Chapitre 13 : Une main de fer

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- Matt... Je... commença Lysandre en passant une main dans sa chevelure blanche. On voulait vraiment t'en parler... C'est juste qu'Amélie...
- Mec, tu déconnes là ? C'est une caméra cachée, c'est ça ? reprit Matt. Ne me dis pas que tu te tapes sérieusement ma sœur !


J'étais sous le choc. Je n'aurais pas pu croire une seule seconde que Lysandre et Amélie pouvaient entretenir une quelconque relation. C'était surréaliste.
Amélie était âgée d'un an de plus que nous, elle était rentrée à la faculté de la ville pour poursuivre des études en philosophie. Je la connaissais elle aussi depuis toujours, et même si nous n'avions jamais été vraiment proches comme je l'étais de Matt, je l'appréciais beaucoup. Et je savais une chose de la relation entre les deux frangins : Matt pouvait se montrer très protecteur avec elle. Même s'il avait le rôle du benjamin, il avait toujours agi comme s'il était plus âgé. S'en était parfois troublant. Mais Matt était comme ça, c'était sa manière d'aimer les gens.

- Depuis combien de temps tu fais des cachotteries avec ma sœur derrière mon dos ? s'exclama Matt en haussant le ton.
- Je suis désolé Matt, Amélie avait peur de t'en parler, et moi je n'osais pas, je pensais que tu...
- Combien de temps ?! gronda Matt.


Tout le corps de Matt était en tension. Ses épaules étaient crispées, sa mâchoire serrée comme jamais et ses poings refermés. Sa respiration était bruyante, je l'entendais fulminer. J'étais mortifiée, Matt ne s'énervait que très rarement, mais ses colères étaient toujours très impressionnantes et impétueuses.

- Trois mois, finit par avouer Lysandre d'un ton suppliant. Je suis tellement désolé... On comptait t'en parler mais on avait tous les deux peur de ta réaction...
- C'est ton excuse ça ? T'as eu peur ? cracha Matt en s'approchant de son ami dangereusement.


Je sentis qu'il allait craquer. Ils allaient se battre. C'était inévitable. Et Lysandre allait se faire démolir, il refuserait de lever la main sur son ami, surtout que je lisais dans ses yeux toute la culpabilité qu'il pouvait ressentir.
Je fis alors la seule chose sensée : je me plaçais devant Matt et poser calmement mes mains sur son torse dans une vaine tentative de l'apaiser, de faire passer sa colère pour le ramener à la raison.
Sa poitrine se soulevait à un rythme effréné, il ne parvenait pas à dominer sa rage, mais mon contact suffit au moins à le stopper.

- Calme-toi Matt, calme-toi, soufflai-je doucement. S'il te plaît...

Matt ne quittait pas Lysandre des yeux. Personne n'osait bouger ou prendre la parole, attendant une réaction des uns et des autres. J'approchai doucement mon visage de Matt, pour tenter de capter son attention. Nous nous trouvions à seulement quelques centimètres l'un de l'autre, mais il gardait la tête droite et le regard rivé sur mon demi-frère. Je continuai de l'observer calmement, en espérant qu'il finisse par me regarder.

- Putain, putain, répéta soudainement Matt en fermant douloureusement ses yeux pour ne pas avoir à sentir les miens. Comment t'as pu me faire ça bordel ?!
- Je suis désolé Matt... Je voulais pas... Je l'aime vraiment tu sais...
- C'est ma sœur Lysandre ! Ma sœur !
- Matt, c'est pas si grave que ça... tentai-je de minimiser la situation. Amélie est grande, et Lysandre raisonnable, je...
- Mélodie, ne te mêle pas de ça ! s'emporta Matt en retirant mes mains de sa poitrine.


Sa réplique me fit l'effet d'une gifle. Il ne m'avait encore jamais repoussé de la sorte. Jamais. Je savais pourtant que je n'aurais pas dû intervenir, que je n'aurais pas dû prendre parti. Je n'avais cependant pas pu m'empêcher de prendre la défense de mon demi-frère. Surtout que je connaissais Matt, il regretterait une fois calmé tout ce qu'il avait pu sortir sous l'effet de la colère. Matt n'avait pas les idées claires dans ces cas-là, il se laissait submerger par ses émotions. Cela en faisait quelqu'un d'humain, d'encore plus attachant selon moi, mais cela impliquait aussi qu'il pouvait se montrer plus qu'injuste et irréfléchi.
Je pris mon téléphone, sentant que je perdais le contrôle de la situation, et composai le numéro d'Amélie qui décrocha après seulement la seconde sonnerie. Sans même prendre le temps de la saluer, je collai le portable à l'oreille de Matt. Il parut comprendre et se saisit de l'appareil avec empressement, comme un enfant qui avait besoin de réconfort, de paroles rassurantes. J'avais deviné qu'il aurait besoin d'explications de la part de sa sœur.

- Amélie, dis-moi que c'est faux ces conneries, grommela-t-il. T'es pas vraiment avec lui. Amélie, tu déconnes sérieux, un de mes meilleurs potes à quoi tu pensais au juste ?! ... Comment ça je dramatise ?! Tu te fous de moi ou quoi ? Tu sors dans mon dos avec lui ! Mais je m'en fous que ce soit ta vie, t'avais pas le droit de... Oui. Oui. Bien entendu que je t'en veux !

Il détacha le téléphone de son oreille et dirigea un index rageur vers Lysandre.

- Je croyais que je pouvais te faire confiance putain, ragea-t-il apparemment pas calmé du tout. Et monsieur est parti se taper ma sœur, gentiment. Tu crois que tu t'es comporté en pote là ?
- Matt, ne mélange pas tout, tu peux me faire confiance, je t'assure... Je...
- Hé ! Qu'est-ce qui se passe ici encore ? intervint Castiel qui tenait une bouteille dans sa main droite.


J'aurais pu l'embrasser, sérieux ! Même un Castiel bourré était capable de les rabibocher. Il contempla la scène sans vraiment comprendre, avant de baisser son regard plein d'incompréhension vers moi. J'échangeai un regard suppliant avec lui, pour qu'il intervienne. Il fronça les sourcils, et s'approcha de Matt.

- Mec, détends-toi, t'as toutes les meufs du bahut ici t'es en train de te griller, lui chuchota-t-il en passant un bras sur son épaule. C'est quoi le problème ? T'es plus rouge que le jour où t'as accidentellement tripoté le cul de la prof d'espagnol.
- Lysandre se tape ma sœur, voilà le problème, asséna difficilement Matt.


Castiel fit de gros yeux ronds en contemplant mon demi-frère de haut en bas. Il articula un « putain » silencieux.

- Bon, OK, c'est pas super cool, résuma-t-il avec un sourire qui présumait une remarque à la Castiel. Et en même temps, désolé mon pote mais ta sœur elle est belle, et tu remarques que je n'ai pas dit bonne par respect. Autant que ce soit quelqu'un comme Lysandre qui profite de ses charmes. C'est un putain de romantique qui veut envoyer des fleurs partout dans le monde et qui écrit des poèmes à l'eau de rose sur l'amour éternel et blablabla, s'il y en a qui va souffrir dans l'histoire, c'est pas Amélie je peux te le dire !

Matt se passa une main dans les cheveux, mais je pus distinguer un léger sourire sur son visage qu'il tentait de dissimuler. Je fus immédiatement soulagée, la crise semblait au moins passée.

- Allez, pète un coup putain vous êtes en train de gâcher la soirée avec vos histoires toutes pourries pour une histoire de meuf...
- C'est pas une « meuf », c'est ma sœur ! le reprit Matt en lui filant un coup de coude dans les côtes.


Castiel y répondit immédiatement en prenant la tête de Matt sous son bras avant de lui frictionner la tête de son poing. S'en suivit un échange de coups amicaux et virils qui permirent à Matt de se défouler. Je soufflai bruyamment.

- C'est fini vos conneries ? Allez, va lui rouler une bonne pelle et on retourne faire la fête comme les sauvages que nous sommes, lui balança Castiel.
- J'en ai pas trop envie pour le moment, avoua Matt en détournant le regard.
- Matt, je te jure que rien de tout ça n'était prévu, intervint Lysandre. Tu sais bien que je respecte ta sœur, je ne compte lui faire aucun mal.
- Et elle est grande quand même, elle fait ce qu'elle veut de son cul, ajouta un Castiel toujours aussi délicat.
- Je vais rentrer, j'ai besoin de temps pour... réfléchir, marmonna Matt en s'éloignant déjà. Il faut que je parle à Amélie.
- Tu veux que je te raccompagne jusqu'à chez toi ? proposai-je à son dos.
- Non Mél, je t'ai dit de ne pas te mêler de ça, répliqua-t-il sèchement en s'éloignant.


Je me mordis la lèvre. Pourquoi ne me laissait-il pas être là pour lui ? J'aurais aimé pouvoir le soutenir comme il l'avait toujours fait avec moi. J'aurais voulu lui faire comprendre à quel point cette histoire était futile, que s'ils étaient heureux comme ça, il lui fallait l'accepter. Mais je supposais qu'il lui faudrait le comprendre lui-même.

***

- Allez Mél, viens danser un peu, insista Alexy en me tirant par le bras.

Je lui fis une petite moue triste, je n'étais réellement pas d'humeur et je préférais largement enfourner des chips dans ma bouche sur la banquette du salon.

- Nom de Dieu Mélodie, il n'y a pas mort d'homme ! Matt était juste énervé, ça va passer. Ca fait une demi-heure que tu boudes dans ton coin ! Il va se calmer, et il va revenir pour t'emmerder et ça malheureusement sûrement jusqu'à la fin de ta vie. Bouge tes fesses maintenant ou je te jure que je te mords la tronche !
- Tellement de violence dans une seule personne... rouspétai-je en me laissant tirer du canapé.
- Et bah voilà quand tu veux ! s'enthousiasma-t-il en me tirant par la main vers les autres adolescents au milieu du salon.


Une fois sur la piste de danse, je me mis d'abord à danser sans réelle conviction. Et pourtant, sans trop savoir pourquoi ou comment, la musique me fit peu à peu évacuer ma morosité et je recouvrai partiellement ma bonne humeur, comme l'avait sûrement pressenti Alexy. Je fermai les yeux et écoutai doucement la musique en secouant la tête. Je me vidais peu à peu l'esprit de mes pensées ternes et taciturnes, encore un coup de la magie des notes s'échappant des enceintes.
Quand j'ouvris à nouveau les yeux, mes amis étaient tous regroupés et dansaient comme des fous. Armin et Véra ne s'étaient toujours pas lâchés et Kentin avait remplacé Castiel dans le rôle de l'emmerdeur se payant leur tête. Ce qui était d'ailleurs plutôt comique, Véra lui donnait des petits coups qu'elle imaginait discret pour le chasser. Alexy était lancé dans une danse avec Nora qui ne ressemblait absolument à rien, ce qui nous poussa Iris et moi à rire dans les bras l'une de l'autre. Lysandre était un peu éméché, sûrement une conséquence de ce qui s'était passé plus tôt, mais souriait stupidement, délivré de son fardeau. Même Violette, notre belle timide, secouait ses hanches dans un rythme effréné. Seul Castiel manquait à l'appel, il avait sûrement dû partir chercher une autre bouteille, ou qu'en sais-je.
Bon Dieu que c'était cliché mais ma première pensée fut de me dire, en contemplant tous ces jeunes profitant du moment présent sans se soucier de rien d'autre : que personne ne vienne nous dire que nous ne savions pas faire la fête au XXIème siècle. L'avenir, la joie de vivre, l'espoir, et surtout la liberté. Et les répercussions, on s'en fout, on verra ça demain. Si j'avais appris quelque chose ces derniers temps, dans mon travail personnel sur moi-même, c'était qu'il y avait un temps pour être raisonnable, c'était nécessaire et vital bien entendu, mais un autre pour envoyer bouler toutes nos résolutions pour vibrer, faire couler dans nos veines ce sentiment incroyable d'enivrement, d'excitation, de jouissance qui nous poussaient à nous rassembler de la sorte. Il y a deux mois, j'aurais été incapable de me sentir aussi vivante. Ma tête était trop encombrée de contraintes, de désirs inassouvis, de peurs inavouables. Tout était toujours là, mais j'apprenais simplement à les évacuer, à évoluer, à avancer, à accepter une défaite et à rebondir.
J'aimais ma vie, elle était compliquée, semée d'embûches, mais tellement pleine d'amour. Pourquoi ne m'en étais-je pas rendu compte avant ? Etais-ce le verre de vin que j'avais ingurgité qui me faisait philosopher ainsi ? Peu importe, j'en vins à la conclusion plutôt simple que j'avais envie de m'amuser, et que Matt finirait par retrouver son amitié avec Lysandre, même s'il fallait que j'intervienne et lui botte les fesses pour ça.

- Il y a le mec de tout à l'heure qui te mate, tu veux que j'aille lui remettre ses parties en place ? me chuchota Nora à l'oreille.

Je relevai brièvement la tête et en effet, Lucas m'observait avec un sourire aux lèvres depuis le canapé où il était installé. Je ne savais pas trop comment interpréter son geste, était-ce de la moquerie ou de la pure sympathie ? Rho, et puis zut, je m'en fiche. J'eus pourtant soudainement très chaud.

- Non, pas de soucis, assurai-je.

Elle haussa les épaules avant de retourner à sa danse sensuelle et ridicule avec Alexy. Je continuai d'observer les mouvements de Lucas discrètement car il ne me quittait pas des yeux. Il finit par porter son verre à sa bouche avant de le vider d'une seule traite. Il le reposa sur la table basse avant de se relever et de venir dans ma direction. Lucas dût pousser quelques adolescents pour parvenir jusqu'à moi dans cette foule de bras, de jambes s'épanouissant, ivres d'insouciance, dans la foule.

- Le gars de tout à l'heure, c'était pas vraiment ton mec pas vrai ? me questionna-t-il à l'oreille une fois à ma portée.
- Non, mais ça ne te concerne pas vraiment, assurai-je en tentant de conserver de la douceur dans la voix pour ne pas le vexer.
- Tu sais, j'avais entendu parler de toi, continua-t-il. La petite déléguée du lycée. Ce qui est étrange c'est que jusqu'ici, tu avais plutôt une réputation de « petite Sainte-Nitouche », « fille à papa »,... J'ai été intrigué ces derniers temps car j'ai entendu d'autres rumeurs te concernant. Des trucs pas joli-joli. Tu embrasses le copain des autres, tu couches avec ton demi-frère, et tu brises le cœur de pauvres garçons... Ca m'a pas mal intéressé toute cette histoire te concernant. J'aime beaucoup les filles qui ont du caractère habituellement.


J'avais arrêté de respirer, c'était comme s'il venait de me donner un coup de poing dans le ventre. Je n'avais jamais fait l'objet de rumeurs aussi horribles, aussi dégradantes. Etait-ce le revers de la médaille ? Je m'étais doutée qu'en laissant mon rôle de fille parfaite et coincée, il me faudrait subir le regard des autres, les qu'en dira-t-on ? Mais je ne m'étais pas pour autant préparée à les recevoir de plein fouet. Pas comme ça.

- Et qu'est-ce que je découvre ? ajouta-t-il assez doucement pour que je sois la seule à l'entendre. Tu es en réalité une petite opportuniste. Ca t'excites de chauffer les mecs comme ça, avoue ? Tu caches bien ton jeu en tout cas, bravo. Trois mecs dans une même soirée, c'est du propre. Sûrement d'abord ce mec aux cheveux rouges qui m'observaient avec un regard d'assassin, ensuite moi, et tu termines en beauté avec ton pote aux yeux bleus. Tu es une vraie salope enfaite, non ?

Personne de toute ma vie ne m'avait jamais insulté de la sorte. Et comme c'était apparemment la soirée des premières fois, je lui administrai une gifle monumentale qui fit vriller sa tête sur la gauche. La violence du choc me picotait encore dans la main, que j'observais avec effroi. Je n'avais jamais levé la main sur quiconque, jamais. Lucas frotta sa joue rougie et endolorie en grimaçant.
Même si j'avais dû mal à regretter mon geste vis-à-vis d'un connard pareil, je ne pus m'empêcher de sentir des larmes me monter aux yeux face à l'excès de violence que je venais d'avoir à l'égard d'un type qui n'en valait clairement pas la peine. J'eus envie de vomir, d'évacuer toutes les émotions qui me traversaient. Pourquoi accordais-je tant d'importance à ce qu'il pouvait me dire ?
Je m'éloignai de la foule le plus rapidement en ignorant les regards alarmés, inquiets de mes amis pour m'extirper à l'extérieur de la maison. Il me fallait prendre l'air.
Une fois dans le jardin, je me calai contre le mur, comme je l'avais fait chez Matt quelques temps auparavant. Je pris une longue respiration en me remémorant les paroles blessantes et affreuses de ce sale type. Etait-ce réellement l'image que les gens avaient de moi ? Une petite hypocrite qui avait fait semblant de conserver le masque de la fille coincée alors qu'elle n'était en réalité qu'une garce ? Il avait dit que j'avais embrassé le petit ami d'une autre fille, d'où sortait-il une chose pareille ? Et je repensai à son accusation à propos de Lysandre, j'eus un haut-le-cœur terrible.
Je me laissai tomber le long du mur en frissonnant, ne pouvant retenir d'avantage les larmes qui se mirent à couler lentement sur mes joues. Je me sentais salie, jamais je n'avais ressenti pareil dégoût.
Malheureusement, il me fallut quelques instants avant de comprendre que je n'étais pas seule, j'entendis des paroles et du bruit sur ma droite. Je tournai la tête et découvris Castiel en pleine discussion avec une belle brune toute en longueur. Elle avait les mains posées un peu partout sur lui et chuchotait à son oreille alors qu'il prenait appui sur l'un des poteaux de la véranda. Je plissai les yeux et je me rendis compte qu'il me regardait avec un air surpris. Honteuse d'être perçue aussi vulnérable alors que lui était en plein plan drague, je me relevai et m'apprêtai à prendre la poudre d'escampette.

- Mélodie, attends ! me héla-t-il.

Je me retournai pour l'apercevoir se détacher de sa brune et me rejoindre en quelques grandes enjambées. Il se plaça face à moi en croisant les bras sur sa poitrine.

- Ne me dis pas que tu chiales pour cette histoire avec Matt, il va se calmer tu le sais bien, s'exaspéra-t-il en fronçant les sourcils.

Je me contentai de secouer la tête pour lui faire comprendre que ce n'était pas le problème.

- Quoi ? Tu t'es frappé le front contre un arbre ? Avec toi plus rien ne m'étonne, t'es tellement gourde !

Je ne pris même pas la peine de relever sa remarque, j'avais d'autres choses en tête.

- Non... C'est Lucas... marmonnai-je difficilement en reniflant sans aucune grâce.
- C'est qui Lucas ?
- Je sais même pas ! pleurnichai-je en plaçant les mains sur mon visage. Le gars de tout à l'heure, un grand brun, mystérieux,...
- Castiel ? Il y a un problème ? l'interpella son amie à la robe moulante. Tu viens ?
- Attends, tu veux dire le connard qui t'as maté le cul toute la soirée ? m'interrogea Castiel en répondant à sa copine d'un simple geste de la main.
- Il ne m'a pas du tout regardé les fesses, me défendis-je en rougissant.
- Bah ouais, bien sûr, et moi j'suis la Sainte Vierge, ironisa-t-il avec un sourire sarcastique.
- Castiel ?! s'énerva l'autre fille. Tu viens oui ou merde ?
- Putain ! Lâche-moi deux secondes, tu m'as collé aux basques toute la soirée j'peux être pénard là tout de suite ? Va te repoudrer le nez ou j'sais pas quoi !
- Pauvre con, cracha-t-elle en sifflant d'un air mauvais. Tu tiens vraiment pas l'alcool, je peux te le dire. Et la prochaine fois que t'as envie de tirer un coup, tu peux aller voir ailleurs tiens !


Elle nous jeta un regard de dédain profond avant de retourner à l'intérieur. Castiel souffla bruyamment avant de faire claquer sa langue contre son palais de mécontentement.

- Je viens de perdre un super plan cul. T'as intérêt à accoucher avec ton Lucas là ! reprit-il avec agacement en se frottant les yeux.
- Il m'a dit que j'étais une salope, lui appris-je en baissant la tête. Je me sens trop mal, personne de toute ma vie ne m'avait jamais insulté comme ça...


Il me sonda quelques instants, sans réellement comprendre, et puis il partit d'un grand et long éclat de rire tonitruant. Il ne m'en fallut pas plus pour voir rouge.

- Tu trouves ça drôle ? Et bien moi pas du tout ! Je me sens humiliée et... sale. Il m'a accusé des pires trucs... Et toi tu te payes ma tête. T'es incapable de te montrer un tant soit peu sérieux et compréhensif. Et je m'en contrefous que tu sois bourré, j'ai été là pour toi de mon côté ! Mais de toute façon, je ne sais même pas pourquoi je te dis tout ça à toi... J'aurais dû me confier à Lysandre ou à Nathaniel, m'emportai-je en levant un bras d'exaspération tout en le contournant, toujours folle de rage.

Bien entendu, comme il était tout bonnement insupportable et incapable de me laisser avoir le dernier mot, il m'attrapa sèchement le bras pour me faire revenir de force face à lui. Je ne me débattis pas, parce que ce n'était pas mon genre de lui faire ce plaisir. Je me contentai de lever le menton bien haut et de le regarder avec mépris. Je le connaissais assez bien pour savoir qu'il s'apprêtait à me donner une leçon à la Castiel : « me parle pas comme ça, tu sais pas qui j'suis et blablabla ».

- Tout le monde me traite de connard tous les jours, tu m'as déjà vu chialer putain ? s'échauffa-t-il en resserrant sa prise sur mon bras.

Sa réplique me surprit, et moi qui m'attendait à ce qu'il me fasse une crise. Je commençai à croire que, contrairement à ce que venait de lui dire la fille tout à l'heure, l'alcool pouvait peut-être faire ressortir un peu de bon chez lui malgré tout. Enfin, je ne décolérai pas pour autant.

- C'est parce que t'es un connard, grommelai-je toujours aussi furax par son manque de considération.
- Ouais, un gros connard même, confirma-t-il en plongeant ses yeux gris acier dans les miens.


Et après, je ne sais pas trop ce qui s'est passé, tout était devenu un peu flou dans mon esprit. Tout ce que je sais, c'est que la seconde d'après, il m'avait jeté un regard plein d'incompréhension, de colère, et de... désir ? Tout avait été si vite, et tout était si étrange, si surréaliste. Il m'avait plaqué contre le mur et il m'avait embrassé. Et ce n'était pas le baiser doux et romantique dont j'avais toujours rêvé, c'était étrangement et agréablement brutal et fort. Je me surpris à passer ma main dans ses mèches rouges, et à apprécier ce foutu baiser qui n'avait aucun sens. Il entoura mes hanches de ses bras pour me serrer plus fort et accentuer la pression de nos lèvres. J'étais totalement à côté de la plaque, dans une autre dimension, que je laissai même sa langue se frayer un chemin entre mes lèvres. Tous mes muscles étaient en tension, tout mon corps me brûlait. Je n'avais aucune idée du temps qui passait, j'avais comme oublié qui se trouvait en face de moi, j'étais bouleversée. Sa bouche quitta la mienne et il déposa des baisers le long de ma joue avant de descendre lentement jusqu'au creux de ma gorge. Holala, j'avais tellement chaud. Etait-ce encore un sale coup du peu d'alcool que j'avais dans les veines ou était-ce à cause des gestes expérimentés de Castiel ?
Castiel est en train de m'embrasser, Castiel est en train de...
La force de ce fait me frappa apparemment au même moment que lui puisqu'il s'écarta d'un seul coup. Je manquai de tomber à la renverse, sans aucun doute en état de choc. J'en avais tous les symptômes : des bouffées de chaleur, ma vue était trouble, j'étais plus rouge qu'une pivoine, j'avais dû mal à respirer et mon cœur battait plus vite que de raison. Je portai instinctivement une main à mes lèvres, elles me picotaient encore au souvenir du baiser que je venais d'échanger avec lui.
A moins qu'il ne s'agissait d'un rêve, tout simplement ? La situation me paraissait tellement irréelle que si je devais apercevoir Alexy et madame Marnier passer et s'embrasser à pleine bouche, je n'en serais pas surprise.
Je relevai mes yeux vers Castiel, et il semblait tellement perturbé qu'il était impossible de plaider la théorie d'une invention pure et simple. Je venais d'embrasser Castiel, et j'avaisapprécié ça. Nom de Dieu ! Qu'est-ce que c'est encore que cette histoire ? Mélodie, qu'est-ce que tu as fabriqué ? J'eus une envie folle de me mettre une claque.

- Putain ! lâcha-t-il en tapant le mur du poing. Bordel...

Il se mit ensuite à faire les cent pas en calant ses bras au-dessus de sa tête d'un air torturé pendant que je demeurais immobile, encore submergée par mes émotions. Il finit par arrêter son manège et me pointa du doigt sèchement.

- On oublie ce qui vient de se passer, c'est clair ?! décréta-t-il furieusement. J'étais bourré et ça ne se reproduira plus jamais et on en parlera plus jamais. Point barre.

Son ton était tellement dur et cassant que je me contentai d'hocher la tête sans réellement comprendre. Il passa à nouveau sa main dans ses cheveux avant de me tourner le dos et de déguerpir, me laissant là comme une idiote.
Mes premières pensées lucides furent envers Matt et Lysandre. S'ils venaient à le découvrir, comment réagiraient-ils ? Allaient-ils me détester ? Cette simple pensée me donna envie de vomir. Et si Lucas avait raison ? Et si je n'étais qu'une salope ? Une voix à l'intérieur de moi se mit à hurler comme jamais.
Je me ressaisis difficilement, me tenant sur mes jambes maladroitement, et regagnai l'intérieur de la maison en me répétant la phrase de Castiel en boucle « on oublie ce qui vient de se passer ». C'est ça, il me suffisait juste d'oublier.   

Et Dieu créa Mélodie... entre deux pauses pipiWhere stories live. Discover now