Chapitre 18 : L'armoire de Narnia

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- Non ? Tu déconnes là ? s'étonna Matt en ouvrant de grands yeux. Philippe, genre on parle bien de ton géniteur ? Il t'a vraiment dit ça ?

Je hochai la tête lentement. J'avais moi aussi eu du mal à assimiler le fait que mon père avait revu son jugement à propos de Castiel. Ca ne lui ressemblait tellement pas qu'à dire vrai, je n'y croyais toujours pas.

- Si tu veux en avoir le cœur net, tu peux toujours aller lui demander, me moquai-je en désignant du doigt la table ronde où il se trouvait en pleine discussion quelques mètres plus loin avec plusieurs élèves.
- Sans façon, j'ai pas envie de me faire enrôler de force dans le gang des banquiers, grommela-t-il.


Je devais avouer que mon père pouvait se montrer très persuasif quand il était question de son travail. Il était réellement passionné, et je le soupçonnai d'ailleurs de participer à ce forum en partie pour pouvoir transmettre son amour du travail. Etrangement, ça n'avait absolument pas fonctionné sur moi. En même temps, rien n'avait réellement fonctionné sur moi, et c'était aussi pour cela que je me retrouvais comme une idiote au milieu du forum à ne pas savoir où me rendre. Il me fallait pourtant remplir ce papier pour notre prof de français...
Je jetai un coup d'œil dans le gymnase où le lycée avait mis en place l'évènement et constatai avec agacement que tout le monde avait trouvé sa place et discutait avec des intervenants.
Même Matt, qui était venu m'aborder entre deux stands, prenant pitié de ma pauvre personne.
Mon Dieu, est-ce que j'étais réellement la seule à me sentir comme un poisson hors de l'eau ?
Ce fut lorsque je me fis cette réflexion que Castiel fit son entrée dans le gymnase. Il avait les cheveux en bataille, une démarche traînante et le regard vitreux. Je n'avais guère besoin de lui poser la question pour savoir qu'il venait à peine de se tirer du lit. Bon, je n'étais peut-être pas le cas le plus désespéré.

- Ah, j'en connais un qui ne s'est pas fait réveiller par le baiser d'un beau prince ! s'exclama Matt avec un sourire à l'égard du nouvel arrivant.
- Foutu lycée de merde, grommela Castiel qui s'était clairement levé du mauvais pied – pour changer tiens.
- A moins que tu aies passé une nuit plutôt agitée avec Princesse Nathaniel ? ne pus-je m'empêcher d'ajouter en me remémorant la scène à laquelle j'avais été témoin dans le bureau des délégués.
- Vous avez rien d'autre à foutre que d'me casser les couilles de si bon matin ? grogna-t-il en passant ses mains sur ses yeux sûrement dans un espoir vain de se sortir de son coma.
- Pas vraiment, assura Matt en haussant les épaules. Ah tiens, avant que j'oublie Mél, puisqu'on parle de truc à faire : ma sœur m'a demandé de te prévenir que la soirée-film de ce soir a été déplacée chez toi. Mes parents avaient des invités à dîner, mais Lysandre a réussi à négocier avec sa mère pour faire ça dans ton salon.
- Tu viens ? le questionnai-je en appréhendant sa réponse.
- Je... Franchement Mélodie, je sais pas si j'en ai réellement envie.
- Putain mais quel relou ! s'exclama Castiel qui me fit sursauter par son intervention soudaine. Tu vas faire ton boudin encore longtemps ? T'es un vrai gamin c'pas possible.
- C'est l'hôpital qui se fout de la charité, répliqua Matt en croisant les bras contre son torse.
- Attends, on sait tous les deux que le connard du groupe, c'est moi. Toi t'es le mec cool qui va pardonner à son meilleur pote d'avoir chopé sa sœur, ok ?
- Si tu crois réellement que j'ai envie de me retrouver toute une soirée coincé entre Lys et ma sœur, t'as fumé la moquette mon pote. Enfin, je changerai peut-être d'avis si t'acceptais de venir.
- S'il te faut que ça pour arrêter de jouer au con ! Les répéts' sont devenues infernales à cause de vos histoires de nanas.


Matt lâcha sèchement un petit « bien » qui signifiait que la discussion était close pour le moment. Cette soirée risquait d'être haute-en-couleur...

- Bon, tu fais quoi toi ? me questionna Matt qui souhaitait apparemment changer de sujet.
- Euh... C'est-à-dire ?
- Quel intervenant tu comptes aller voir ? précisa-t-il en levant les yeux au ciel.
- Hmmm... Joker ? éludai-je en faisant une grimace.
- Si tu veux que je lise dans ton avenir fillette, fallait le dire plus tôt, me balança Castiel qui avait retrouvé son sourire en coin. Je sais déjà que tu feras un métier bien barbant, où tu bosses pour emmerder le monde. Comme prof, policier ou pourquoi pas un truc dans le droit ? Avec ça tu peux être sûre de taper dans l'œil de Nathaniel. Putain, j'suis carrément machiavélique.
- Et qui te dit que je veux taper dans l'œil de... relançai-je.


Je ne finis pas ma phrase car une silhouette attira mon attention quelques mètres plus loin. Je ne pus retenir une grimace de dégoût. Et pourtant, le garçon en question était mignon, mais la facette qu'il m'avait laissé voir de lui avait entaché toute trace de beauté sur ses traits. Son regard croisa le mien et il arborait un petit sourire en coin qui me fit serrer la mâchoire. La seule chose qui me vint immédiatement à l'esprit fut : « ce type est pervers ». Et pas le genre de perversion dont pouvait parfois faire preuve Castiel, à la limite entre l'humour et le mauvais goût –il fallait bien se l'avouer-, mais une perversion bien plus mauvaise et sombre. J'ignorais comment j'avais réussi à ne pas voir la colère qui émanait de ce garçon, je ne savais pas ce qu'il avait pu vivre par le passé, mais il avait clairement décidé de s'en venger en répandant ses mauvaises ondes.
Je ne pus m'empêcher de me rappeler ses paroles blessantes, il n'avait pas hésité à tenter de me descendre sans même me connaître, s'attaquant à ce qui lui parut être mes faiblesses. Et il avait misé juste, en plein dans le mile. Je travaillais encore à limiter ma sensibilité vis-à-vis du regard des autres, mais il m'avait craché son venin en plein dans la figure, et je n'avais pas réussi à l'empêcher de s'infiltrer dans mes veines comme un poison. Je me sentais en colère, et tellement honteuse qu'il ait réussi à m'atteindre de la sorte.

- C'est pas le mec de la soirée ? m'interrogea Matt qui avait suivi mon regard. Le gars qu'on a envoyé bouler ?
- Si, confirmai-je en tentant de cacher toute la colère qu'il m'inspirait.
- Lucas ? devina Castiel qui avait à son tour renversé la tête du côté du jeune homme.


J'hochai lentement la tête sans lâcher le regard du grand brun. Ce dernier me lança un baiser au loin qui me fit blêmir. Pour qui se prenait-il ?

- Mél, tout va bien ? Tu tires vraiment une sale tronche ! me fit remarquer Matt avec une pointe d'inquiétude dans la voix.

Je ne lui répondis pas, je n'avais pas envie de l'énerver pour rien. Matt était bien trop protecteur et Lucas était juste un abruti de plus comme il y en avait partout sur cette planète.

- Il lui a maté le cul et l'a traité de salope, lui apprit Castiel en brisant mon vœux de silence d'un ton neutre.

Je lui jetai un regard désapprobateur, quoi que surprise qu'il se souvienne de mes jérémiades. Surtout que tout ceci avait eu lieu à la soirée d'Halloween de Rosalya, juste avant qu'il ne m'embrasse. J'eus la chair de poule à l'évocation de ce baiser, en particulier avec actuellement un Matt se tenant à quelques centimètres de moi. Si Castiel eut la même pensée que moi, il n'en montra rien.

- A ton avis Cast, est-ce que c'est le genre d'insulte qui mérite qu'on te foute un poing dans la tronche ? le questionna Matt d'une voix bien trop sérieuse.
- Tu parles, j'aurais aimé lui refaire le portrait bien plus tôt avec sa gueule de p'tit con prétentieux, approuva Castiel en souriant machiavéliquement de toutes ses dents.


Je les vis se diriger soudainement vers Lucas, et je pris un peu trop tardivement conscience de la situation et me lançai à leur poursuite. Je ne pus m'empêcher de lancer un regard inquiet dans la direction de mon père, mais il était heureusement totalement hors de vue et ne pouvait assister à la scène.

- Qu'est-ce que vous fabriquez ?! m'exclamai-je en les attrapant chacun par le bras pour les stopper dans leur avancée. Vous êtes malades ou quoi ? Il ne vaut vraiment pas la peine de s'énerver et encore moins ici ! Pas la peine de jouer aux gros bras, je suis parfaitement capable de gérer la situation toute seule !
- Pfft, bah bien sûr, et moi j'suis la Reine d'Angleterre, souligna Castiel.
- La ferme, deux secondes ! m'emportai-je. Je vous dis que ça ne sert à rien de perdre votre temps avec lui, je ne le reverrai plus jamais de toute façon, et...
- Y a-t-il un problème ? me coupa Lucas qui s'était approché de notre petit groupe, sans aucun doute attiré par l'électricité qu'il se dégageait de la scène.
- Aucun, assurai-je en tentant à nouveau de tirer les deux garçons pour les éloigner.
- Bah moi j'en ai un, lui assura Matt qui n'avait pas bougé d'un pouce malgré mon insistance. Alors comme ça t'as insulté Mélodie ?
- Je n'irai pas jusqu'à dire que je l'ai insultée, affirma Lucas en prenant un air hautain. Disons plutôt que je n'ai fait que décrire des faits.
- Ah ok, on veut jouer au plus con, ajouta Matt qui montait en tension. Moi aussi je vais te décrire des faits : si tu t'excuses pas auprès d'elle, je te fous mon poing dans la tronche. C'est assez clair pour toi ou faut que je prenne un accent genre je pète plus haut que mon cul pour que tu comprennes ?
- Matt, calme-toi, c'est pas si grave que ça... tentai-je d'intervenir. Tu vas te faire prendre par les surveillants si tu continues...
- C'est marrant, j'ai du mal à comprendre pourquoi vous la défendez, continua Lucas en prenant un air faussement étonné. Après tout, si j'ai bien compris, toi t'es censé être son mec ?


Il avait lancé un regard vers Matt en terminant sa phrase. Je ne comprenais pas où il voulait en venir. Après tout, en quoi cela le concernait-il ? Surtout qu'il avait deviné par la suite que Matt n'avait fait que jouer un rôle pour m'éloigner de lui. Son argumentation n'avait aucun sens.

- Ca te regarde pas, cracha Matt qui en était apparemment venu à la même conclusion que moi.
- Bien entendu, bien entendu. Loin de moi l'idée de t'offusquer Monsieur-le-petit-ami, mais j'ai l'impression que la présence de ce type est réellement de trop dans cette affaire.


Cette fois-ci, c'était Castiel qu'il avait désigné. Il avait réussi à me perdre totalement. Cependant, la suffisance et la confiance qui pouvaient se deviner dans sa voix ne laissaient rien présager de bon.

- Qu'est-ce qu'elle me veut la poufiasse ? s'emporta Castiel qui, je le devinais, ne supportait pas le ton condescendant employé par Lucas.
- Je tenais simplement à signaler que je ne suis pas le méchant dans cette histoire. Tu devrais bien le savoir pourtant. Si Mélodie est supposée être en couple avec ton pote, qu'est-ce que tu foutais à l'embrasser derrière un mur ce soir-là ?


Ma mâchoire se décrocha. Nom de Dieu ! Il nous avait vus ? Je me sentis immédiatement rougir comme jamais. Castiel fut lui aussi déstabilisé, mais ne détourna pas pour autant le regard de Lucas.

- Si tu veux un conseil l'ami, reprit Lucas en se tournant vers Matt, tu devrais réellement lâcher l'affaire avec cette nana. A mon avis, t'es pas le premier mec qu'elle réussit à faire tomber dans ses filets en jouant la pauvre victime qui a besoin qu'on la protège. Laisse tomber avec elle vieux, tu t'en...

Il n'eut pas le temps de finir sa phrase car le poing de Castiel entra en contact avec sa mâchoire, ce qui provoqua un bruit de craquement effrayant. Je portai mes mains à ma bouche, sonnée et totalement incapable d'avoir une autre réaction qui serait plus sensée. Lucas avait reculé de quelques pas sous la violence du choc, une main portée à son visage qui avait pris une couleur rouge inquiétante. Castiel avait cependant bien dosé son coup, Lucas n'aurait qu'un beau cocard.

- Et bah, ça me démangeait, souffla Castiel en frottant son poing endolori de sa main gauche.
- Greenberg ! hurla la directrice qui venait de pousser plusieurs personnes pour se rapprocher de la scène. Mais vous avez perdu la tête ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ?!


Elle balança sa tête dans tous les sens, comme une furie. Nous étions bien entendu trop effrayés pour lui répondre.

- Bon, tous les deux : dans mon bureau ! ordonna-t-elle en désignant Lucas et Castiel avec son doigt.
- Ah non ! Pas la médiation, gémit Castiel. Ce mec est un con, j'comprends vraiment pas l'intérêt de tout ça. On peut pas passer direct à la case où vous me foutez des heures de colle ?


En effet, je le savais car j'avais été assistante déléguée, et Castiel parce qu'il se trouvait souvent impliqué dans ce type de bagarre, la directrice enfermait les éléments perturbateurs dans son bureau pendant une bonne heure jusqu'à obtenir des excuses et une sincère réconciliation. Autant vous dire qu'à chaque fois que Castiel – le plus souvent accompagné de Nathaniel- se retrouvait dans cette situation, c'était en général la directrice qui finissait par craquer en le collant le mois entier. Obtenir des regrets de la part de Castiel ? Cela relevait presque du miracle.

- Ne commencez pas Greenberg ! J'ai atteint mon seuil de tolérance avec vous ! Je suis à ça de craquer, à ça !

Elle avait carrément viré au rouge sous la colère et désignait furieusement la sortie, les cheveux en pétard. Castiel s'exécuta en fredonnant un air d'enterrement, ce qui eut pour effet de faire exploser Matt de rire. La directrice vint ensuite s'enquérir de l'état de santé de Lucas, qui lui assura bien aller, avant de lui crier à son tour dessus de rejoindre son bureau. Tout le monde ayant l'habitude des éclats de colère de la directrice, l'incidence ne fit pas plus d'émoi.
Enfin, personnellement, je n'en revenais pas de ce qu'il venait de balancer devant Matt. J'avais moi-même presque renié ce baiser, je ne le comprenais toujours pas, et je n'avais pas forcément envie de réfléchir à ce qu'il impliquait.
Je fis donc face à mon voisin, mais ce dernier souriait encore, comme si rien ne s'était passé. Peut-être n'avait-il pas compris ? Je me gardai bien en tout cas de lui expliquer. Il me prit par le bras et me traîna de force dans un stand où des étudiants de droit étaient rassemblés, comme si la blague de Castiel l'avait sérieusement fait réfléchir.
Matt, même s'il n'était pas intéressé le moins du monde par ces études, se montra comme à son habitude : drôle, amical et souriant. J'étais totalement incapable de savoir comment il réussissait à se montrer aussi naturel avec des inconnus, à réussir à se faire apprécier rien que par l'aura qu'il dégageait. C'en était bluffant. A la fin de l'entretien, il salua joyeusement tout le monde et m'annonça qu'il allait discuter avec un ancien ami à lui en histoire à la fac. Je m'apprêtai à lui dire que j'allais l'accompagner lorsque mon portable se mit à vibrer.

De : Alexy
A : Mélodie
C'est vrai que Castiel a frappé un gars ?!!!!!

De : Mélodie
A : Alexy
Les mauvaises nouvelles vont vite...

De : Alexy
A : Mélodie
POUR4QUOI TES PAS VEN99UUE ME CERCHER ?! Un combat entre mec, c'est hyyyyyper excitant : JER TE eeDETESTE !


Un sourire s'étira sur mes lèvres, Alexy n'arrivait jamais à rédiger correctement un message quand il était énervé. Un autre message suivit celui-ci quelques secondes plus tard.

De : Alexy
A : Mélodie
Bon, dans ma grande bonté d'âme, je vais malgré tout te pardonner cet affront parce que jtm bien. Et dis, tu fais quoi ce soir ?

De : Mélodie
A : Alexy
Soirée film. On tente de réconcilier Matt et Lysandre, ça va être grandiose... Et toi ?

De : Alexy
A : Mélodie
Pas encore décidé. J'te laisse, avec Iris on va en mission de reconnaissance : il y a un docteur trop sexy pour les veinards qui vont en médecine. J'ai soudainement envie de faire des piqûres !!!!!!


Eurk. Merci Alexy.

***

Le bilan du forum avait été plutôt positif. Enfin, surtout pour mon père qui s'était montré enthousiaste comme jamais à la fin de la journée. Il avait ensuite décidé de me faire subir un interrogatoire, pour essayer de me convaincre notamment de m'engager dans des études d'ingénieur, mais je lui avais répondu en toute honnêteté que j'avais besoin de temps pour réfléchir. Je détestais plus que tout prendre des décisions à la hâte, sans mettre considérablement penchée sur la question au préalable. Cette situation me donnait l'impression de perdre pied, de mal faire les choses. Et là, en l'espèce, tout était d'autant plus complexe que cette décision allait influencer de manière radicale mon avenir. Je ne voulais pas me tromper. Comment savoir quelle voie était la bonne ?

- J'ai pris ça pour toi, m'informa mon père en déposant une pile de prospectus juste devant moi.

J'observai silencieusement quelques-uns des papiers dont les titres peu aguicheurs me firent plus peur que ne m'intriguèrent « Que faire de sa vie ? », « Comment ne pas se tromper d'études ? », « Le Grand Test des métiers », « Comment devenir ingénieur en biologie ? ». Je jetai un regard sombre à mon père en découvrant ce dernier, c'était clairement un message à peine dissimulé.

- Je vais aller ranger tout ça, lui annonçai-je en me levant de la table de la salle à manger. Merci papa.

Je feuilletai distraitement certains en gravissant les escaliers. Une fois dans l'intimité de ma chambre, je me saisis d'une pochette violette, avant d'y insérer le tas de papier à l'intérieur machinalement. Je reposai le tout sur mon bureau et tendis le bras instinctivement vers mon pot à stylo en forme de chat pour y rédiger une annotation « métier ». J'adorai classifier mes affaires, je me sentais toujours mieux une fois les choses en ordre. Seulement, ma main ne rencontra que du vide.

- Lysandre, grommelai-je furieusement entre mes dents.

C'est pas possible. Il est infernal. Sous prétexte que Monsieur les perd, il se permet de me piquer tous les miens !
Désireuse de vengeance, je me relevai et pris la direction de sa chambre. J'y entrai sans prendre la politesse de toquer. A mon grand étonnement et pour ma plus grande déception, il n'était pas présent. Adieu ma belle leçon de morale. Je devinai assez rapidement qu'il devait s'être rendu chez Amélie, sûrement pour choisir les DVDs de ce soir ou encore pour se tripoter discrètement, qu'en sais-je après tout ?
Je m'approchai donc de son bureau et me mis à chercher des yeux un stylo à bille quelconque, mais rien n'apparut dans mon champ de vision. Enervée, j'entrepris avec difficulté d'en chercher un dans ses tiroirs. Il détestait que je fouille dans ses affaires, je savais qu'il considérait cela comme une violation de son intimité et de son espace vital auquel il était tant attaché. Mais zut à la fin, il avait bien le droit de me voler mes stylos, je ne voyais pas en quoi le récupérer pourrait lui poser problème ! C'est donc en laissant ma culpabilité de côté que je m'évertuai de continuer ma fouille. Malheureusement, comme je m'y attendais, je n'y trouvai rien du tout.
Je lâchai alors un profond soupir. Je m'apprêtai à capituler et à sortir de sa chambre lorsqu'un petit détail totalement futile me revint soudainement à l'esprit : j'avais besoin d'un rasoir. J'avais usé le dernier ce matin sous la douche. Et les rasoirs, dans cette maison, étaient considérés comme le graal suprême tellement nous en usions plus que de raison. Chacun conservait son petit stock caché dans un recoin que personne n'était supposé connaître pour ne pas se les faire piquer. Il s'avérait que le mien était vide. Et je connaissais la cachette de Lysandre, qui avait hérité de la discrétion d'un hippopotame.
Quel était le dicton déjà ? Œil pour œil, dent pour dent ?
Je me dirigeai d'un pas décidé de l'autre côté de son lit, vers l'armoire où il rangeait ses vêtements.

- Mélodieeeee ! entendis-je soudainement crier de l'étage inférieur. Il y a Alexy pour toi !

Alexy ? Mais que faisait-il là ?
Je criai en réponse à mon père de le laisser rentrer sans pour autant m'arrêter dans mes recherches.
Je l'entendis monter les marches quatre par quatre. Je le hélai lorsqu'il passa devant la chambre de Lysandre pour rejoindre la mienne d'un pas bien trop enjoué pour qu'il ne prépare pas une idiotie dont il avait le secret.
Il poussa avec hésitation la porte, pas totalement persuadé d'avoir bien entendu quelqu'un l'appeler. Et il m'aperçut les deux mains dans l'armoire de Lysandre et croisa les bras contre son torse en prenant un air désapprobateur.

- Qu'est-ce que tu fais à fouiner comme ça ? me demanda-t-il.
- Je cherche un rasoir, lui appris-je en lui tirant la langue. Et toi, qu'est-ce que tu fiches ici ?
- Et depuis quand on a plus le droit de venir voir ses amis ?


Ca sentait le traquenard. Il voulait quelque chose, je le connaissais bien trop bien.

- Tu m'as vu là, tu peux repartir, raillai-je en replongeant la tête dans les vêtements.
- Rha ! C'est bon, OK OK, j'avoue, grogna-t-il en s'approchant de moi. Armin m'a viré de la maison parce qu'il a invité Véra, laisse-moi rester s'il te plaîîîîîît Lilyyyy.
- Et pourquoi tu m'en as parlé plus tôt ?
- Parce que j'hésitais encore entre toi et Iris il y a vingt minutes. Et puis je me suis dit que tu étais plus cool, allez dis ouiiiiiii.


Il s'agenouilla sur le sol et prit entre ses bras une de mes jambes tout en faisant mine de pleurnicher. Je n'en revenais pas qu'après tant d'années il n'avait toujours pas renouvelé ses techniques de persuasion. Il fallait avouer qu'elles étaient efficaces.

- C'est bon, d'accord, cédai-je en levant les yeux au ciel.
- Ca a été plus facile que prévu ! s'exclama-t-il avec soulagement en se relevant.


Il déposa un doux baiser sur mon épaule en guise de remerciement.

- Bon, maintenant rends-toi utile et attrape-moi cette boîte de rasoir là-haut !

Il tendit un bras et se saisit sans difficulté de ce que je tentai d'attraper depuis cinq bonnes minutes. Parfois, c'est vraiment agaçant d'être petit.
C'est à ce moment que j'entendis des bruits de pas dans les escaliers.

- C'est Lysandre ! paniquai-je en me rendant compte que j'avais fichu un bordel monstre dans son armoire.

J'eus une vaine tentative de tout remettre en ordre pendant quelques secondes en posant tout en boule, mais devant mon inévitable échec, je saisis la main d'Alexy et m'insérai discrètement dans l'armoire du côté où il rangeait ses manteaux. Je refermai les deux portes de l'armoire et intimai le silence à Alexy. Nous nous étions accroupis au sol pour réussir à tenir à deux dans cet espace confiné.

- Tout ça pour un rasoir ? Sérieusement ? se moqua-t-il dans un murmure tout en poussant une manche de manteau qui lui tombait sur le front.
- J'ai paniqué ! soufflai-je en secouant les mains dans tous les sens comme un enfant pris en pleine bêtise.


Malgré l'obscurité, je pus m'apercevoir qu'il levait les yeux au ciel.
Etonnement, Lysandre ne rentra pas directement dans sa chambre, j'entendis ses pas se diriger d'abord dans ma chambre. Si cet idiot va encore me voler quelque chose : il va m'entendre cette fois !
Il n'y resta cependant que très peu de temps et reprit la direction de sa propre chambre. J'entendis la porte s'ouvrir et je me recroquevillai d'avantage dans ma cachette.

- J'ai chaud, se plaignit Alexy en s'essuyant le front d'un air las. De toutes tes idées pourries, c'est sûrement la pire.
- Tais-toi ! lui ordonnai-je en posant mon index sur ma bouche pour appuyer mon propos.


Je me rendis compte au bout de quelques secondes que Lysandre n'était pas seul, les bruits de pas étaient trop nombreux.

- Imagine qu'il est avec Amélie ! s'exclama Alexy en portant sa main à sa bouche. J'ai pas envie d'écouter leurs ébats, non, non, non.

Je commençai moi aussi à paniquer à cette idée et à réfléchir sérieusement à l'idée de sortir de là. Si j'ouvrai la porte d'un coup sec en me mettant à crier qu'il avait fouillé dans mes affaires, peut-être qu'il serait tellement surpris qu'il en oublierait de me demander ce que je fichais dans sa chambre ?
Argh, Alexy avait raison : mes idées étaient réellement plus nulles les unes que les autres. Qu'est-ce qui m'avait pris de me mettre dans ce placard ?! J'avais l'air encore plus coupable !
Mais à mon grand soulagement, je reconnus très rapidement la voix de Matt malgré la mauvaise sonorisation dans l'armoire de Lysandre.

- T'as bien entendu comme moi pourtant ? lança ce dernier. Philippe a assuré que Mél était là avec Alexy, c'est bizarre.
- Ils ont dû partir faire des cochonneries dans la douche, grommela une autre voix que j'identifiais facilement comme celle de Castiel.
- Eurk ! Mais n'importe quoi ! s'insurgea Alexy en me regardant de haut en bas.
- Bah sympa ! La prochaine fois tu peux te brosser pour que je te fasse l'aumône ! me vexai-je en lui filant un coup dans le bras.


Il recula instinctivement et sa tête heurta assez brutalement le cloisonnement en bois derrière lui.

- T'as entendu ça ? s'exclama Matt que le bruit avait alerté.
- Ouais, Mélodie et Alexy sous la douche, insista Castiel qui devait sans aucun doute sourire de sa blague idiote.
- T'es vraiment con parfois, grommela Matt. Lysandre vient de m'envoyer un texto, il arrive avec Amélie.


Oh ! Je me sentis presque légèrement idiote pour le coup : Lysandre était absent. Je m'apprêtai à sortir de ma cachette, quitte à passer pour une folle face aux deux garçons, je n'avais aucune envie de rester là et continuer à les écouter sortir des blagues stupides sur Lex et moi. Cependant, ce dernier ne partageait apparemment pas mon avis puisqu'il me retint par le bras.

- Chut ! Mais qu'est-ce que tu fous ?
- Je sors !
- Mais non, hors de question ! J'ai envie d'écouter ce qu'ils vont dire ! protesta Alexy qui m'agrippait toujours le bras.
- Eh bien pas moi, répondis-je en tentant de me libérer de son emprise. Je te préviens : si tu ne me lâches pas, je hurle ! Ils vont sûrement parler de trucs cochons et je n'ai vraiment aucune envie de...


Je m'arrêtai de parler lorsque je les entendis prononcer mon prénom, ce qui eut pour effet immédiat d'accaparer mon attention.

- Cast, t'as vraiment embrassé Mél à la soirée de Rosalya ? le questionna Matt.

Oh. Mon. Dieu. Il avait fait l'idiot mais il avait tout à fait compris les propos de Lucas. J'aurais donné n'importe quoi pour voir son visage, était-il triste ? Enervé ? Déçu ?
C'était très mal de les espionner ainsi, mais la curiosité avait pris le dessus. Et de toute façon, je me sentais totalement incapable de les affronter tous les deux et en particulier alors qu'ils avaient cette discussion.

- C'est quoi cette putain d'histoire de baiser ?! me chuchota Alexy à l'oreille.

J'agitai ma main devant sa tête pour lui faire comprendre de se taire.

- J'en ai pas parlé à Mél, parce que... parce que c'est Mél, continua mon voisin qui avait toujours ce ton bien trop sérieux.

Hé ! Qu'est-ce que c'était supposé vouloir dire ça au juste ?

- Mais maintenant que j'te tiens, j'ai besoin de savoir si cette enflure a dit la vérité.

Ils échangèrent quelques paroles que je ne réussis pas à comprendre, ce qui eut le don de me mettre les nerfs en pelote. Je mourrai d'envie d'entre-ouvrir la porte pour les observer, que faisaient-ils ?

- J'étais bourré mec, c'était trop con, finis-je finalement par entendre.
- Rassure-moi, t'as pas couché avec elle ?
- Mais non putain, tu racontes vraiment n'importe quoi ! J'suis un connard mais j'aurais pas abusé d'elle alors qu'elle chialait parce que l'autre petit merd**x l'avait insulté !
- Bah c'est pourtant un peu l'impression que j'ai, répliqua sèchement Matt.
- Mec, j'sais pas quoi te dire, je l'ai regretté la seconde d'après. T'es mon pote, et c'était vraiment pourri, même venant de moi.
- Non, non, je t'en veux pas pour ça, précisa Matt. Je t'avais expliqué qu'on avait décidé d'être amis tous les deux, j'ai aucun droit de propriété sur elle ou quoi qu'ce soit. Je suis énervé parce que putain : c'est Mélodie ! C'est pas une de tes nanas que tu b**ses un soir et dont tu oublies le prénom le lendemain !
- Tu crois que je le sais pas tout ça ?! s'emporta Castiel à son tour et je pus deviner qu'il s'était levé soudainement.
- Pourquoi tu l'as embrassée alors Cast merde ?
- J'sais pas, répondit rapidement le rouquin.
- Putain mais c'est quoi cette histoire de fou ?! s'excita Alexy à côté de moi en me secouant comme un prunier alors que j'étais totalement subjuguée par leurs paroles.
- Vous vous êtes vachement rapprochés tous les deux ces derniers temps, avança Matt en baissant d'un ton sûrement pour calmer le jeu. J'avais pas réellement fait gaffe avant, mais maintenant que j'y pense, vous êtes bien plus proches. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
- Mais rien ! Arrête de me prendre la tête avec cette histoire putain ! J'te dis que j'étais bourré !
- Et en plus, ajoute ça avec cette histoire de couple avec Philippe... marmonna Matt qui me donnait l'impression de rassembler toutes les pièces d'un puzzle. Elle te plaît putain, c'est ça, avoue !
- T'es malade ?! gueula ce dernier.
- Pas du tout. T'es tellement con et buté que t'es pas foutu de l'admettre.


J'avais des horribles bouffées de chaleur, je voulais sortir de cette armoire, je voulais oublier tout ce que je venais d'entendre. Je portai mes mains à mes joues dans l'espoir de les refroidir et d'ainsi stopper les brûlures que je ressentais sur ma peau.

- Mais après tout, j'm'en fous totalement, reprit-il. T'as toujours été comme ça de toute façon, t'as toujours caché tes sentiments loin de tout. Et je pourrai justement pas t'en vouloir là-dessus. Mais j'te préviens, elle, elle est pas comme ça. Si tu la fais souffrir avec tes conneries d'insensible, si tu joues avec ses nerfs, c'est pas parce que t'es mon pote que j'irai pas te foutre sur la tronche.
- T'hallucines totalement mon pote, elle ne m'intéresse pas du tout. J'me suis déjà excusé, parce que c'était vraiment con. Mais si t'as l'intention de m'en vouloir comme à Lysandre, autant me le balancer direct.
- Pfft, tu parles, trancha Matt. Lysandre était parfaitement conscient de ses conneries, et il a laissé durer sans m'en parler alors que c'était sérieux avec ma sœur ! Bon sang... vous êtes quand même vraiment nuls comme potes.
- Pas faux, confirma Castiel avec un rire rauque. Mais j'te ferai remarquer monsieur-qui-fait-sa-victime que j'ai chopé ma dernière heure de colle à cause de toi. Et puis, le dernier qui a piqué une nana à l'autre, c'était toi. J'pense qu'on doit être quitte dans la balance de conneries.
- C'est pas de ma faute si je lui plaisais plus qu'à toi, se moqua-t-il. Si tu veux réussir à attirer des femmes, je crois que c'est pas une bonne technique de m'emmener en boîte avec toi.
- Putain, et voilà qu'il prend le melon celui-là maintenant !


Je les entendis rire, et je réussis facilement à comprendre qu'ils étaient sans aucun doute en train de se taper sur la tronche. De toute façon, depuis tous petits, ils avaient toujours réglé n'importe quoi en se bagarrant. Ca n'avait heureusement jamais dégénéré, mais je n'avais jamais réellement compris pourquoi ils utilisaient ce mode de communication. Surtout qu'ils avaient l'air de trouver ça amusant, en quoi l'était-ce au juste ? Et moi qui croyais qu'en grandissant ils se calmeraient sur ce point, je m'étais carrément trompée.
Un gros bruit se fit entendre, ils avaient fait une connerie, j'en étais sûre.

- Lysandre va nous tuer, souffla Castiel en riant. On a juste cassé sa lampe.
- Faut trouver de la colle ! déclara Matt en s'agitant. Ca doit pas être bien plus compliqué à réparer qu'un œil de dauphin en peluche.
- Te voir coudre ça a été le plus beau jour de ma vie !


Je le savais ! Je le savais que c'était eux qui avaient cassé ma peluche ! Je l'avais retrouvée il y a quelques semaines avec un œil tombant, recousu à la va-vite. J'avais interrogé Lysandre à ce sujet, mais il avait joué l'innocent. J'avais maintenant deux raisons d'en vouloir à mon demi-frère.
J'entendis des bruits de pas qui s'éloignaient. Une fois le champ libre, j'entrepris alors de sortir de l'armoire. J'étouffai dans cet espace sombre, et apparemment Alexy aussi puisque nous nous bousculâmes pour sortir le premier. Une fois à l'extérieur, mon ami me fit tout un cirque en assurant qu'il avait failli étouffer et mourir.

- Lily, la prochaine fois : on se cache sous le lit, me reprocha-t-il avec un air sombre.
- La prochaine fois ? m'exclamai-je en soufflant bruyamment.
- Bah si je suis obligé de faire ça pour apprendre des choses sur toi ! s'énerva-t-il durement.


Je m'apprêtai à lui faire mes plus plates excuses, parce qu'au fond, il avait raison. Il me racontait toujours tout, alors que j'avais gardé ça pour moi. Même si Alexy était une vraie petite commère, il savait garder les secrets de ceux qui comptaient réellement pour lui. Seulement, mon mea culpa fut interrompu par un bruit dans mon dos.
Je me retournai pour découvrir Castiel, accroupi de l'autre côté du lit double de Lysandre avec entre les mains des débris de lampe. Il avait la bouche entrouverte sous la surprise de voir deux malades sortir d'une armoire en se criant dessus.
J'eus envie de me donner une gifle. Pourquoi est-ce que nous n'avions pas vérifié qu'ils avaient tous les deux quitté la chambre au lieu de faire des conclusions hâtives ? Tout simplement parce qu'Alexy et moi formions une véritable équipe de bras cassés.

- Qu'est-ce que vous foutiez dans ce placard ? cracha-t-il une fois remis du choc.
- Des cochonneries, répondit Alexy du tac au tac.

Et Dieu créa Mélodie... entre deux pauses pipiWhere stories live. Discover now