Chapitre 21 : La chute n'en sera que plus dure

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  Deux semaines s'étaient écoulées. Deux très longues semaines. Les cours avaient repris mais bien entendu, Castiel n'y avait pas remis les pieds. Dans ce laps de temps, je ne l'avais aperçu qu'une seule fois, à l'enterrement de sa mère, qui avait eu lieu quelques jours seulement après l'annonce de son décès. Etrangement, il y avait eu un monde fou. La mère de Castiel n'avait pourtant aucun ami, personne n'était venu lui rendre visite à l'hôpital. Il me sembla y reconnaître les voisins de Castiel qui étaient sûrement venus par politesse, politesse dont il se fichait comme de l'an 40. Nous autres, les amis de Castiel, avions décidé de venir en bande. Nous savions que même si Castiel nous insulterait sûrement plus tard pour être venus, c'était la bonne chose à faire.
Castiel avait pourtant été incroyablement calme pendant ce dernier hommage rendu à sa mère. Je supposais facilement que cela était dû à la présence de Lysandre et Matt à ses côtés, qui avaient veillé sur lui comme deux véritables gardes du corps (sûrement pour l'empêcher de piquer un esclandre ou de frapper le prêtre avec sa bible en hurlant que sa mère n'était pas croyante). Je lui avais souvent jeté des coups d'œil furtifs, il avait passé toute la cérémonie à lever les yeux au ciel, tirer sur son costume noir qui le mettait particulièrement mal à l'aise et lancer des regards noirs à tous ceux qui semblaient l'observer curieusement. J'avais entendu des murmures, des paroles s'échapper de certaines conversations. Les gens chuchotaient qu'il sentait apparemment l'alcool à plein nez, et qu'il avait été rustre avec tous les invités en refusant de venir les saluer. J'avais serré les poings, ces gens-là savaient pourtant ce qu'il avait enduré dans son enfance, mais personne n'avait été assez intelligent pour s'en préoccuper.
Bon sang, Dieu que cette cérémonie avait été longue...
Je n'avais même pas pu lui adresser un mot, comme les autres d'ailleurs, il s'était carapaté au plus vite à la fin. En même temps, le tenir silencieux et obéissant pendant plusieurs heures relevait du miracle. J'avais croisé le regard de Lysandre, il était pâle et semblait porter un lourd fardeau sur ses épaules. Je lui lançai un sourire d'encouragement avant qu'il ne se lance à la poursuite du rouquin, je savais qu'il allait morfler à tenter de recoller les morceaux. Mais je savais aussi que Castiel avait été là de son côté au divorce de ses parents il y a plusieurs années, les deux se soutenaient toujours dans n'importe quelle situation. Matt avait lui aussi trottiné derrière eux en passant une main dans ses cheveux. Je lui avais adressé un petit sourire à son tour auquel il avait répondu par de grands signes de la main.

- On fait quoi maintenant ? m'avait demandée Iris.
- Je ne sais pas, avais-je marmonné en me mordillant à nouveau les ongles.
- On va tous chez moi pour souffler un peu, avait affirmé Nora que je n'avais jamais vu aussi sombre.


Depuis, la vie avait repris son cours. C'était ce qui devait nécessairement arriver, la vie reprenait toujours le dessus. Seulement les personnes les plus proches du défunt continuaient à le pleurer, à tenter de refermer les cicatrices que son départ avaient causées. En connaissant Castiel, il ne devait ni pleurer ni tenter de se reconstruire, je ne savais pas ce qu'il pouvait bien faire, et c'est bien ce qui m'inquiétais d'ailleurs. Lysandre et Matt se contentaient de nous rassurer en nous donnant quelques nouvelles sans importance, quelques phrases réconfortantes, mais je les connaissais suffisamment pour entendre que leur voix sonnait faux. J'avais eu envie de le voir, mais ils me l'avaient fortement déconseillé, en m'assurant que ce n'était pas ce qu'il voulait. Et mine de rien, ça m'avait fait mal.

- Mél, tu dors encore ? Passe-moi le sel s'te plaît ! me lança Véra en me sortant de ma torpeur.
- Oh ! Désolée, marmonnai-je en attrapant distraitement un sachet avant de lui placer dans la main.
- Dîtes, vous croyez que monsieur Faraize a eu un traumatisme d'enfance pour être peureux comme ça ? nous interrogea Kim en enfournant plusieurs frites dans sa bouche en même temps. Sérieux, je le regarde à peine qu'il se met à avoir la tremblote. Je file autant les jetons que ça les gars ?
- Carrément ! approuva Armin. Je te rappelle que la dernière fois que j'ai osé me moquer de ton jeu au basket je me suis pris un coup dans la figure.
- T'es vache ! J'avais pas fait exprès ! se défendit-elle avec un regard noir.
- Donc la balle lui est arrivée dans la tête par erreur, c'est ça ? ironisa Matt qui levait les yeux au ciel.
- Je vous l'ai déjà dit : elle m'a échappée des mains, insista Kim en serrant la mâchoire.
- Détends-toi Kiminator, tu refais ta tête de « je vais te tuer si tu continues à me contredire », se moqua Alexy.
- Je rêve ou tu m'as donné un surnom de dinosaure toi là-bas ?


Ils continuèrent de se chamailler mais furent interrompus par l'arrivée d'un Nathaniel dont le visage avait viré au rouge et qui semblait totalement paniqué.

- Whoa, t'as exactement la tronche d'Ambre quand elle se casse un ongle c'est fou ! lui fit remarquer Véra qui était assise sur les genoux d'Armin.
- Très drôle, lança-t-il sèchement. Je ne te dis rien sur le fait que tu es un peu trop proche d'Armin que ne l'autorise le règlement intérieur alors sois gentille et retiens-toi de me parler de mon expression, merci.


Houlaaa... Il ne lui arrivait d'être aussi piquant que lorsqu'il avait des problèmes. Et le genre de problème qui nécessitait généralement mon aide. Comme pour le confirmer, ses yeux dorés se figèrent dans les miens et je lui lançai un regard interrogateur.

- Mélodie, je me suis mis dans de beaux draps ! Sue est venue à la maison hier soir, ce qui m'a un peu perturbé et...
- Tu m'étonnes, le coupa Nora en gloussant.


Il lui jeta le terrible regard qu'il réservait aux élèves qu'il s'apprêtait à réprimander. Nora leva les mains en signe d'excuse, avec néanmoins toujours un sourire moqueur sur les lèvres.

- J'ai oublié d'aller récupérer les nouveaux plots pour le gymnase au bazar, m'expliqua-t-il en prenant un ton ennuyé.
- Ah ouais, merde, encore désolé pour les anciens, grommela Matt. Je savais pas qu'en m'asseyant dessus je les péterai tous...
- T'es un peu con quand même, lui balança Armin en lui ébouriffant les cheveux.
- Bref, tout ça pour dire, reprit Nathaniel agacé. Je peux pas aller les chercher, j'ai un tutorat à assurer avec une élève de seconde... Tu crois que... Tu pourrais y aller pour moi ? Ils en ont besoin cet après-midi, monsieur Boris aimerait organiser une course de relais.

Je me mis à grogner. Je devais avouer que j'avais légèrement la flemme, et puis je ne me sentais pas totalement concernée par la chose dans la mesure où je n'étais plus emmerdée à faire la commission pour la directrice puisque j'avais quitté mon poste. Mais bizarrement, son petit visage agacé et stressé me donna envie de lui donner un coup de main. Les anciennes habitudes ont la dent dure.

- Ok, ok, je m'en occupe, lui promis-je tout en enfournant un bout de poulet dans ma bouche.
- Tu me sauves la vie, je te revaudrai ça ! me remercia-t-il en rougissant.
- J'y compte bien, grommelai-je en baissant le visage dans mon assiette.
- Je t'accompagne Mél, proposa Matt. Après tout, j'me sens légèrement responsable !
- Légèrement ? s'étrangla Nathaniel.
- Bon ça va, je me suis déjà excusé ! grogna-t-il alors que Nora retenait un rire avec sa main.


***

- Mélodie ! s'exclama Rémi, le vendeur du bazar, en m'apercevant pénétrer dans son magasin par les portes automatiques. Ca fait un bail dis-moi !
- Oui, désolée de ne pas être passée plus souvent ces derniers temps... confirmai-je en lui offrant un grand sourire.
- Je suppose que tu viens chercher la commande effectuée par le lycée ? devina-t-il alors qu'il avait déjà la tête penchée dans ses fiches.
- Tout à fait ! répondit Matt qui venait de s'accouder au comptoir nonchalamment.
- C'est le fameux Nathaniel ? me questionna Rémi perplexe en désignant mon ami d'enfance.
- Ah non, non pas du tout ! répliquai-je rapidement. C'est Matt, tu sais, mon voisin ?
- Oui, Matt ! s'exclama-t-il en souriant. J'ai beaucoup entendu parler de vous jeune homme !
- Oh ! Arrêtez, vous allez me faire rougir, lâcha ce dernier en faisant balancer sa main vers le bas dans une amusante mimique de diva.
- Bon, j'vais vous chercher tout ça dans la réserve, fit Rémi en ouvrant la porte de derrière.


Matt fit un tour sur lui-même pour me faire face avec un petit sourire arrogant. Je soupirai bruyamment.

- Alors comme ça on parle de moi ?
- Prends pas la grosse tête, les trois quarts du temps c'est pour me plaindre que je te supporte plus, assurai-je.
- L'amour commence toujours par la haine chérie, me lança-t-il en hochant la tête presque pour lui-même.


Immédiatement, par simple réflexe, je me mis à penser à Castiel. Je me sentis instinctivement gênée, comme si une boule se formait dans mon estomac. Sans le faire exprès, il avait presque décrit notre situation à tous les deux, même si les mots « haine » et « amour » étaient bien trop forts. Enfin, je l'espérais.
Matt comprit tout de suite mon trouble et me lança un regard dur, perplexe, il tentait de lire dans mes yeux ce qui me perturbait. Mais j'avais le sentiment, qu'au fond, il devait bien se douter.
C'est à ce moment que Rémi revint de la réserve avec un grand filet remplis de plots fluorescents à la forme triangulaire. Il le tendit à Matt alors que je le remerciai d'un hochement de tête. En quittant le magasin, je lui promis de revenir le voir bientôt.
Nous marchâmes quelques temps silencieusement dans les rues, il avait les sourcils froncés et me semblait réfléchir.

- T'aurais pas un truc sur la conscience par hasard ? me questionna-t-il de but en blanc. T'avais ce regard de la Mélodie qui a fait une bêtise.
- Il n'y a pas de regard de Mélodie qui a fait une bêtise, réfutai-je en serrant les dents.
- Bien sûr que si qu'il y en a un, et c'est celui que tu m'as servi tout à l'heure dans le magasin. Alors, tu m'expliques ?


Et le voilà le problème, il connaissait tout de moi. Je ne pouvais lui cacher cette histoire avec Castiel parce qu'il finirait par deviner. Il l'avait presque d'ailleurs déjà fait. Je ne voulais pas lui donner l'impression de lui cacher des choses, c'était réellement ce que je désirais le moins, j'avais bien vu le résultat avec Lysandre... J'avais peur, j'avais vraiment peur de lui dire. Il risquait de ne pas comprendre, de me détester. Mon cœur se serra, je ne réussissais même pas à imaginer cette seule possibilité. Mais l'idée de lui mentir était encore bien plus terrible, parce qu'elle était intimement liée à des cachotteries, à des semi-vérités et un amer goût de trahison.

- Castiel est venu me rendre visite le soir-même après m'avoir bousillé la main, avouai-je en jetant un regard vers le bandage qui encerclait toujours ma paume.
- Le petit con ! cracha-t-il en s'arrêtant net. Il en a profité pour filer pendant que j'étais sous la douche ! J'aurais jamais dû le croire quand il m'a dit qu'il était juste parti s'acheter un paquet... J'suis un terrible baby-sitter.


Je triturai mes doigts, gênée. Croyait-il sincèrement que c'était la seule partie de l'histoire que j'avais envie de lui raconter ?

- Qu'est-ce qu'il t'a dit ? relança-t-il sur un ton bien plus sérieux cette fois, comme s'il venait de comprendre que je n'en avais pas fini.
- Pas grand-chose à vrai dire. Qu'il se sentait mal, qu'il était désolé.
- Il s'est réellement excusé ? s'étonna-t-il en plissant les yeux.


Je hochai la tête sans ajouter un mot. J'avais peur de lui dire, est-ce qu'il voulait l'entendre ? Est-ce que j'avais réellement besoin de lui avouer que nous nous étions embrassés par mon initiative ? La petite voix dans ma tête qui le connaissait, lui aussi, sur le bout des doigts, me rappela que c'était un homme franc. S'il devait l'apprendre, il fallait que ce soit de ma bouche et non dans celle de quelqu'un d'autre.

- J'ai capté pour le baiser chez Rosalya, pas la peine de te torturer, me devança-t-il furtivement. J'ai prétendu que je n'avais pas vraiment compris ce que Lucas avait dit, mais c'était totalement faux. J'avais juste besoin de temps pour digérer, et je voulais en parler à Cast d'abord.
- Humhum... marmonnai-je.
- Je sais pas trop ce qu'il ressent pour toi, continua-t-il, mais je pense qu'il devrait plus jouer avec tes nerfs en t'embrassant à l'improviste comme ça.


Bon sang, je me sentais mal. Mon ventre formait un terrible nœud.

- Ecoute Matt, repris-je en me tournant pour le regarder. Quand il est venu dans ma chambre, on... On... Enfin, on s'est à nouveau embrassé.
- Putain, mais il est infernal quand il est bourré ! s'écria-t-il en fronçant les sourcils sous la désapprobation. J'espère que tu as pu lui foutre une bonne claque cette fois.


Je fermai les yeux, sentant un haut-le-cœur monter le long de la gorge. J'avais peur du regard qu'il allait me jeter, j'avais peur d'y lire du dégoût, du mépris.

- Mél, ça va pas ? Tu veux t'asseoir ? s'inquiéta-t-il en posant le sac avec les plots pour poser ses mains sur mes épaules et me soutenir. On dirait que tu vas gerber.
- Castiel ne m'a pas embrassé, continuai-je en sentant qu'il fallait que ça sorte avant que je ne me dégonfle. C'est moi qui l'ait fait.


Je sentis ses mains quitter mes épaules, et malgré mon manque de volonté, je décidai de me forcer à ouvrir les yeux pour observer sa réaction. Son regard cherchait le mien, une veine sur son front ressortait affreusement, attestant qu'il était énervé.

- Pourquoi tu l'as embrassé ?
- Je... Je sais pas trop... marmonnai-je d'une voix faible.
- Ah, si, si ! Tu sais très bien ! s'agita-t-il soudainement comme un fou en me montrant du doigt nerveusement. Je pensais que tu te laissais faire pour ne pas le vexer, parce que tu es toi mais... Mais si c'est toi qui te décide à l'embrasser... Il te plaît avoue-le ! Il te plaît et tu lui plais, c'est bien ça ? Donc vous êtes en couple, hein ? C'est pour ça que t'es bizarre ces derniers temps et que tu te sens si mal pour Castiel et si concernée ! Mélodie, tu te fous de ma gueule là sérieux ?!
- On est pas en couple Matt, je te le jure ! m'exclamai-je en tentant de m'approcher de lui mais il ne faisait que reculer. Ne sois pas énervé, je t'en prie...
- C'était pour te venger d'Iris alors ? Parce que je l'ai embrassée ?
- Tu me crois réellement capable de faire un truc pareil ? soufflai-je en lâchant un hoquet de surprise.
- J'en sais rien Mélodie, j'en sais foutre rien. Je galère depuis des années pour t'arracher un seul putain de baiser et lui il lui faut un mois pour que tu te décides à sauter le pas ! C'est quoi le problème ? T'as pitié de moi et tu fais semblant ? Pourquoi ne pas m'avoir dit que je ne te plaisais pas plutôt que de me débiter la tirade de l'amitié hein ?
- La tirade de l'amitié on était d'accord dessus tous les deux je te signale, m'agaçai-je. Et oui, oui il me plaît ok ?! Mais ça veut pas pour autant dire que je suis avec lui, regarde : tu me plais aussi et on est pas ensemble que je sache ! Et ça n'a rien à voir avec de la pitié tu le sais bien !
- Donc c'est quoi la situation au juste ? On se bat pour avoir tes faveurs, c'est ça ? cracha-t-il.
- Est-ce que c'est vraiment l'image que tu as de moi après tout ce temps ? m'exclamai-je en sentant une étrange émotion entre la colère et la tristesse s'immiscer dans ma tête.
- Tu peux pas avoir le beurre et l'argent du beurre, c'est tout ce que je dis, affirma-t-il en croisant ses bras contre son torse.
- T'entends quoi par-là ?
- J'entends que tu ne peux pas t'envoyer en l'air avec Castiel alors que de l'autre côté tu m'as assurée que tu m'attendrais putain ! explosa-t-il en s'agitant de nouveau.
- Matt, calme-toi, soufflai-je en sentant que la rage faisait ressortir le pire de lui-même, comme à son habitude. Je ne me suis envoyée en l'air avec personne, alors arrête de prendre ce ton, et je ne t'ai pas non plus promis de t'attendre et tu le sais très bien !
- Alors c'est ça le truc ? J'attends seul comme un con de mon côté que tu vives tes petites expériences sans même savoir s'il y aura un avenir entre nous, c'est ça que tu veux ?
- Bien sûr que non ! m'emportai-je à mon tour. Ce que je veux, c'est toi, juste toi ! Je ne veux pas que tu m'attendes, je ne veux pas t'attendre, je veux juste qu'on soit nous, Matt et Mélodie, comme on l'a toujours été...


Il serra la mâchoire, expirant et inspirant bruyamment. Il était en train de se calmer, je le sentais. Il déposa ses deux bras au-dessus de sa tête, je ne pus m'empêcher de le trouver beau. Il l'avait toujours été, d'une beauté rayonnante entourée d'un aura de chaleur qui me donnait envie de me réfugier dans ses bras. Matt ressemblait à mon père sur ce point, j'étais en sécurité avec lui, tout le temps. Seulement, son expression se fit plus sombre et la joie de vivre qui le caractérisait semblait disparue.

- Mél, je crois pas que je vais y arriver... souffla-t-il en fermant ses yeux pour ne pas croiser mon regard plein d'incompréhension.
- De quoi tu parles ? m'exclamai-je.
- Je pensais que ce serait facile de continuer à être ami avec toi comme avant, mais je suis plus sûr que ça me convienne...
- Matt, ne fais pas ça s'il te plaît, lâchai d'une voix suppliante. Où est passé le gars qui me disait qu'il refusait de gâcher notre amitié pour une histoire de sentiment ?
- Comprends-moi Mél... J'en ai marre de laisser mes couilles sur le pas de la porte à chaque fois que je dois te parler ou que je te touche. Alors que toi, t'as pas l'air de mal le vivre tout ça.
- Le problème c'est Castiel ? Parce que si tu me demandes de faire un choix entre te perdre ou perdre Castiel, c'est vraiment dégueulasse mais tu sais très bien que tu seras toujours le premier choix !
- Mais tu sais bien que c'est pas Castiel le problème putain Mél ! Mais si t'as envie de rentrer dans ce petit jeu, entre sortir avec moi ou avec Castiel, tu me choisirais aussi alors ?


Je déglutis. Il venait de poser tout haut la question qui m'avait torturée l'esprit depuis deux semaines. S'il était question de choisir entre ne plus revoir Matt ou ne plus revoir Castiel, le choix était pour moi rapidement fait. Matt était vital pour moi, il était mon soleil, mon passé et il m'avait toujours poussée à sortir de ma coquille. Le fait de m'être énormément rapprochée de Castiel ces derniers mois n'y changeait rien. J'éprouvais plus d'amour pour Matt. Mais ce n'était pas la même question qu'il venait de me poser, il me demandait de savoir lequel d'entre eux me plaisait le plus.
Je lâchai un sifflement plaintif. Au fond de moi, je le savais. Je refusais simplement de l'admettre car tout ça était bien trop gros, bien trop fort, bien trop puissant pour quelqu'un comme moi qui avais toujours été habituée à se contenter de la normalité. Je n'avais pas ressenti autant de passion dans le baiser que j'avais échangé avec Matt que dans celui avec Castiel. Et je n'avais pas spécialement non plus éprouvé le besoin de l'embrasser à nouveau. J'avais honte de l'admettre, mais depuis que j'avais accepté l'idée d'être physiquement attirée par Castiel, je le désirais. C'était même parfois douloureux, parce que je n'en avais presque pas envie, il restait toujours ce Castiel qui m'énervait pour un oui ou pour un non. Je n'avais jamais eu envie de quelqu'un avant ce soir-là, et ce sentiment me pourchassait encore aujourd'hui.
Je relevai les yeux vers Matt, et il avait déjà pris mon temps de réflexion pour une réponse.

- Je savais que ça finirait par arriver, reprit-il sérieusement. Je savais que tu finirais par être attirée par un autre mec que moi. C'est pas le fait que ce soit Castiel qui me dérange, c'est simplement le fait que ce soit arrivé.
- Ca ne change rien Matt...
- Tu sais bien que c'est faux Mél, continua-t-il le regard dans le vide. J'ai besoin de temps pour digérer tout ça. J'ai besoin de temps pour réapprendre à être seulement ton ami.
- Je te laisse tout l'espace dont tu as besoin, mais promets-moi que ce n'est que provisoire Matt. Si j'ai refusé de me mettre en couple avec toi, c'était en premier lieu parce que j'avais peur que ça ne vienne tout gâcher entre nous. Et tu pensais pareil aussi ! Est-ce qu'on a fait une connerie ?
- Je ne pense pas, plus je prends du recul et plus je me rends compte que ça n'aurait pas marché. Ecoute, je... je veux juste réfléchir de mon côté, j'ai besoin de m'éloigner de toi parce que j'en peux plus de ces conneries. J'en peux plus de ressentir tout ça, je veux aussi que ça redevienne comme avant pour qu'on arrête de se faire souffrir tous les deux.
- Je ne ferai plus rien avec Castiel, pas alors que ça te fait souffrir, lui promis-je en profitant de son calme retrouvé pour me faufiler dans ses bras et me serrer contre lui.
- Je t'ai déjà dit que ça n'avait rien à voir avec Castiel. Que ce soit lui ou un autre mec, qu'est-ce que ça change ? Et même si tu étais plutôt bien partie sur le départ, je doute que tu ne réussisses à te comporter comme une nonne jusqu'à la fin de ta vie.


Je grimaçai parce qu'il avait raison. J'avais commencé l'année dans la peau d'une nonne.
Je profitai encore un peu de son étreinte et de son odeur, sachant pertinemment qu'il hésitait à me repousser parce qu'il n'aimait pas ce contact. Je finis malgré tout par me reculer avant qu'il ne prenne l'initiative d'y mettre un terme.

- Ne me fais pas ce regard Mélodie, me reprocha-t-il en découvrant mon expression. T'as déjà réussi à éviter une grosse crise de colère et des insultes, n'en demande pas trop.
- J'ai juste peur, lui confessai-je en sentant les larmes me monter aux yeux. On s'est jamais pris la tête comme ça, on a jamais passé plus d'une semaine avec la distance que t'as envie d'instaurer. J'ai peur que ce ne soit plus comme avant...
- Ca fait longtemps Mél, que c'est plus tout à fait comme avant, répliqua-t-il.


Il n'y avait plus rien à faire et plus à rien à ajouter à cette phrase qui me fit l'effet d'une onde de choc. Je l'observai récupérer le filet avec les plots et le passer par-dessus son épaule avant d'avancer d'un pas rapide vers le lycée. J'avais très bien compris à sa démarche que je n'étais pas supposée le suivre, et qu'il ne comptait pas m'attendre. Je retins quelques larmes difficilement, je me sentais tellement mal. J'avais l'impression qu'il m'avait arraché quelque chose, mes souvenirs avec lui se firent plus forts, comme s'ils voulaient me narguer des moments que j'avais partagé et que je ne partagerai peut-être plus jamais avec lui tant je l'avais blessé. Quel genre de monstre étais-je ? Je me retrouvais dans les bras de son meilleur ami alors qu'il avait des sentiments pour moi ! Mon Dieu, le formuler de la sorte rendit la chose d'autant plus affreuse.
Il me fallut plusieurs longues minutes, debout, seule dans cette rue, avant de réussir à avancer de nouveau. Est-ce que je l'avais réellement perdu ? Est-ce que tout ceci aurait pu être évité si j'avais accepté de me mettre avec lui ?
Encore une fois, je devinai que non. Lorsque nos attirances mutuelles étaient apparues, elles avaient empoisonné doucement mais sûrement notre relation. Cette scène était inévitable. Mais ce qui était aussi inévitable, et que je ne pouvais me reprocher, c'était que j'allais forcément finir par être attirée par un autre homme. Mais pourquoi avait-il fallu que ce soit cette espèce de masochiste totalement égoïste ?

***

- T'étais où ? Je t'ai cherché partout ! s'exclama Iris en me sautant dessus alors que j'avais à peine passé l'entrée du lycée. J'ai vu Matt débarquer sans toi avec les plots, j'ai cru que tu avais décidé de sécher ! Et puis, je me suis rappelée que tu étais toi, et que c'était pas possible.
- On a eu une sale dispute avec Matt... lui appris-je en détournant les yeux parce que son regard se fit curieux. Je crois qu'il vaut mieux éviter d'en parler Iris, pas ici en tout cas.
- Chez moi après les cours ? me proposa-t-elle en replaçant une de mes mèches de cheveux derrière l'oreille.
- Comme tu veux, soufflai-je totalement chamboulée. Sinon, t'as dit que tu me cherchais ?
- Oui, oui, comme les autres aussi d'ailleurs, continua-t-elle en respectant ma volonté d'éviter le sujet Matt pour le moment. On a un gros problème, t'aurais pas reçu un message de Castiel par hasard ?


De nouveau, je ressentis une inquiétude incontrôlée. Je tirai alors mon téléphone de la poche, allumant ensuite l'écran d'un geste vif pour faire afficher mes éventuels messages. Mais rien de nouveau n'apparut.

- Bah non, pourquoi ?

Iris sortit à son tour son iPhone de la poche de son jean et me le plaça sous les yeux pour que je puisse lire ce qui s'y affichait.

De : Castiel
A : Iris
Soirée chez moi vendredi soir, vous l'aurez donc facilement compris : pas de parents pour surveiller. N'oubliez pas de ramener de quoi boire et bouffer, y'a pas marqué Banque de France sur mon front les pétasses.


Quel con. Mais quel con. Il recommençait à faire n'importe quoi. Et moi qui avais cru qu'il avait réussi à trouver la motivation de continuer à avancer, à surmonter toute la douleur qu'il avait pu ressentir, qu'il finirait par revenir à l'école parce qu'il serait raisonnable. Je n'en pouvais plus, entre lui et Matt, je ne contrôlais plus rien. Et je détestais ça.
Et pourquoi est-ce qu'il ne me l'avait pas envoyé, ce message ? Cherchait-il à m'éviter ? J'étais inquiète pour lui, mais je n'avais aucune envie de le revoir. Et surtout pas après cette discussion avec Matt. La seule chose qui me donnait réellement envie, c'était de me faufiler sous la couette jusqu'à la fin de mes jours, ou alors jusqu'à ce que Matt me reparle...
Ma vie avait pris une tournure tellement catastrophique que je me demandais où est-ce que ça avait bien pu foirer. Est-ce que je n'aurais pas dû rester comme avant ? Pourquoi tout s'écroulait-il autour de moi ?  

Et Dieu créa Mélodie... entre deux pauses pipiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant