Chapitre 27 : Dans un tube flou

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  J'avais l'impression d'avoir la pire gueule de bois de toute une vie. Ma tête me faisait souffrir le martyr, et je ne sentais plus le reste de mon corps. Je n'osais pas ouvrir les yeux, j'avais bien trop peur que ma douleur ne s'aggrave. Et puis, je n'étais pas si sûre que cela d'y arriver. J'avais l'impression d'avoir oublié comment faire.
Je tentai de rassembler mes idées, mes souvenirs, comprendre ce que je venais faire là, ce qu'il m'arrivait. Je remontai le cours de ma mémoire. Je me rappelai ce rendez-vous avec le conseiller d'orientation, et du visage de Nathaniel, et puis je ne réussis qu'à me remémorer des odeurs, comme le rouille, le caoutchouc, des bruits, des gyrophares, des paroles, des cris. Et surtout une terrible douleur. Mais tout était tellement flou que c'était presque comme si je l'avais rêvé.
Je sentis soudainement une main posée sur la mienne. La main était grande, ferme, et elle me serrait comme pour me supplier de lui répondre. Je reconnus ensuite une voix familière.

- Philippe, ça va aller. Les médecins sont optimistes, lança une voix féminine un peu plus loin.

J'entendis un long soupir. Je savais qu'il fallait que j'ouvre les yeux, je ne supportais pas de laisser mon père dans le doute de la sorte. Je papillonnai difficilement des cils, j'avais mal. D'abord, je ne réussis à percevoir que des couleurs, et une forte luminosité qui m'aveugla. Je plissai les yeux d'autant plus, j'étais dans le coltard. Le flou devint peu à peu netteté et je pus distinguer des formes. Tout d'abord mon père, qui était penché au-dessus de moi et me regardait avec inquiétude, ensuite Miranda au loin qui venait de se relever et un Lysandre à ma droite qui se tenait appuyé sur le mur le visage impassible.
Une fois ma vue retrouvée, ce fut comme si tous mes sens avaient décidé de se réveiller en même temps. Quelque chose me dérangeait affreusement dans le bas de mon visage, dans ma gorge. Je portai instinctivement une main pour tenter de me défaire de cette gêne mais mon père me retint fermement. Je tentai de protester mais j'étais incapable de faire bouger ma mâchoire.

- Ne touche pas à ça Mélodie, m'ordonna-t-il d'un ton sévère. Lysandre, va chercher le médecin.

Je lui jetai un regard plein d'incompréhension. S'il réagissait de la sorte, c'est que cela devait être important.

- Tu te souviens de quelque chose ? me demanda-t-il en caressant mon visage. Cligne des yeux deux fois si ce n'est pas le cas.

Je m'exécutai. Et c'est à ce moment-là qu'une infirmière fit son entrée dans la chambre et commença à inspecter la moindre parcelle de mon corps et à vérifier le bilan qu'affichaient les machines. J'étais toujours aussi perdue. La douleur commençait à me revenir, elle n'était pour l'instant qu'un petit sentiment lointain, mais je sentais qu'elle accourait à la vitesse de l'éclair.

- Mademoiselle ? Vous m'entendez ? me questionna l'infirmière en penchant sa tête au-dessus de moi.

Je hochai lentement la tête, en retenant un sifflement plaintif à cause de la douleur que m'avait provoquée ce mouvement.

- Bien. Il ne faut surtout pas que vous essayiez de parler, reprit-elle. Vous avez eu un accident, vous avez été percuté par une voiture. Le choc a causé des dégâts importants, vous avez plusieurs côtes de cassées. Vous avez été projeté et c'est votre mâchoire qui a amorti la chute. Nous avons dû vous opérer, et vous intuber car vous étiez incapable de respirer à cause de tout le sang dans votre trachée. Vous devez faire très attention, et ne pas vous fatiguer. Vous avez perdu beaucoup de sang. Nous avons stoppé l'hémorragie, et recousu la plaie. Cependant, votre mâchoire reste partiellement cassée et vous n'allez pas pouvoir parler. Pas avant un certain temps, jusqu'à du moins que nous enlevions les fils dans votre bouche. Et vous allez encore devoir garder le tube dans votre gorge quelques jours. Alors, il est très important que vous n'essayiez pas de l'enlever, même si cela vous gêne beaucoup. D'accord ?

Je remuai à nouveau faiblement la tête pour confirmer. Mais je m'agitai encore en voyant qu'elle considérait la conversation comme close. J'avais besoin de savoir : combien de temps ? Etait-ce grave ?

- Oui ? Vous avez mal quelque part ? s'enquit-elle sans comprendre. Je peux augmenter votre dose de morphine si vous le souhaitez.

Je retenais difficilement mes larmes. Elles roulaient lentement sur mes joues alors que j'agrippai douloureusement le drap de mon lit. J'avais envie de hurler. Je la vis appuyer plusieurs fois sur un bouton et je sentis alors une délicieuse torpeur m'envahir.
J'en oubliai toutes mes peurs et lâchai un profond soupir de soulagement en m'endormant.

***

- J'en reviens pas qu'ils la forcent à enfiler des tenues pareilles. C'est pitoyable.
- Moi ce que je trouve pitoyable, c'est qu'il n'y ait pas de bouffe dans sa chambre.


J'émergeai peu à peu, réveillée par des paroles plus ou moins désagréables et quelques rires. Je sentis que plusieurs personnes m'entouraient, et cette proximité commençait à me déranger. J'ouvris lentement des yeux fatigués, je ne m'étais jamais sentie aussi faible, et tombai nez à nez avec un Alexy qui se trouvait bien trop proche de mon visage.
Je m'apprêtai à lui balancer une vacherie pour qu'il s'éloigne, mais je me rappelai assez rapidement que je n'étais pas en mesure de prononcer quoi que ce soit. De nouveau, ce sentiment d'impuissance et de terrible nervosité refit surface. Dans la salle, je découvris une Rosalya affalée sur l'un des fauteuils, Armin et Véra qui se tenaient main dans la main et une Iris au bout du lit qui tenait une tête dépitée.

- Bon sang elle est réveillée ! s'exclama Alexy comme si les autres ne l'avaient pas déjà remarqué.

Je grommelai un bruit plaintif pour lui signifier de baisser le volume sonore, mais il déposa un long baiser sur mes lèvres pour me faire taire. Je lâchai un sifflement étonné, mais Alexy semblait rayonner de joie alors cet élan d'affection ne me surprit pas tant que ça.
Iris s'approcha de l'autre côté du lit et me prit la main avec émotion. Elle pleurait à chaudes larmes. Je levai un bras avec difficulté vers elle et elle s'engouffra dedans. Je la serrai fort contre moi, presque comme si c'était à moi de la consoler. Elle porta ses mains le long de mon corps, comme si elle avait peur que je disparaisse à nouveau, qu'elle avait besoin de sentir que j'étais bien là avec elle. Ses gestes étaient doux et mesurés, et je voyais qu'elle avait peur de me faire mal.

- On est l'équipe numéro 3 de remplacement, m'apprit Alexy qui me serrait le bras droit lui aussi tellement fort que cela en devenait douloureux. Ton père, Miranda et Lysandre sont rentrés chez toi pour se reposer un peu, ils ont pas beaucoup dormi ces derniers jours.
- Arrête un peu avec tes histoires d'équipe, t'es le seul à prendre ça au sérieux, se plaignit Rosalya qui s'était à son tour levée pour m'entourer. Ca va Mél ? Comment tu te sens ?


Je levai un de mes pouces en l'air pour seule réponse. Et même si je me sentais faible, endolorie et à moitié endormie, j'étais bien. Je me sentais entourée et ça me touchait particulièrement.

- Tu nous as fichu une de ses trouilles, me souffla Iris qui était toujours accrochée à mon cou comme à une bouée de sauvetage.
- C'était un vrai cauchemar Mél, approuva Armin avec émotion en passant un bras autour de l'épaule de Véra comme s'il avait besoin de son contact.


J'avais un milliard de questions en tête, mais j'étais incapable de parler, ou même de gesticuler pour tenter de me faire comprendre. Tout autour de moi me semblait flou. Alexy me tendit soudainement une petite ardoise aux contours bleus et me déposa un stylo rouge dans le creux de la main.

- Matt a déposé ça ce matin, m'informa-t-il. Il a dit texto : elle tiendra pas plus de cinq minutes sans vouloir ouvrir la bouche pour vouloir savoir tout sur tout.

Entendre le prénom de Matt me fit bien trop plaisir. Et surtout le fait qu'il avait retrouvé ce besoin de me protéger. J'étirai un sourire qui m'arracha un couinement. Note pour moi-même : ne pas trop gesticuler avec mon visage. Alexy déposa mon ardoise sur mon torse et je sentis alors comme une brûlure sur ma peau. Rien de très douloureux, mais j'en restai sur les fesses. Cette douleur était toute nouvelle pour moi, et je savais que ce n'était pas à cause de mes côtes cassées. Je tirai légèrement sur ma tenue bleue d'hôpital pour découvrir deux énormes rougeurs à la forme rectangulaire du côté gauche de ma poitrine. J'écarquillai grand les yeux.

- Oh... Ce... C'est à cause des électrochocs, me devança Alexy qui contemplait lui aussi les deux tâches sombres sur mon torse.
- Ton cœur a fait son petit malin et s'est arrêté plusieurs fois en quelques heures, ajouta Rosalya en devançant mes interrogations. Il t'a fallu une semaine dans un semi-coma pour te remettre de tout ça.


Une semaine ?! J'avais réellement dormi toute une semaine ? Et les cours alors ? Comment j'allais faire avec les cours dans toute cette histoire ? Et avec le Bac à la fin de l'année ? Je savais pertinemment que c'était idiot de s'inquiéter pour ça alors que j'avais très sérieusement frôlé la mort, mais je ne pus m'en empêcher. J'écrivis BAC en toute lettre sur l'ardoise et leur présentai en fronçant les sourcils.

- Mél, sérieux ! s'agaça Véra avec néanmoins un sourire aux lèvres. On t'annonce que ton cœur a failli te lâcher et tu nous parles du Bac ? Putain, vous pouvez alerter les médecins, elle va beaucoup mieux !

Je lui lançai un regard noir alors que les rires des autres se mêlaient au sien.

- Arrête de t'inquiéter pour ça, me sermonna Iris. On va se relayer pour passer tous les jours et te ramener les cours. Ton père va dévaliser la librairie et acheter tous les prépabac possibles et inimaginables. C'est la dernière de tes priorités là tout de suite.

Je soupirai. Je savais que mon père allait gérer toute la situation de toute manière. Avoir un tyran à la maison avait bien plus de côtés positifs qu'on ne pouvait l'imaginer.
En parlant de tyran, je sentis mon esprit m'imposer une image dans la tête. Castiel. Je me mis immédiatement à rougir, sans trop de raison, et je me demandai immédiatement s'il était venu me voir. Je mourrais d'envie de leur poser la question mais je savais que cela paraîtrait bien trop bizarre et suspect. Je cherchai un moyen de le ramener dans la conversation. J'effaçai mon écriture avec le revers de ma main et écrivis un large « et les autres ? ».

- C'est qui... Léopold ? s'écria Alexy en plissant les yeux face à mon écriture très approximative.

Je lâchai un grognement, je n'arrivais pas à contrôler les tremblements dans ma main. Je sentais que le fait de ne pas l'avoir utilisée pendant plusieurs jours me compliquait beaucoup la tâche. Et j'étais très faible. Ajoutons à cela le fait que j'avais une aiguille plantée dans mon avant-bras droit qui me servait sans doute à m'alimenter.
Je réitérai une tentative en rédigeant plus lentement et en prenant soin de séparer les trois mots.

- Ah ! Les auuuuuutres ! s'écria Rosalya comme s'ils étaient en train de jouer à un stupide jeu de devinette.
- Pour ma défense, son T ressemblait drôlement à un P. Elle a toujours mal écrit, fit remarquer Alexy.


Je le pinçai violemment à la cuisse et il couina.

- L'autre moitié de la troupe est passée ce matin, me répondit Véra en venant s'appuyer sur les barrières protectrices au bout de mon lit. Ca fait une semaine qu'on passe un peu près tous les jours. Je crois que le personnel de l'hôpital est à deux doigts de nous en interdire l'accès. Entre Alexy qui mange des repas qui ne lui sont pas destinés, Armin qui débranche tout le matériel électronique pour faire recharger sa PSP, Rosalya qui fait des remarques désobligeantes sur leur uniforme, Violette qui dessine sans s'en rendre compte un peu partout, Castiel qui laisse traîner ses mégots, Lysandre qui oublie toutes ses affaires dans ta chambre,... Enfin, je t'en passe des vertes et des pas mûres. Rien que là, on est bien plus nombreux que ce que l'on devrait. Heureusement qu'Armin et Alexy avec un bonnet ont la même gueule, elles sont persuadées qu'ils ne sont qu'une même et seule personne, ça nous aide à venir plus nombreux. Mais le pire c'est sûrement Nathaniel, il se sent trop coupable du coup il ne fait que saouler les médecins avec ses questions à la con.

J'avais retenu deux informations dans sa réponse. De un, Castiel était passé. J'en fus étonnée, je l'imaginais plutôt se terrer dans sa chambre, ou alors faire le tour des boîtes de nuit une bouteille à la main. Je savais qu'il avait un passé douloureux avec les hôpitaux. De deux, sûrement la plus cruciale, je venais de me rappeler de la scène de l'accident. L'image de Nathaniel sur le trottoir d'en face s'imposa à moi. Mon Dieu. Je n'osais imaginer ce qu'il avait pu vivre. Surtout que ce n'était pas vraiment de sa faute, j'avais été bien trop imprudente. Et pourtant, ça ne me ressemblait pas.

- T'exagères, se plaignit Alexy face aux propos de Véra en croisant les bras sur son torse. C'est arrivé qu'une seule fois et c'était juste un muffin sérieux ! L'infirmière a qu'à faire gaffe quand elle laisse traîner les plateaux pour les patients merde alors.
- Ah ouais ? Alors t'as déjà oublié que t'as subtilisé le plateau repas de la patiente de la chambre d'à côté ? répliqua Armin.
- Elle me l'a donnée !! s'agaça Alexy. C'est pas de ma faute si je suis tellement adorable que l'on veut me nourrir ! Et t'es juste jaloux parce que son petit-fils a pas voulu te prêter sa DS.
- C'était pas une DS ! C'était une Gameboy collector Alex ! s'énerva à son tour Armin.


Bon sang, ça y est, ils avaient réussi à me fatiguer. Mes paupières étaient de plus en plus lourdes et je commençais à avoir la nausée.
Je levai alors un doigt avec le peu de force qu'il me restait pour tenter de montrer le bouton sur lequel avait appuyé l'infirmière la dernière fois. J'avais vraiment besoin de dormir paisiblement.

- Pourquoi tu pointes ton doigt sur ma bite ? s'étonna Alexy qui ne comprenait strictement rien, comme d'habitude.
- Mais bien sûr que non qu'elle montre pas tes parties génitales, en partant du principe que tu en as, s'exaspéra Véra en se frottant les yeux avec lassitude. C'est le bouton qu'elle pointe espèce d'imbécile !
- Non mais tu vas te calmer, reprit-il en appuyant sur le bouton sans même y jeter un coup d'œil. Et puis c'est vrai que contrairement à d'autre, je suis plutôt pudique, je me balade pas complètement à poil dans la maison de mon mec !
- La maison était censée être vide ! rétorqua la blonde en s'approchant dangereusement du jumeau.


Je sentais que le sommeil me gagnait peu à peu, et je distinguai de moins en moins leurs gestes et leurs paroles.

- Bah oui mais bien sûr, t'avais pourtant pas l'air gêné quand je t'ai découverte ! C'est à peine si t'as réagi !
- Je suis pas prude non plus, grommela Véra.


Je les entendais qui continuaient à se disputer pendant un certain temps, mais le son de leur voix se faisait de plus en plus lointain.

***

Je fus réveillée par une douleur fulgurante. J'avais mal partout, et en particulier à la tête. Ma poitrine avait bien du mal à se soulever normalement. J'ouvris grand les yeux. Je n'arrivais plus à respirer et je portai alors instinctivement ma main vers cet horrible tube me traversant la gorge. Je devais l'enlever. Je devais respirer. Je devais crier.
A nouveau, une main stoppa ma trajectoire. Je croisai les yeux bleus inquiets de Matt. J'avais envie de hurler mais j'en étais incapable, j'étais secouée de sanglots. Je gesticulai dans tous les sens, je voulais que tout ça s'arrête. Je n'en pouvais plus de cette peine constante qui m'électrisait tout le corps et qui me réveillait la nuit. Matt commençait à paniquer mais il tendit le bras vers le fameux bouton magique de l'infirmière et appuya dessus plusieurs fois d'affilée.
Le liquide qui se répandit dans mes veines via ma perfusion eut un effet presque immédiat. La douleur s'estompa petit à petit, et calmée, je réussis enfin à reprendre le contrôle de ma respiration. Enfin, partiellement dans la mesure où j'avais toujours ce fichu tube dans la gorge qui me dégoûtait.

- Ca va mieux ? Mél, regarde-moi, ça va ? s'inquiéta mon ami en posant ses mains un peu partout sur mes bras pour me faire réagir.

Je hochai brièvement la tête et je sentais que le produit faisait particulièrement bien effet. J'allais bientôt être totalement shootée.

- Ne t'inquiètes pas, ton père m'a dit qu'ils enlevaient l'intubation demain matin, faut juste pas que t'y touches d'ici là, m'informa-t-il. En parlant de ton paternel, il va être fou de rage de savoir que tu t'es encore réveillée pendant qu'il était absent ! Ceci dit, avec la dose de morphine que tu vas avoir dans le sang, je doute que tu vas être très lucide de toute manière.

Il me lança un regard plein d'affection qui me transperça le cœur. Il passa une main dans mes cheveux et l'autre sur ma joue.

- Bon sang Mél, tu peux pas savoir l'horreur que ça a été, reprit-il bien trop sérieusement pour quelqu'un d'aussi insouciant. J'arrête pas de faire des cauchemars, je revis la scène sauf que cette fois, tu ne te réveilles plus. C'était tellement surréaliste. Dans ma tête, je ne faisais que me répéter : ça ne peut pas être elle. Pas Méli-Mélo. C'est quand même toi qui m'as appris à regarder à gauche puis à droite avant de traverser.

Je levai à mon tour ma main vers son visage et frôlai sa mâchoire de mes doigts. Il m'avait tellement manqué. Rien que d'entendre le son de sa voix, cela me redonnait le courage de supporter tout ça. Je lui fis une petite grimace pour lui faire comprendre que j'étais désolée. Et je l'étais, vraiment. Pour tout. De A à Z. Je me détestais de le faire souffrir comme ça, je ne supportais pas de le voir ainsi. Matt était fait pour vivre de bonheur, de joie et de rire, et je le traînais un peu trop vers le côté sombre ces derniers temps.

- Mél... souffla-t-il contre ma main. Me fais pas cette tête, c'est moi qui suis désolé. Bordel, s'il t'était arrivé malheur, je ne me le serais jamais pardonné... Jamais. Quand je fais le bilan, je me rends compte que c'était tellement con cette histoire. J'ai failli te perdre et il est hors de question que ça recommence, tu m'entends ?

Je pleurai à nouveau. Je l'aimais si fort que ne pas pouvoir le serrer dans mes bras me faisait mal à la poitrine. J'avais besoin de le sentir contre moi.
Il sembla ressentir le même désir, parce qu'il se pencha et posa son front contre le mien. Nous nous touchions le visage de nos mains comme si nous avions été séparés bien trop longtemps.

- C'est fini tout ça ma belle, je te le promets, me souffla-t-il en fermant les yeux. Toute cette histoire aura eu du bon, je me suis rendu compte que je m'en foutais qu'on soit pas en couple. Totalement. Je veux juste qu'on soit ensemble. Et puis de toute façon, ta tenue d'hôpital accouplée avec le tube dans ta gorge, je peux te dire que ça a coupé net toute l'attirance que j'avais pour toi.

Je lâchai un petit gloussement. J'aurais voulu lui dire tellement de choses, mais j'en étais incapable. Quand il ouvrit à nouveau ses beaux yeux foncés, je plongeai mon regard dans le sien en tentant de lui faire comprendre tout ce que je ressentais, à quel point je l'aimais. Nous restâmes ainsi silencieusement pendant un certain temps, à nous contempler sans un mot. De toute manière, nous n'en avions pas vraiment besoin.
Il finit par s'écarter en riant, il avait retrouvé sa bonne humeur alors je ne pus retenir moi aussi un sourire.

- J'suis encore tombée sur l'infirmièrezilla ! intervint soudainement une voix. Elle m'emmerde avec ses leçons de moral : ne touche pas aux boutons par-ci, ne fume pas par-là ! Bordel, c'est pas dans le cul des patients qu'ils devraient les foutre leurs piqûres !

Je tournai la tête rapidement pour observer le nouveau venu. Ses rangers couinaient sur le sol de l'hôpital et il avait porté une main lasse dans ses cheveux. Il était beau, comme d'habitude. Il se stoppa soudainement en prenant conscience du fait que j'étais réveillée. Je sentis alors son visage se tordre en subissant plusieurs émotions contradictoires. D'abord, je crus voir un soulagement, puis du bonheur, de la frustration, et puis pour terminer, sa fameuse colère qui lui collait à la peau. Ses sourcils se froncèrent et il se mordit la lèvre inférieure.
Qu'est-ce que j'ai bien pu faire encore ?

- Bon, je vous laisse ! s'esquiva rapidement Matt en récupérant son manteau pour quitter la pièce. Je vais me choper un Kinder Bueno au distributeur.

Il y eut un silence plutôt long après son départ et j'eus peur pendant un instant de m'endormir avant même que nous n'ayons pu discuter. J'avais l'impression d'être de plus en plus dans les vapes et de voir les formes avec moins de netteté.
Castiel finit par s'approcher de moi en grandes enjambées.

- Toi ! finit-il par dire une fois à ma portée en me pointant du doigt. T'es complètement con oui ou merde ? On t'a jamais appris à différencier le petit bonhomme rouge du petit bonhomme vert ?

Je levai les yeux au ciel. Sa réaction était tellement prévisible finalement, comme d'habitude, il faisait passer la colère avant toute autre émotion rationnelle.

- Et ne t'avises même pas de rouler des yeux comme ça ! continua-t-il. T'as failli crever putain !

Je levai alors une main vers lui. Il fallait que je le touche. La seule chose que je réussis à atteindre dans mon état fut son sweat gris foncé sur lequel était écrit en lettre blanche « grande gueule pour vous servir ». Un cadeau d'Alexy. Il contempla longuement ma main posée sur son torse et souffla bruyamment comme pour se contenir.
Il baissa finalement son visage vers le mien. Je croisai son regard et je pus lire tellement de choses dans ses yeux gris acier qu'il était incapable de me dire à voix haute que j'en eus les larmes aux yeux.

- Tu m'emmerdes, grommela-t-il.

Il se pencha vers moi et m'embrassa doucement. Je savais qu'il faisait attention, et je riais intérieurement face à cette version assagie de Castiel. Enfin, ce fut le cas jusqu'à ce qu'il ne vienne me mordre la lèvre inférieure, signant le retour du sale gosse. J'étais trop faible pour réagir mais je devais avoir une tête d'imbécile heureuse. Sans aucun doute.

- Merde, ils t'ont drogué ou quoi ? s'exclama-t-il en me contemplant. Rassure-moi, tu vois pas des licornes dans la chambre là ?

Je haussai les épaules faiblement alors qu'il s'accroupissait pour être à ma hauteur. Il avait posé sa main gauche sur le bord du lit. Sans trop savoir pourquoi, je m'en saisis et entrecroisai mes doigts avec les siens. Au début, il se contenta de regarder nos mains sans rien dire, puis je sentis au bout d'un certain temps qu'il finit par serrer lui aussi ses doigts contre les miens. J'espérais ne pas avoir trop ébranlée la barrière « anti-contact humain en dehors du sexe » de Castiel. De toute façon, je pouvais mettre ça sur le compte de la morphine.

- Si tu me refais un coup pareil, je te kidnappe et t'enferme dans un coffre jusqu'à la fin de tes jours.

Malgré la touche humoristique dans sa phrase, je sentais qu'il était très sérieux.
La morphine commençait sérieusement à faire son bout de chemin dans ma tête parce que la première chose que j'avais envie de lui répondre était que j'acceptais son offre de finir dans un coffre avec lui. Bonjour le féminisme. Rha et puis merde, je l'aime celui-là de toute façon. Carrément. D'ailleurs, j'avais l'impression que le monde était plutôt génial en fin de compte, non ? Je me mis à geindre comme un enfant et à montrer du doigt mon ardoise avec insistance. Il fallait que je lui dise que je l'aimais. Il avait besoin d'entendre ce genre de trucs, non ? Et j'avais aussi envie de le dire à Matt, à Lysandre, à Iris, à Lex, Nora, Véra, Rosy,... Et puis merde, ils sont trop nombreux pour que je balance tous leurs noms. Je me contenterai de Castiel pour aujourd'hui.

- J'suis pas sûr du tout que ce soit une bonne idée, vu ta tronche tu risques de m'écrire une connerie, affirma-t-il en me tendant néanmoins ce que je réclamais. Matt a appuyé combien de fois sur le bouton au juste ?

J'avais voulu montrer cinq avec mes doigts mais je ne réussis qu'à lui en montrer trois. Je regardai ma main avec perplexité, comme si elle venait de me trahir.
Je pris ensuite mon temps pour écrire avec une grande difficulté sur l'ardoise. Je ne pus m'empêcher de rédiger un gros « t'es con » avec le feutre en me marrant intérieurement comme si j'avais trois ans. Foutue morphine.

- Je sais, t'as d'autres infos croustillantes à me filer comme ça ou tu comptes enfin t'endormir et me foutre la paix ?

Je lui lançai un sourire en coin avant d'effacer rapidement mes insultes. Il ne me restait plus beaucoup de force alors je me contentai de lui écrire un « J'TM toi » en continuant à minauder comme une imbécile.
Il lâcha un ricanement en découvrant mon message.

- C'est la déclaration la plus romantique qu'on m'ait jamais faite, tu vas me faire chialer là, se moqua-t-il.

Je songeai un instant à lui flanquer mon majeur sous le nez mais je m'en savais incapable, j'avais déjà du mal à contrôler mes pensées.
Je tendis alors mollement mes lèvres pour lui quémander un bisou en sachant pourtant que je me haïrais plus tard pour avoir agi de la sorte. Mais bon sang, à cet instant, le monde me semblait trop beau, et j'avais envie de l'embrasser. Il se moqua de ma pauvre personne comme l'abruti qu'il était mais finit par céder. Je le laissai m'embrasser avec fougue, désespoir, comme si tout ça avait pu lui manquer. De toute façon, il pouvait y aller, je ne sentais déjà plus rien du tout. A part cette impression de planer à cinquante kilomètres au-dessus de la Terre, et ce désir dans le bas de mon ventre.
Et le comble de tout cela, qui finit par achever le romantisme de la situation, fut que je m'endormis alors qu'il était encore en train de m'embrasser. J'aurais voulu tenir plus longtemps, mais étrangement je ressentis un sentiment de sécurité qui m'aida fortement à retomber dans ma torpeur.
Peut-être que j'étais encore en train de rêver, mais j'eus l'impression qu'il me caressait la joue.   

Et Dieu créa Mélodie... entre deux pauses pipiWhere stories live. Discover now