Chapitre 32 : La vie faite de choix

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- A quoi tu joues au juste ?! me hurla Rosalya en pénétrant dans ma chambre sans même prendre le temps de frapper.

Je me mis alors à regarder autour de moi, cherchant à comprendre ce qui pouvait tant l'agacer. Je finis par comprendre que son regard était vissé sur ma tenue. Je ne pus m'empêcher de souffler bruyamment.

- Tu m'as manquée aussi Rosy, marmonnai-je en levant les yeux au ciel.
- Ah non ! Pas de levage de regard comme ça ! Tu proposes à Iris de se préparer avec toi avant la soirée de Matt mais alors moi je pue le fromage c'est ça ?
- Tu sais pertinemment pourquoi je ne t'ai pas proposé, lui répondis-je calmement en haussant les épaules.
- Parce que je suis l'unique personne de ce groupe, Alexy mis à part, qui sait comment s'habiller en société ? proposa-t-elle en croisant ses bras furieusement contre sa poitrine.
- Non, parce que malgré le fait que je sois majeure et vaccinée, tu continues de vouloir disposer d'un droit de regard sur mes tenues !
- Eh bien, vive la reconnaissance, grommela-t-elle entre ses dents. Tu comptes mettre quoi alors miss-je-sais-maintenant-m'habiller-toute-seule ?


Je fronçai les sourcils en sentant qu'elle n'allait pas apprécier la suite. Je lui montrai alors d'un coup de tête les vêtements que j'avais sur le dos : un débardeur gris en col V avec une petite veste pour éviter d'attraper froid, et un jean taille haute délavé. J'entendis un couinement horrifié de son côté de la pièce. Et voilà, le cirque qui recommençait. Et c'était devenu pire depuis qu'elle était dans son école de mode, nous étions prétexte à la création d'après elle. Elle usait de n'importe quelle excuse pour pouvoir mettre ses mains dans nos dressings, et personne ne pouvait y échapper. Violette était sans doute la pire de ses victimes, sûrement parce qu'elle était la plus innocente et conciliante.

- Non mais c'est pas possible, me gronda-t-elle, t'es habillée comme Bella dans Twilight. Alors que tu revois ton ex !
- C'est pas mon ex, répliquai-je dans un murmure.
- Peu importe, ex-futur-potentiel-ex ou appelle ça comme tu veux. Tu peux pas sortir comme ça.
- Et pourtant je vais le faire, je suis capable de gérer toute seule ce genre de situations tu sais. Grande personne qui peut prendre ses décisions toute seule et qu'il faut respecter.
- Dis-moi c'est ce qu'ils t'apprennent en cours pour que tu aies de l'autorité sur les enfants ? Parce que ça m'a pas l'air bien efficace sur moi.
- Encore heureux, tu n'es pas une enfant, lui signalai-je intelligemment.
- Ok, ok. On change pas la tenue, mais laisse-moi au moins te mettre un peu ce rouge à lèvre rouge qui te va si bien, et les petits anneaux en argent qu'on t'a achetés pour ton anniversaire ! S'te plaîîîît... gémit-elle en gigotant comme un enfant ayant besoin de se soulager.


Je n'eus pas le temps de lui offrir ma réponse qu'elle avait déjà la tête dans ma boîte à maquillage. Je me retins bien de lui dire que c'était exactement ce que je comptais mettre, si ça pouvait lui faire plaisir de croire qu'elle en était à l'initiative, je lui laissais cet honneur avec joie.

***

- Dites, sur une échelle de un à dix, la longueur de ma jupe se situe où ? nous questionna Iris en faisant un tour sur elle-même.
- Je dirais neuf sur l'échelle de ras les fesses, lui répondit Alexy en fronçant les sourcils.
- Parfait ! Comme ça si Kim se ramène avec sa nouvelle copine, elle saura que j'ai tourné la page, affirma-t-elle avec un sourire victorieux.
- En lui montrant que t'as pris du poids en t'enfilant des tartines de Nutella ? s'indigna Alexy alors que je refermais la porte d'entrée de ma maison.
- La ferme. Facile à dire venant de toi, t'es qu'un sale chanceux heureux en amour.
- Oliver vient ce soir ! chantonna-t-il pour enfoncer le clou en passant un bras autour de mon épaule.
- Mais tu sais ce qu'on dit ? ajouta Iris pendant que nous nous dirigions vers la maison de Matt en face de la mienne. Heureux en amour, malheureux au jeu !
- J'ai trouvé cinq euros par terre ce matin !
- Bon sang. Tu me fatigues, abandonna Iris.


La musique s'échappait des fenêtres ouvertes de la maison de mon voisin Matt. Les lumières étaient tamisées et il y avait l'air d'avoir un monde fou. Je n'aurais sûrement même pas à le voir. Et pourtant, j'avais cette boule de nerf en plein dans mon estomac qui me hurlait presque de faire demi-tour.
Je m'arrêtai net au milieu de la route.

- Je peux pas, grommelai-je en frottant mes mains moites l'une contre l'autre.

Rosalya, Iris et Alexy se stoppèrent à leur tour pour me faire face, en me regardant à la fois avec incompréhension mais aussi avec une certaine tristesse.

- Mél... Ne pense pas à ce que tu es en train de penser, me sermonna Iris avec un pauvre sourire.
- C'est... Je suis pas sûre d'en avoir envie et... Je suis tellement en colère, il ne m'a jamais donné de nouvelles ! avouai-je à bout de nerf. Il... Il me déteste. Et je le déteste. Matt s'en fiche que je vienne ou non : à quoi bon ?


Ils se lancèrent de nouveaux regards, comme si quelque chose m'échappait encore. Ce fut Alexy qui fit le premier pas vers moi et posa une main sur mon épaule avec un air rassurant.

- C'est juste une fête, m'assura-t-il en haussant les épaules. Juste une fête Mél. Si tu le vois, tu l'évites, c'est tout.
- Mais vous, vous allez pas l'éviter, signalai-je. Je veux pas vous empêcher de profiter de lui pendant qu'il est en France...
- Ne le fais pas ! Tu parleras avec Oliver, il t'adore, me promit Alexy alors qu'il me tirait déjà vers la maison. Fais pas ta poule mouillée.


Je hochai lentement la tête. Alexy m'embrassa la joue et Iris me prit la main. Ce n'était que Castiel. En pénétrant dans la maison, je ne pus m'empêcher de jeter un regard sur sa vieille bécane qui était garé dans l'allée des Denvers comme au bon vieux temps.

***

- Hé ! Tu veux pas te détendre cinq minutes ? me lâcha Nora. Personne l'a encore croisé, il doit être en train de fumer sa clope dans un coin à faire la star torturée. Et toi, si tu continues à presser ce gobelet tu vas te retrouver avec de la bière à un endroit où tu ne voudrais vraiment pas en avoir.
- T'as raison, désolée, grommelai-je en reposant mon verre sur une étrangère déjà pleine à craquer.


Elle me fit une grimace piteuse. Nora s'était encore embellie pendant une année, en partant du principe que cela était possible. Ses taches de rousseur s'étaient estompées avec le temps, et seules celles parfaitement placées semblaient avoir subsisté, ses beaux cheveux roux bouclés avaient encore poussé et elle affichait avec une fierté sans nom sa magnifique crinière. Je ne savais pas trop pour quelle raison obscure elle demeurait célibataire, cette fille était une vraie perle. Sûrement qu'elle n'arrivait pas à trouver un homme sérieux, pas seulement attiré par son physique.

- Allez viens, on va danser ! m'ordonna-t-elle en me tirant la main vers la piste pleine à craquer.

Je la suivais sans rechigner, il me fallait arrêter de jeter des coups d'œil dans tous les sens en espérant le voir, ou ne pas le voir justement, j'étais incapable de me décider. La chanson de Beyonce « Crazy in love » raisonna dans le salon et toutes les filles se mirent à hurler stupidement presque comme par réflexe.

- Bon sang ma Beyonce ! s'écria Nora en levant les mains vers le ciel. Je suis juste son parfait sosie, regarde-moi ce déhanché !

Elle se mit à faire le tour d'elle-même en levant un poing au rythme de la musique. Je ne pouvais pas m'empêcher de lancer mon visage en arrière pour éclater d'un rire tonitruant devant ses mouvements. Bien entendu, elle réussit totalement à me distraire de toutes mes préoccupations et je dansai avec elle comme si nous n'étions que deux, sûrement de manière totalement ridicule.
Et alors que la quatrième chanson était en train de se terminer, je murmurai à l'oreille de Nora que j'avais besoin d'un verre. Elle m'assura qu'elle saurait s'occuper pendant mon absence, un beau garçon bien baraqué la reluquait ouvertement. Je lui fis un regard désapprobateur mais elle y répondit par un mouvement de la main impétueux. Un cas irrécupérable.
Je m'apprêtai à quitter la piste de danse lorsque j'aperçus Matt debout derrière un canapé du salon. Il me regardait en souriant. Je mis un certain temps à m'apercevoir qu'il n'était pas seul.
Il n'avait plus ses cheveux rouges, toujours la même longueur qui lui allait si bien, mais ils avaient retrouvé leur couleur naturelle, un noir sombre et mystérieux. Mon cœur manqua quelques battements, parce que son regard était plongé dans le mien. Il était lui assis sur le canapé et semblait y être depuis un certain temps. Matt s'approcha de moi en sautillant entre les invités, il en salua certains mais continuait de me regarder en souriant de toutes ses dents.

- T'es venue finalement ! s'écria-t-il en me soulevant du sol.
- Ha, tu pues la transpi ! m'exclamai-je en riant face à son enthousiasme, et surtout parce qu'il me cachait du regard de celui que je souhaitais éviter.
- C'est pour rendre toutes les nanas folles avec mes phéromones de malade, ironisa-t-il en me reposant.
- Tu crois réellement que la transpiration attire les filles ?
- Tu le verras par toi-même, éluda-t-il mystérieusement. Ecoute, t'es pas obligée de lui parler, mais je pense quand même que vous devriez avoir une petite discussion.
- Tu penses toi maintenant ?
- Ouais, tout nouveau. On m'a dit qu'il fallait que je m'y mette.
- Matt... soufflai-je. C'est lui qui t'envoie ? Parce que si après un an, il est pas fichu de venir me dire tout ça en face, il peut aller se faire foutre.
- Qui peut aller se faire foutre ? entendis-je dans le dos de Matt d'une voix faussement surprise.


Castiel fit alors son apparition à la droite de mon ami. Il portait un jean troué qui lui tombait parfaitement bien avec un T-shirt sombre avec le logo des guns n roses gravé au centre. Je reconnus immédiatement ses rangers, il les avait déjà au lycée. Elles étaient dans un piteux état. Son vieux sourire en coin n'avait pas non plus changé, et il était toujours aussi sexy. Seulement, je n'en oubliais pas qu'il m'avait totalement snobé à chaque fois qu'il était revenu en France. Je ne comprenais pas pourquoi, après tout, nous avions été amis bien avant d'avoir cette étrange relation.
Je remarquai immédiatement qu'il avait de nouveaux tatouages sur les bras, mais je n'osais pas les détailler de peur de donner l'impression de le reluquer. Ceci dit, c'était exactement ce qu'il était en train de faire, il faisait lui aussi son inspection de ce qui avait changé ou non chez moi. Sûrement avait-il remarqué que mes cheveux étaient toujours d'un blond cendré, mais que mon visage s'était affiné, perdant définitivement les rondeurs de l'enfance, sans oublier que j'avais pris une taille de soutien-gorge mais aussi une taille de hanche. J'étais bien plus femme, comme si mon corps avait encore attendu un peu de temps pour finaliser le passage vers l'âge adulte. Et pendant toute cette année, le changement n'avait forcément pas été que physique, j'avais grandi, et je m'étais endurcie. Je me savais capable de gérer la situation en adulte, et non pas comme une adolescente qui se serait retrouvée incapable de dire un mot face à l'homme qui l'avait quitté.

- Bonjour Castiel, finis-je par dire froidement.

Il fronça les sourcils et son sourire s'évanouit, comme si mon ton avait pu le choquer.

- Mélodie, me salua-t-il simplement.
- Okkkkkk. Je crois que quelqu'un m'appelle ! mima Matt en levant la tête au-dessus de la foule avant de déguerpir.


Je devais penser à le remercier plus tard pour ce soutien. Avec un bonne claque.

- Bon... Du coup j'ai vu que ça se passait bien pour toi avec ton groupe. Félicitations, lui lançai-je.
- Tu vas vraiment me parler comme si j'étais ton rendez-vous professionnel ? me lâcha-t-il soudainement.
- Bah je sais pas, t'as l'impression d'être plus que ça ? répliquai-je en sentant que je commençais à m'énerver. Je te rappelle que t'avais pas l'air d'en avoir quelque chose à faire de moi cette dernière année.
- Il faut qu'on parle, grommela-t-il en se frottant les yeux de fatigue.
- Ecoute, je suis venue pour Matt, assurai-je calmement. Si tu avais voulu qu'on parle, il aurait suffi d'un coup de téléphone, d'une visite à la maison, d'un SMS. Tu débarques un an plus tard et tu t'attendais à quoi ? Que je t'obéisse gentiment alors que j'en ai pas envie. J'en ai vraiment pas envie Castiel.


Je soutins son regard avec difficulté, il était en colère. Et je l'étais aussi. J'en arrivais même à dire que je n'avais pas envie de lui parler après tout ce temps, ce qui était une grosse connerie, mais j'avais aussi en même temps tellement envie de le cogner que mes mots devenaient confus en s'échappant de mes lèvres.

- Si t'en as pas envie, c'est sûr que je peux pas te forcer, conclut-il et je vis sa mâchoire se serrer.

Il ne peut pas m'y forcer ? Non, c'est sûr qu'il ne le pouvait pas. Mais dans toute ma splendide contradiction, j'aurais peut-être apprécié qu'il le fasse. Je lui jetai alors un dernier regard dédaigneux avant de quitter la foule. Alexy tenta de me retenir en me voyant passer par l'entrée mais je me détachai avec rage. Je sortis de la maison comme une furie, je n'aurais jamais dû venir. J'allais me retrouver hantée par cette image tout le temps où il serait reparti. J'avais réussi à me défaire de lui, à reprendre une vie normale, et là il venait me replonger dans les difficultés que j'avais pu avoir les premiers mois de son départ. Je le détestais. Voilà, je le détestais. Il se fichait de tout à part de lui-même.
Je claquai la porte de ma maison et me postai dans le canapé. Je me servis de l'eau de la carafe que j'avais laissé traîner dans le salon dans un des verres. En tentant de me calmer, je jetai un regard distrait sur les clichés qui avaient été disposé sur la cheminée par mon père. En effet, papa avait soudainement ressenti après mon départ du lycée une sorte de mélancolie, il me regardait comme si quelque chose avait changé. Un samedi, je m'étais levée et j'étais descendue dans le salon où je l'avais retrouvé assis au sol avec Miranda, des dizaines de photos l'entourant.
Je posai mon regard sur l'une d'elles, j'étais petite, avec une ou deux dents de devant tombées, à jouer sur la pelouse avec un sourire lumineux. Une autre où j'étais assise sur le canapé dans une position retenue, vers mes quatorze ans, à lire un livre que mon père m'avait conseillé et que je n'avais pas compris. C'est bizarre quand on y pense, cette volonté qui a pu se manifester soudainement chez mon père de vouloir retrouver chaque jour ces moments du passé.
J'avais participé moi-même à cette entreprise en y ajoutant quelques clichés plus récents, avec toute la famille Denvers, ou encore une prise lorsque Lysandre et moi nous étions endormis sur le canapé devant The Voice. Et, enfin, ma préférée, celle où je tenais mon petit Timéo âgé maintenant d'un an dans mes bras.
Ma mère était restée en France plus longtemps que prévu à cause de mon accident, elle avait revu d'anciens contacts, de vieilles relations et s'était vue proposer un travail très intéressant, contre toute attente. Peter avait émis quelques objections, mais face à la détermination de ma mère, il avait fini par quitter définitivement l'Inde. Elle n'était pas pardonnée, elle n'était pas non plus « ma mère » dans le sens sentimental du terme, mais elle avait sa place dans ma vie. Surtout que je venais assez régulièrement chez elle pour rendre visite à mon demi-frère, qui grandissait à vue d'œil.
J'entendis soudainement un bruit de clé dans la serrure de la porte me tirer de ma rêverie. Je devinai assez aisément qu'il s'agissait de Lysandre qui avait dû apprendre par je ne sais quel stratagème ma brouille avec Castiel et devait vouloir me consoler. Je me relevai pour l'accueillir, toujours mon verre à la main, prête à lui servir le discours du « je vais bien je t'assure, retourne t'amuser ». Mais ce fut Castiel qui fit son entrée. Je ne sais alors pas trop quel réflexe me prit, mais je poussai un léger hurlement et lui balançai le contenu de mon verre à la tronche.

- T'es malade ?! s'exclama-t-il en penchant son visage en avant pour ne pas mouiller son t-shirt.
- Mince ! Je suis vraiment désolée, je sais pas ce qui m'a pris, je... Je m'attendais pas à te voir rentrer ! Attends, qu'est-ce que tu fais avec les clés de chez moi ?
- Rassure-toi, j'ai rien volé, grommela-t-il en se séchant les joues de ses mains et en reportant ses cheveux en arrière. Lysandre me les a filé.
- Pourquoi il ferait quelque chose d'aussi stupide ?
- Parce que j'essaye juste de te parler là ! Tu veux pas essayer de m'écouter cinq minutes ? T'en as encore quelque chose à foutre de moi ? Parce que ça m'a donné envie de tout casser là-bas que tu m'as parlé comme si j'étais le bon vieux pote du lycée qui revient, et dont t'en as en réalité plus rien à faire.
- N'échange pas les rôles, c'est toi qui m'a totalement écarté.
- Mais putain de merde Mél, d'après Matt t'étais en couple ! Tu voulais que je fasse quoi ? T'étais heureuse, ce type faisait l'unanimité pour tout le monde ! Mets-toi à ma place deux secondes merde, j'allais pas redébarquer dans ta vie avec une putain d'envie de tout envoyer bouler !


J'en restai abasourdie. Il était vrai que Gaspard et moi avions eu une histoire, qui n'avait duré que trois mois et à laquelle nous avions mis fin après une lourde dispute. Seulement, je me rappelais très bien l'avoir vu avec de nouvelles filles à son bras bien avant que je ne me mette en couple !

- Toi tu t'es pas gêné avec tes groupies, rétorquai-je en campant sur mes positions.
- Franchement, je te croyais plus intelligente que ça, tu sais bien qu'il raconte que de la merde dans ce genre de presse, me répondit-il.
- Ok, ok Castiel, admettons que ça doit vrai. Quel est l'intérêt de venir me parler maintenant dans ce cas ? Explique-moi. Tu retournes aux Etats-Unis la semaine prochaine ! Le problème n'est pas Gaspard, et tu le sais.
- Il s'appelle Gaspard hein ? Il était blond, je pourrais parier ma guitare fétiche qu'il était blond ! s'exclama-t-il en se rapprochant. Tu craques toujours pour les blonds.
- Raté, il était brun. Quel dommage, une carrière si prometteuse, lui lançai-je en rentrant bien malgré moi dans son jeu.
- Tu mens toujours aussi mal sérieux. C'était un beau blond avec des yeux bleus.


Il était maintenant très proche, ça me faisait bizarre de sentir à nouveau sa proximité. Je m'étais persuadée que cela n'arriverait plus, et je devais avouer qu'il m'avait sincèrement manqué. Bien trop manqué. Il avait été un élément central de ma vie pendant une courte période, mais la période de loin la plus intense. En repensant ainsi au passé, j'en oubliais presque le présent, je ne pus m'empêcher de venir cadrer son visage de mes mains, caressant doucement ses contours pour me rappeler de la forme, de la dureté de ses traits, de sa barbe naissante. Castiel ferma imperceptiblement les yeux, m'avouant ainsi sans doute à sa façon que cela lui avait manqué aussi. C'était sûrement une erreur d'agir ainsi, mais j'en avais tout simplement envie et j'avais passé l'âge de me priver par peur.

- J'ai pas laissé une seule nana me toucher comme ça, m'avoua-t-il toujours les yeux fermés.

Cet aveu me retourna l'estomac. Personne ne m'avait non plus fait ressentir tant de choses dans mon bas ventre depuis qu'il était parti. Avec Gaspard, tout avait été simple, doux, il me faisait rire, et je m'en serais sûrement contentée si je n'avais pas Castiel en comparaison dans un coin de mon esprit. Je ne regrettais en aucun cas de lui avoir offert ma virginité, il s'était montré attentionné, respectueux, et c'était ce dont j'avais besoin. Je l'avais aimé, mais pas d'un amour qui suffisait. Les sentiments rendent parfois tout si compliqué, n'étais-je pas en train de me faire souffrir en menant ce jeu avec Castiel ?
Honnêtement, en découvrant son visage si apaisé, s'adoucissant sous mes caresses, je sus presque instantanément ce qui allait se passer, et que je me fichais royalement de répondre à cette question. Je déposai mes lèvres sur les siennes délicatement, légèrement effrayée par l'idée qu'il ne me repousse. Il poussa un grognement dans le fond de sa gorge et ses mains serrèrent ma taille pour me rapprocher de lui. Il me souleva contre lui et j'enroulai mes jambes contre ses hanches avidement.
Il me porta dans les escaliers, dans le couloir, jusqu'à ma chambre sans arrêter ce baiser totalement désespéré, et nous déposa sur le lit. Ses lèvres quittèrent finalement ma bouche pour descendre le long de ma gorge jusque sur mon décolleté. J'avais l'impression que chacun de ses mouvements envoyaient des décharges électriques dans tout mon corps, je frémissais de désir.
J'entrepris alors de lui retirer son t-shirt, il s'écarta légèrement de moi pour le passer par la tête. Une fois torse nu, il se stoppa un instant et me contempla. Je plongeai mon regard dans le sien tandis que mes mains redécouvraient la musculature de son torse.

- Tu es sûre ? me souffla-t-il dans un murmure.

Je levai les yeux au ciel et lui agrippai le visage pour le forcer à m'embrasser de nouveau. Il ne prononça plus un seul mot, se contentant d'écouter mes propres gémissements, totalement impuissante face au désir qu'il réussissait à provoquer en moi. Je le laissai me retirer mon débardeur sèchement, sa tête descendant contre mon ventre pour y déposer ses lèvres un peu partout. Il releva ensuite à nouveau son visage vers moi pour me retirer mon soutien-gorge, sans jamais me lâcher des yeux dans une tension à la fois joueuse et pleine de fougue. Ma poitrine se soulevait de plus en plus frénétiquement, ses mains contre mes hanches commençaient à me rendre folle. Je le basculai alors pour me positionner au-dessus de lui et me pressai avec désir contre lui. Il m'observa avec étonnement puis passa ses deux mains dans mes cheveux, dont il réunit les mèches entre ses doigts pour me tirer le visage contre ses lèvres, qu'il mordit sûrement pour m'énerver.
Il me fit l'amour passionnément, et j'avais presque honte d'admettre que jamais je n'avais ressenti pareille réaction à l'intérieur de mon propre corps.
Il se laissa retomber contre le lit, transpirant. Quant à moi, je remontai le drap contre mon corps, me sentant soudainement intimidée. Il me contempla en haussant un sourcil d'amusement.
J'entrepris alors de me glisser vers lui dans le lit, positionnant ma tête délicatement contre son épaule. J'avais besoin de le sentir contre moi, de m'assurer qu'il était prêt à m'offrir maintenant la tendresse dont j'avais besoin. Je m'aperçus alors que ses mains tremblaient, et qu'il n'avait donc pas tant changé que ça. Il restait ce Castiel détruit par son enfance dépourvue de joie, d'amour, de douceur. Je passai une main sur son torse délicatement, traçant le contour du seul tatouage que je connaissais en bas de son ventre. Je remontai mon index jusqu'à son épaule, découvrant les nouveaux tracés.

- « Chez ces gens-là, on ne vit pas » ? devinai-je sur son avant-bras gauche entre plusieurs motifs géométriques et une tête de mort mexicaine.
- Ouais, confirma-t-il d'une voix lointaine. Ma mère aimait écouter du Brel quand elle était bourrée, et j'sais pas, j'étais tout gamin et ces paroles-là en particulier me sont restées en tête.


J'opinai, continuant de suivre son tatouage qui descendait jusqu'au bout ses doigts. Il y en avait tellement, tellement de petits détails, de second sens, de lecture. Je contemplais sans un mot cet art auquel j'essayais de donner un sens.

- J'ai un concert à Los Angeles le week-end prochain, m'annonça-t-il subitement avec un ton froid.

Je savais ce qu'il essayait de faire. Il tentait de me prévenir qu'il n'avait rien à m'offrir. J'avais réussi à oublier que je lui en voulais, et je m'en fichais pour être honnête, je refusais qu'il ne vienne me gâcher ce moment où nous nous étions retrouvés. Ce n'était sûrement pas pour longtemps, mais j'étais une adulte, j'étais capable de savoir ce que j'avais envie, et de me protéger de ce qui risquait de me faire trop souffrir.

- Tais-toi, soufflai-je.

Est-ce que l'on ne pouvait pas tout simplement profiter l'un l'autre pour une fois ? Les situations s'étaient inversées, j'étais maintenant celle qui lui demandait de ne pas parler d'engagements, de nos situations compliquées. Est-ce que j'étais condamnée à le regarder quitter et revenir dans ma vie ?

- J'ai commencé des cours de guitare, lançai-je soudainement pour détourner la conversation vers un thème plus léger. Je suis nulle. Mon prof désespère.
- Ah ouais ? Eh bah vas-y, le professionnel va te dire si t'as un futur dans la musique qui t'attends, se moqua-t-il.


Je récupérai son t-shirt dans un coin du lit et l'enfilai rapidement. Il me cachait tout juste les fesses, mais j'aurais été incapable de me balader nue devant lui. Il ne fit aucune remarque à ce sujet mais m'observa aller récupérer la guitare que Lysandre m'avait prêtée avec son sourire de con. Je m'installai sur les genoux devant lui, prenant mon temps pour placer mes doigts sur les cordes, et lui exécutai un « Come as you are » de Nirvana tellement catastrophique qu'il partit dans un long éclat de rire au bout de la cinquième note.

- Kurt Cobain doit se retourner dans sa tombe comme jamais ! réussit-il à dire entre deux rires.
- Je t'avais dit que j'étais nulle merde ! me vexai-je en lui filant un coup de pied dans la cuisse.
- On peut pas être bonne partout, même toi Miss-Parfaite. Laisse la musique au professionnel que je suis, et si t'es sage, je t'apprendrai peut-être comment ne pas donner envie à tout le monde de se plonger la tête dans de l'acide.
- Bah vas-y, impressionne-moi, le défiai-je en lui tendant la guitare.
- T'es toujours aussi insupportable, grommela-t-il en récupérant l'instrument avec un agacement feint.


Je le contemplai accorder sa guitare en fronçant les sourcils de concentration. Il fit glisser ses doigts une première fois sur les cordes, et me lança un regard soudainement bien trop sérieux. Il débuta une chanson que je mis un certain temps à reconnaître, tellement elle ne correspondait pas au style qu'il avait l'habitude de jouer. Et quand il se mit à chanter de sa voix grave et rauque, je retins mon souffle. de Ron Pope, une des musiques de ma playlist sûrement la plus écoutée, il avait dû la découvrir dedans. Il entama les premières paroles avec un sourire aux lèvres, comme s'il s'amusait de ces phrases qui nous caractérisaient plutôt bien « J'espérais que nous finirions ensemble, c'est comme désirer la pluie dans le désert ». Il prit un ton bien plus sérieux sur la suite de la mélodie « je ne veux pas gâcher le week-end, si tu ne m'aimes pas, fais encore semblant, quelques heures de plus, et viendra l'heure de partir ». Je l'écoutais sans réussir à le regarder, je savais qu'il n'apprécierait pas. Il me disait enfin les choses, à sa manière. Il avait mis deux années entières. J'étais incapable de bouger de peur de briser cet instant hors du temps. « Une confiance égarée et de vieux amis, ne jamais éprouver de regrets. Par la Grâce de Dieu, je ne peux pas m'arrêter ».
Quand il glissa ses doigts sur les cordes une dernière fois, je savais qu'il avait relevé son regard sur moi pour observer ma réaction, il ne devait pas être déçu. J'étais totalement bouleversée.

- Je sais que c'est con, je sais que c'est fou, mais Mél, merde, j'ai largement de quoi vivre, tu pourrais prendre une année sabbatique comme Véra et Armin, et...
- Attends, attends, le coupai-je en osant finalement rencontrer ses yeux gris. De quoi tu me parles là ?
- Je te parle de partir sur la route avec le groupe. Une année, une putain d'année de malade. Je sais, c'est complètement con mais bordel, je sais ce que je veux. Je suis plus un connard flippé, c'est pas génétique cette connerie. Je peux pas te promettre d'être le type parfait, qui fais jamais de crise ou qui te fais pas péter les plombs, tu me connais. J'te promets simplement de la folie, une année à prendre ton pied avec moi. T'en dis quoi ?

Et Dieu créa Mélodie... entre deux pauses pipiWhere stories live. Discover now