sa peau. Il émit un petit grognement, je fus incapable de savoir si cela était lié au fait qu'il appréciait cela ou que mes mains se faisaient glaciales contre son torse.
Il recula un peu pour retirer sa veste en cuir alors que je me laissai tomber dans mon lit, en attendant patiemment qu'il ne revienne m'embrasser. Ce qu'il ne tarda d'ailleurs pas à faire, en plaçant son corps au-dessus du mien. Je passai mes mains dans ses longs cheveux, alors qu'il était occupé à déposer des baisers dans mon cou. Je le laissai retirer avec habileté mon horrible haut de pyjama, il me fit une petite remarque moqueuse en le balançant à l'autre bout de la pièce.
J'étais horriblement gênée de me retrouver en soutien-gorge devant lui, mes mains quittèrent ses cheveux par réflexe pour couvrir mon torse. Loin de le stopper, il descendit son visage et se mit à déposer ses lèvres le long de mon bras, un geste tendre qui, venant de lui, me surprit et me bouleversa totalement. Et alors que je me sentais prête à aller plus loin, il s'écarta brusquement et se releva du lit.

- Si on continue, je suis pas sûr de pouvoir m'arrêter, m'informa-t-il en prenant une certaine distance de sécurité.
- Et ce serait... mal ?
- Mél, je crois pas que t'aies réellement envie de perdre ta virginité avec moi. On aurait jamais dû aller si loin, j'suis pas dans un état normal et toi non plus.
- T'es en train de me dire que tu ne l'aurais pas fait si tu étais dans un état normal ? traduis-je totalement bouleversée.
- Non, ne mélange pas tout. Je... C'est trop le bordel dans ma tête là... Il y a ma mère, Matt, toi,... Tu devrais pas coucher avec un type comme moi.
- C'est toi qui confonds tout, rétorquai-je en me levant à mon tour pour lui faire face. Je comprends que... Tu sois perdu, mais est-ce que ce qui vient de se passer s'est passé parce que tu es perdu ou parce que tu en avais envie ?
- On s'en fout, la réponse n'a pas d'importance. J'suis incapable de t'apporter c'que tu veux.
- Ah oui ? Et qu'est-ce que je veux au juste ?
- Une histoire d'amour, des sentiments, un beau roman à l'eau de rose. C'est pas moi tout ça !
- C'est ridicule, je t'ai jamais demandé de m'épouser, m'emportai-je en me rapprochant de lui. Et arrête de tout le temps vouloir faire croire que tu n'as pas de sentiments, tu es humain, t'es pas un robot bon sang !
- Mél, mets un T-shirt bordel, c'est pas possible de me concentrer avec ça sous le nez ! me coupa-t-il en désignant ma poitrine.


Je récupérai mon pyjama en piquant un fard, gênée. Je l'enfilai rapidement et croisai mes bras contre ma poitrine, j'étais de nouveau en colère contre lui. Comment s'y prenait-il pour me faire ressentir tant de choses contradictoires en si peu de temps ?

- T'aurais jamais dû me laisser t'embrasser si c'était pour me sortir un truc comme ça, repris-je. Et tu n'aurais pas non plus dû m'embrasser à Halloween, chez Rosalya.
- Putain mais tu crois que je le sais pas tout ça ? souffla-t-il en frottant ses yeux avec ses mains. Et qu'est-ce qui t'as pris à toi aussi de m'embrasser merde ? On te l'a jamais dit qu'il faut jamais chauffer un mec quand t'es seul avec lui dans ta chambre ?
- Non, désolée, cette règle m'est totalement sortie de l'esprit ! ironisai-je. Pourquoi tu compliques tout ? J'en avais envie, c'est tout.


Il posa alors ses yeux acier sur moi. Je savais qu'il allait partir, j'avais réussi à obtenir de lui beaucoup plus que je n'aurais jamais pu l'imaginer. J'effleurais du doigt ses limites, tout ce qui touchait à ses sentiments qu'il s'était fait une joie d'enfermer dans une armature métallique depuis la mort de son père, pour se protéger et sûrement pour ne plus souffrir. J'avais seulement besoin de savoir qu'il ne m'avait pas juste embrassé parce qu'il se sentait mal, mais parce que comme moi, il en avait eu tout simplement l'envie. Parce qu'il touchait lui aussi à mes limites, je n'étais pas du genre à flirter avec n'importe qui. Je ne lui demandais pas une déclaration d'amour, je lui demandais juste de me dire ce qu'il ressentait vis-à-vis de la situation. Et je ne voulais pas de son air moqueur, de son sourire, je ne voulais que sa franchise. Cette honnêteté qui le poussait parfois à blesser les gens, parce qu'il n'avait pas de filtre.

- Tu m'emmerdes, tu crois que j'avais réellement pas envie de toi tout à l'heure ? J'aurais été un bon comédien, et tu sais bien que c'est pas mon genre. Mais c'est pas possible, et tu le sais ça aussi, je ferai pas ça avec toi. Faut vraiment que j'me casse maintenant, j'ai... des trucs à faire.

Et alors que j'avais réussi à retrouver notre Castiel, le voile de tristesse qui l'habitait lorsque je l'avais trouvé sur le sol réapparut sur ses traits. Cela me fit frissonner.

- Si ça va pas, tu peux toujours nous appeler Lysandre ou moi. Fais pas de bêtises, s'il te plaît.
- T'inquiètes pas pour moi va, je vais m'en sortir comme un grand garçon, me lança-t-il maussade.


Il entreprit d'ouvrir ma fenêtre et se faufila difficilement à l'intérieur avant de marcher brièvement sur le toit et de redescendre en s'accrochant à l'arbre à proximité. Je regardai silencieusement sa tignasse rouge disparaître dans la nuit.
Nom de Dieu, qu'est-ce qu'il venait de se passer au juste ?
Mon corps avait tout simplement décidé de s'exprimer, j'avais bien tenté de lutter, j'éprouvais une attirance envers Castiel. Pourquoi encore le nier ? Après ce qui venait de se passer, cela n'aurait plus aucun sens. Et que ressentais-je pour Matt ? Je me savais aussi attirée par lui, mais c'était totalement différent, ce n'était pas aussi... violent ? Avec Matt, c'était toujours plus doux, plus facile. Je le connaissais par cœur. Avec Castiel, c'était bien plus compliqué, je me surprenais à le détester tant il m'était opposé, et à le désirer pour la même raison.
J'étais incapable de jouer sur les deux tableaux, je me sentais nulle, totalement nulle. Une idée folle me traversa l'esprit, une idée folle parce que suicidaire, mais ce fut sans doute la chose la plus logique à penser ; j'allais devoir en parler à Matt. Il était mon meilleur ami, mon voisin, mon ami d'enfance, et il méritait de savoir. Même si cela n'allait pas forcément lui plaire.
Mais avant cela, je comptais bien laisser couler quelques jours. J'avais besoin de faire un point sur moi-même, j'étais bien trop confuse. Et restait encore l'enterrement de la mère de Castiel, qui allait nécessairement arriver rapidement. Comment ce dernier allait-il se comporter ? Allait-il au moins y participer ou allait-il plutôt replonger dans son marasme et sa solitude qu'il estimait apparemment bonnes pour lui ? J'étais effrayée à l'idée que ce moment passé n'était qu'un faible regain de l'ancien Castiel, et qu'il allait rechuter d'une manière d'autant plus rude et durable. Parce qu'une fois le choc passé, il fallait réapprendre à vivre normalement alors que tout le monde reprenait son chemin tranquillement, et c'était sans doute la partie la plus difficile.  

Et Dieu créa Mélodie... entre deux pauses pipiWhere stories live. Discover now