Chapitre 16 : Et Satan, il en mange du gigot ?

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  J'hésitais encore à toquer à cette porte. Pourquoi hésitais-je ? J'avais pour une fois la réponse : parce qu'il s'agissait de Castiel. Ce type totalement imprévisible, avec un caractère plus que difficile, un lourd passé qui le poussait parfois à agir avec impulsivité. Voilà pourquoi j'étais inquiète.
Mais après tout, qu'est-ce que je risquais ?
Je tapai doucement la porte de son appartement avant de changer à nouveau d'avis. J'entendis des aboiements, des pas, juste avant que la porte ne s'ouvre assez brutalement. Castiel était au téléphone, il me regarda de haut en bas en fronçant les sourcils, et me fit signe d'entrer avant de refermer la porte derrière moi sans ajouter un mot.

- Ouais, je sais, marmonna-t-il à l'encontre de son interlocuteur. Tu me rendrais une faveur là mec. J'ai vraiment besoin de tunes, et tu sais que tu trouveras pas un meilleur guitariste en si peu de temps.

J'écoutais d'une oreille distraite sa discussion alors que Démon, son gigantesque beauceron, me souhaitait la bienvenue en me reniflant. Je tendis une main hésitante pour lui caresser la tête. A mon grand étonnement, il se laissa faire et sembla même apprécier. Je me laissai tomber par terre alors qu'il se collait à moi afin d'obtenir plus de caresses. Je ne saurais dire lequel de nous était le plus ravi d'obtenir un peu d'attention.

- Ouais, faut que j'te laisse, reprit Castiel en me regardant. Merci gros, je te revaudrai ça en tout cas.

Il raccrocha et coinça son téléphone dans la poche arrière de son jean avant de croiser les bras. Je restai mystérieusement silencieuse, ne sachant pas vraiment comment entamer la conversation. Mon idée de venir le voir me sembla soudainement stupide.

- Tu es venue ici juste pour faire passer mon chien de garde pour une peluche ou bien tu aurais quelque chose à me demander ? finit-il par dire avec un regard curieux que je ne loupai pas.
- Je... J'ai un frère, marmonnai-je en faisant un sourire qui me parut plutôt faux.


Il plissa les yeux, comme s'il tentait de déchiffrer un sens caché à mes paroles. Il souffla bruyamment. Et alors que je m'attendais à ce qu'il sorte une phrase débile du style « dois-je te féliciter ? » « j'aurais dû acheter des ballons bleu pour l'occasion », il lâcha un petit « merde » qui me fit comprendre qu'il saisissait ce qui se passait à l'intérieur de moi en ce moment.
Il vint se laisser tomber dans le sofa de son petit appartement. Je n'avais pas vraiment pris le temps de le contempler mais il se trouvait être particulièrement vide. Pas de télévision, de décoration, juste des murs blancs, et le minimum vital : une cuisine équipée, un canapé, une lampe de sol et le panier de Démon.

- Tu veux un verre ? me proposa-t-il en montrant de la tête une bouteille d'alcool qui traînait sur la table basse.
- Non ! m'exclamai-je en levant les yeux au ciel. C'est ta manière d'encaisser les choses, pas la mienne.
- Dans ce cas-là Mél, pourquoi venir jusqu'à chez moi ? Tu sais très bien que je ne suis pas du genre à faire des... câlins ou des... chocolats chauds, assura-t-il en prononçant même avec difficulté ces derniers mots.
- Je n'ai pas envie de câlin et de chocolat chaud... marmonnai-je en me prenant la tête entre les mains. Ma mère a décidé de faire un petit aller-retour en France pour s'immiscer dans ma vie, ce que je veux, c'est me défouler.
- C'est quoi son numéro ? me lança-t-il en sortant à nouveau son téléphone en affichant son sourire d'emmerdeur. Je viens d'obtenir un job à temps partiel, j'te paye un coup de fil jusqu'en Inde. T'as les couilles ?


Il me tendit le téléphone avec un air de défi dans les yeux. Je le regardai d'abord avec méfiance, en étais-je réellement capable ? Castiel ne bougea pas pendant plusieurs secondes, attendant sûrement que je fasse un choix. Poussée par je ne sais quel miracle, je me saisis du téléphone et y composai le numéro de ma mère, que j'avais précautionneusement appris par cœur quelques années auparavant, afin d'être sûre de ne jamais être prise au dépourvu quand elle appelait.
Je posai le mobile sur mon oreille, sentant mes mains devenir moites et mon teint blêmir à chaque nouveau bip. Alors que j'eus le soulagement de croire à la troisième sonnerie qu'elle n'allait pas décrocher, j'entendis une voix douce et féminine prendre la parole. Celle qui me renvoyait à tant de souvenirs déplaisants.

- Allô ?

Je n'osai pas répondre, c'était comme si ma voix était restée coincée au fond de ma gorge. Castiel parut saisir la situation puisqu'il me fila un coup de pied au niveau de l'épaule pour me sortir de ma torpeur. J'étais tellement paralysée que je fus incapable de savoir si cet abruti m'avait fait mal.

- Oui ? Euh... C'est moi, marmonnai-je en me frottant le front de la main.
- Je... Je suis désolée, mais pourriez-vous être plus précise ?
- Mélodie, lui appris-je en sentant ma colère remonter à la vitesse de l'éclair qu'elle ne soit pas fichue de reconnaître le grain de voix de sa propre fille.
- Oh ! Qu'y a-t-il ma chérie ? J'ai Timéo dans les bras, je suis tellement heureuse, j'ai tellement hâte que tu le rencontres. Et son père, Peter, va sûrement être du voyage. Comme ça, tu pourras le rencontrer...


Elle recommençait, elle continuait à me raconter le cheminement de sa vie, sans avoir pourtant aucune idée de à quoi pouvait ressembler la mienne.

- Je sais que le voyage va être dur pour ton frère, mais je pense que ça en vaut la peine. Tu vas l'adorer ! Il est merveilleux et...
- Stop ! Stop, stop ! la coupai-je en me levant soudainement. Maman, qu'est-ce que j'ai fait pour que tu me détestes comme ça ?


J'avais eu tellement de mal à la qualifier de « maman » que ma voix était légèrement montée dans les aigus. Elle ne le méritait pas. Elle ne le méritait vraiment pas.

- Voyons, je ne te déteste pas !
- Si, si. Tu me détestes maman, insistai-je. Sinon je ne vois pas pourquoi tu serais partie à l'autre bout de la planète sans jamais revenir. Sans jamais te préoccuper de moi. C'est impardonnable, et tu agis comme si c'était normal, tout le temps ! Mais ce n'est pas normal d'abandonner sa fille. J'avais huit ans, maman, huit ans ! Tu faisais quoi au juste quand je me suis cassée la jambe, quand j'ai reçu mon premier bulletin de note, quand papa m'a appris mes tables de multiplication, quand j'ai eu ma première peine de cœur ? A chaque nouvelle déception, j'avais l'impression que tu me poignardais dans le dos. Et à un moment, j'ai compris que tu ne serais jamais là. Tu m'appelles, tu m'envoies de l'argent à Noël, seulement j'aurais voulu que tu sois vraiment là, et je ne te parle pas que d'une présence physique. Mais maintenant j'ai dix-sept ans, et je crois que j'ai passé l'âge de me taire par peur de te perdre définitivement.


Contre toute attente, j'entendis des sanglots étouffés de l'autre côté du fil. Ma mère pleurait.
De mon côté, je me sentais vidée. C'était comme si je n'avais maintenant plus rien à lui dire, que nous en avions fini. Et pourtant, je savais que ce n'était pas le cas.

- Mélodie... souffla-t-elle en reniflant. Je... Je t'aime, tu le sais ?
- Le savoir, ça ne m'avance à rien, affirmai-je en tremblant. Quand je vais mal, que je souffre, ou bien que je ris, ou que je pleure, ça ne me suffit plus de savoir que tu m'aimes. J'aurais voulu que tu le montres.
- Je suis tellement désolée. Tellement... Je vais tout t'expliquer quand on se verra, je vais faire des efforts, et...
- Non. Je... Je n'en ai plus du tout envie. Je ne pense pas que ta venue en France soit une bonne idée. J'aurais adoré rencontrer mon frère mais le fait de savoir que tu vas ensuite retourner en Inde et que je ne le reverrai sûrement jamais, ça me fait finalement encore plus souffrir. Ne viens pas. Invente une de ces excuses dont tu as le secret pour papa.
- Mais Mélodie... Pourquoi ne pas m'en avoir parlé avant ? Je... Je serais venue plus souvent, j'aurais été plus présente si j'avais su que ça te blessait à ce point.
- J'ai essayé. Tu t'en serais rendu compte si tu n'avais pas été occupée à me débiter toute ta parfaite petite vie comme une réplique de théâtre. Au revoir maman, la saluai-je avant de raccrocher.


Je restai quelque temps impassible à regarder avec stupeur le téléphone. C'était comme si je venais de rêver, que je n'avais pas passé ce coup de téléphone, que rien n'était arrivé. Je redonnai brièvement le mobile à Castiel, comme s'il risquait de me brûler les mains. J'étais toute tremblante, à la fois grisée par ce que je venais de finalement réussir à faire, et totalement paniquée de l'avoir fait.
Je me laissai tomber sur le sol, reprenant ma position initiale. Je tentai de prendre conscience de la situation : je venais d'envoyer paître ma mère. Et j'avais l'impression que je me sentais bien, je ne ressentais aucune colère, aucune tristesse, j'étais... soulagée.
Je me mis à rire nerveusement. Je tournai mon regard vers lui, et je me souvins soudainement d'un détail. Après ce que je venais de faire, je pouvais sérieusement affronter Castiel.

- Tu viens dîner à la maison ce soir ? C'est mon père qui t'invite, lui balançai-je de but en blanc.

Il s'étouffa avec la fumée de la cigarette qu'il venait de s'allumer. Il me regarda avec de gros yeux ronds, comme si j'avais définitivement perdu la boule.

- Et on va prendre le thé et des biscuits dans l'après-midi, c'est ça ?

J'avais heureusement anticipé cette réaction.

- J'ai conclu un marché avec mon père. Si tu fais bonne impression ce soir, il ne m'interdira pas de te voir. Et je peux t'assurer que c'est un enfer pour moi depuis qu'il croit qu'on est en couple, il me surveille constamment. S'il te plaît, fais un effort, ça m'enlèverait une épine du pied Cast.
- Tu sais ce qui t'enlèverais une épine du pied ? De lui dire d'arrêter de te fliquer, que t'es une grande fille et que tu sais très bien ce que tu fais, marmonna-t-il en prenant appui sur l'accoudoir du sofa pour approcher son visage du mien.
- Ça marche pas comme ça avec lui, lui assurai-je en fronçant les sourcils. Et j'ai pas envie d'avoir à lui désobéir. S'il te plaît, c'est vraiment pas la mer à boire ce que je te demande, juste d'être poli pendant une seule petite soirée. Après tu pourras de nouveau détester tout le monde et insulter qui bon te semble !


Il grogna en se laissant retomber dans le canapé. Je savais pertinemment que ça allait être difficile pour lui, que cela ne lui ressemblait pas.

- Mél, je ne lui plairai jamais et tu le sais très bien. Regarde-moi bordel ! Je m'habille comme un putain de « voyou » selon les types de son genre, j'ai un chien de garde, des cheveux rouges, il ne manque plus que le piercing dans le cul pour que je sois le type qu'il détesterait le plus au monde. C'est un piège ce dîner, il est pas con, il s'attend à ce que je joue un rôle. Sauf que je ne jouerai pas le toutou à sa mémère pour lui plaire. Je n'irai pas à ce dîner, ça vaut mieux pour tout le monde.
- Je te le demande comme une faveur.
- Et moi je te dis que je ne viendrai pas, conclut-il en expirant de la fumée par le nez. Je t'ai dit non, point barre.


Bon sang, la moutarde était gentiment en train de me monter au nez.

- Ecoute-moi bien espèce d'abruti borné ! Je m'en fiche totalement que tu viennes complètement à poil à ce dîner, et encore plus que tu manges avec les doigts ! Lysandre a fait la bonne chose à faire en t'hébergeant chez nous, je le sais et c'est pour ça que je n'ai rien dit, et que je me suis même faite passée pour la coupable. Et là, c'est à toi de faire un truc bien. J'ai besoin de toi, j'ai juste besoin que tu viennes et que tu te retiennes de l'insulter. Je te demande une seule soirée, et après on pourra annoncer officiellement notre rupture. Il doit au moins croire que tu n'es pas un dangereux psychopathe. Une soirée, c'est possible ça bon sang ?!

Il me regardait avec un sourire amusé, comme si je venais de sortir une bonne blague. J'eus envie de lui en coller une, mais je me retins pour la simple et bonne raison que j'avais assez frappée de garçons pour toute une vie. Il ne faisait toujours rien et continuait de me regarder avec cet air qui me mettait les nerfs en pelote.

- Le dîner est à vingt heures, l'informai-je durement avant de tourner les talons et de quitter son appartement sous les aboiements de Démon.

***

- Je te hais, tu me revaudras ça Miss-Parfaite, me chuchota Castiel à l'oreille alors qu'il me saluait.

Je jubilais. Il était venu finalement. J'avais paniqué pendant toute la fin d'après-midi à l'idée qu'il ne me fasse faux bond et qu'il me faille expliquer à mon père la situation. Ce dernier avait pris mon attitude nerveuse pour un aveu du manque de confiance que j'avais en Castiel. Ce qui n'était pas entièrement faux, je doutais très sincèrement qu'il réussisse à séduire mon père. J'en avais eu la confirmation rien qu'au regard qu'il avait jeté à mon soi-disant « copain » lorsqu'il avait passé le pas de la porte habillé de sa veste en cuir et d'un T-shirt où était écrit un gros « Fuck Autority, From Anarchy ».
J'étais sérieusement en train de penser que la soirée allait être un total désastre. Mon père lui avait proposé de prendre un verre avant de passer à table, j'avais tenté de lui faire comprendre qu'il fallait qu'il refuse, que c'était un piège, mais Castiel n'en avait fait qu'à sa tête. Bon sang, quel sale gosse.
Je dois avouer qu'il y avait tout de même un côté humoristique à toute cette histoire, rien que la tête du rouquin lorsqu'il s'était rendu compte que mon père, loin de lui ramener un verre de scotch ou une bière, lui avait rempli un verre de vin rouge.
La situation était tellement surréaliste. Mon père qui mangeait avec Castiel, tout ça parce qu'il croyait que nous entretenions une relation amoureuse. J'aurais voulu prendre toute la soirée en vidéo pour être certaine de conserver en mémoire ce moment de la vie de Castiel, si seulement je n'avais pas été autant hors de mon élément que lui.

- Miranda n'a pas pu se joindre à nous ce soir, elle a été invitée à un vernissage. Elle nous a cependant préparé un délicieux gigot, j'espère que cela vous va ? J'espère aussi que vous n'avez pas des allergies, j'ai totalement oublié de poser la question à Mélodie.

A quel jeu jouait mon père ? Pourquoi prenait-il cet accent aristocrate pompeux ? Si c'était dans le but d'énerver Castiel, ça paraissait vraiment bien parti.

- J'ai jamais mangé de gigot, lui répondit sèchement mon ami. On découvrira rapidement si j'suis allergique si vous me voyez gonfler comme un ballon et cracher mes poumons dans l'assiette.
- Quelle charmante perspective, merci jeune homme. Bon, je pense qu'il vaudrait mieux que nous passions à table.


Quelle situation gênante. J'avais envie de me liquéfier sur place face à la tension latente dans la pièce. Nous nous installâmes en silence à table, mon père en bout de table et Castiel et moi de chaque côté. Ce dernier attrapa entre deux doigts une des serviettes couleur crème que mon père avait disposées à côté des assiettes. Je compris immédiatement à sa tête qu'il préférait encore ne rien manger plutôt que de se servir de cet objet qu'il semblait assimiler à de la torture.
Le gigot était placé au centre de la table, une fumée s'échappait du plat et une bonne odeur s'en dégageait. Miranda avait dû passer un temps fou pour un tel résultat. Mon père travaillant le samedi, il n'avait pas dû avoir le temps de s'en occuper. Il me fallait penser à la remercier.

- Donc, Castiel... Dans quel domaine comptez-vous vous orienter après le lycée ? Vous avez déjà des écoles en vue, une faculté ?

C'était encore une question piège. Je sentais dans le ton de sa voix qu'il ne s'attendait pas à une réponse sérieuse. Apparemment, Castiel le comprit puisque sa mâchoire se contracta presque instantanément.

- Les études, c'est pas pour moi, avoua Castiel d'un ton nonchalant. Je compte vivre de la musique. Jouer de la guitare, peut-être donner des cours, et si possible produire de la musique. C'est pas conventionnel, mais je m'en fous. J'ai qu'une vie et je ne vais pas m'enfermer à la fac pour des études dont je me ficherais total.

Je ne pus m'empêcher de penser qu'il avait fait des efforts de vocabulaire, c'était déjà ça. Mon père avait matière à tiquer, mais pas à tomber de sa chaise.

- Et que se passe-t-il si ça ne fonctionne pas pour vous ? Si vous ne trouvez pas de travail, si vous échouez à produire de la musique ?
- Papa ! m'exclamai-je en lui faisant les gros yeux.
- Bah sûrement la même chose que si vous vous faites virer. J'aviserai, répondit-il du tac au tac en prenant une gorgée d'eau.
- Je pense avoir moins de chance d'avoir des problèmes avec mes supérieurs que vous ne pourrez en avoir, à en juger par votre haut.
- Y'a plus qu'à prier pour qu'ils n'en jugent qu'à mon talent, rétorqua Castiel avec un sourire suffisant.
- Si talent il y a, fit remarquer mon père en coupant un morceau de viande dans son assiette.
- Vous n'aurez sûrement pas la chance de le savoir, étant donné que je joue du rock. Vous voyez, ces gars tatoués qui tapent leur guitare sauvagement contre le sol ? le relança Castiel en mimant un cassage de guitare en règle sous le regard ahuri de mon père. Bah ça, c'est mon trip.
- Mélodie, c'est aussi ton « trip » de faire le zouave sur une scène ?
- Hum. Disons que... Eh bien, il faut avouer que ça a un certain style, bredouillai-je sans trop savoir quel parti prendre dans cette discussion à laquelle j'aurais définitivement préféré ne pas être impliquée.
- Et donc, vous aimeriez aussi vous faire tatouer ? le questionna mon père.
- Je le suis déjà, affirma Castiel en regardant le gigot avec une tête de trois pieds de long. Et j'ai encore quelques idées pour continuer à me faire trouer la peau. J'suis peut-être un peu sado-maso, va savoir.
- Sérieux ? intervins-je avec surprise en ignorant sa dernière remarque (bien entendu qu'il était sado-maso, après tout, il avait bien accepté ce dîner, non ?).
- Tu ne le savais pas Mélodie ? s'étonna mon père.


Oups. La gaffe.

- Si, si. Bien sûr que si ! Superbe tatouage d'ailleurs, grommelai-je en me recroquevillant sur ma chaise.
- Et que vous êtes-vous fait tatouer ? Si ce n'est pas trop indiscret, insista mon père qui était heureusement trop intéressé par Castiel pour faire attention à ses alarmes « Mélodie-mensonge » qui devaient très certainement s'allumer dans son cerveau.
- Pour le savoir, il vous faudrait me désaper pas mal et je risquerai de pas trop apprécier. J'suis plus branché filles malheureusement...


Il me lança un sourire moqueur alors que je recrachai mon verre d'eau dans ma serviette. Le poing de mon père se serra autour de la sienne. Je fichai un coup de pied sous la table dans le genou de Castiel, il tressaillit à peine et conserva son sourire en coin provocateur.

- Bon, puisqu'on en est là. Depuis combien de temps êtes-vous ensemble au juste ?
- Je... Je ne sais plus tout à fait, grommelai-je en rougissant.
- Et voilà, ça, c'est bien les femmes ! Pas foutues de se rappeler des choses réellement essentielles ! Parce que moi, je m'en rappelle comme si c'était hier. Un vendredi, il pleuvait : le plan romantique à l'eau de rose, bref, tout ce que j'aime sur cette terre. C'était le 24octobre, à 18h15 précisément : j'ai entouré la date dans le petit calendrier au-dessus de mes toilettes. Pour pouvoir m'en rappeler tous les jours...


Il me lança un regard faussement amoureux alors que je mourrai d'envie de m'enterrer sous terre. Qui m'avait filé un abruti pareil ? Je n'en revenais toujours pas de sa capacité à débiter un tel nombre de conneries.

- Intéressant. Vraiment intéressant. Ce qui fait donc bientôt deux mois.
- Ouais c'est ça. J'y crois toujours pas comme ça passe vite, hein mammour ? ironisa Castiel alors que je le dardai de mon regard noir.
- Mélodie, tu as déjà rencontré les parents de Castiel ?


Aïe. Alerte sujet sensible.
Et pourtant, Castiel ne sembla pas perturbé le moins du monde et continuait d'arborer sa mine faussement réjouie.

- Malheureusement, mes parents ont des emplois du temps carrément merdiques. Mon père est mort et ma mère est en asile, faut avouer que c'était un peu compliqué pour trouver une date à noter dans le petit agenda rose de Mélodie.
- Oh. Navré de l'apprendre jeune homme, s'empourpra mon père qui semblait gêné pour la première fois depuis le début du dîner. Donc alors... euh... vous vivez seul ?
- Non, j'ai un chien. Il bouffe mes chaussettes, tout ce qui traîne par terre, me défonce le canap', et prend la place d'un obèse, mais au final, j'suis pas le plus à plaindre.


Je me demandai s'il était réellement possible que cette soirée ne se déroule d'une pire façon lorsque je sentis un contact sur ma jambe. Je rêve ou ce triple idiot me fait du pied ? Ou essayait-il volontairement de trouer mon collant ? Pour une fois que j'avais fait l'effort d'enfiler une jupe, il n'avait pas intérêt ! Ca coûte une blinde à la longue ces collants ! Je lui fichai à mon tour mon pied dans la jambe, mais d'une manière certes beaucoup moins sensuelle.
Ce coup de pied dans le tibia eut l'effet escompté, il se stoppa instantanément, sans pour autant interrompre sa joute verbale avec mon père. Je l'aperçus néanmoins se gratter la tête avec son majeur, sûrement un petit message sympathique à mon égard.
Ce dîner ne me m'était définitivement pas en joie.

***

La dinde avait été presque à moitié consommée, le vin à moitié vidé, la conversation à demi entamée, et moi je me trouvais tout autant... mitigée. Mon père s'était contenté de faire son interrogatoire, de lancer quelques piques peu discrètes, mais n'avait pas été trop désagréable. Castiel s'était montré lui-même sans vraiment l'être, ne sachant pas réellement comment se comporter dans l'environnement auquel il avait été confronté.
J'étais personnellement restée particulièrement silencieuse devant la scène, devant ces deux hommes que tout opposait et que rien, absolument rien, ne rapprochait. Enfin, si ce n'est ma petite personne, même si encore une fois : tout est relatif.
Je décidai de raccompagner Castiel jusqu'à sa moto, garée sur le trottoir, plus pour retarder la discussion avec mon père que pour me montrer polie. De toute façon, Castiel n'en avait clairement rien à cirer de la politesse. La preuve, pendant le repas, il avait aperçu par la fenêtre un chauffeur s'approcher trop près de sa bécane chérie et l'avait carrément insulté à distance sous le regard désemparé de mon paternel. Enfin, tout ça pour dire que l'issue de ce repas me paraissait incertaine.

- Bordel, j'avais l'impression d'avoir deux mitraillettes visées juste sur la tempe, s'exclama Castiel en enfilant son casque fétiche, celui avec le dessin d'un crâne à la peinture blanche réalisé par Violette. Putain, il déconne pas Dark Vador. Regarde il est encore en train de nous mater là ! J'te jure si un jour je dois me taper un autre dîner avec des beaux-parents, j'les bute avant. J'ai une gueule à bouffer du gigot sans déc' ?
- Bah dis donc, à ce que je vois ça t'as manqué les grossièretés... grommelai-je en retenant un sourire face à son irréductible caractère de cochon.


Il haussa les épaules nonchalamment. Il s'apprêtait à partir lorsque je me rendis compte qu'il manquait quelque chose, que notre au revoir n'avait rien de naturel. Enfin, dans notre situation.
Je lui tirai sur la petite ficelle de protection qui était supposée faire tenir son casque, dans la mesure où elle était accrochée (ce qui n'était bien entendu pas le cas), pour lui faire tourner la tête. Je posai mes deux mains de chaque côté et déposai un baiser très furtif sur ses lèvres.

- Pas sûr que Darkie apprécie, s'exclama-t-il en donnant un coup de tête en direction de la fenêtre.
- Peu importe, un couple qui ne s'embrasse pas pour se dire au revoir, ça n'a rien de crédible. Déjà qu'on ne l'est pas beaucoup ! Je ne tiens pas à ce que mon père découvre la vérité, et de toute façon, je suis empêtrée dans cette histoire jusqu'au cou, je ne suis plus à un petit baiser près. Mais bon, désolée de t'y avoir forcée en tout cas.
- Bah au moins on est quittes, on peut dire qu'on a plus à en parler. Bon, faut vraiment que j'me casse, j'ai vraiment pas envie de me faire contaminer et de me retrouver en costard-cravate, marié, avec deux gosses sous chaque bras. La prochaine fois que tu cherches un faux mec, engage plutôt Nathaniel, j'te parie que ton paternel l'adorerait, lui et son dossier de m'as-tu-vu.
- Ton dossier est aussi très m'as-tu-vu si tu veux mon avis, lui fis-je remarquer en repensant à tous les jolis commentaires des professeurs à son égard.


Avant qu'il ne parte, je ne pus m'empêcher d'attacher le petit cordon de sécurité que j'avais tiré tout à l'heure, avant de le positionner sous son menton. C'était dans ma nature de respecter les règles, d'être prudente. J'avais du mal avec les prises de risques inutiles. Et puis, après tout, un casque n'est pas un accessoire de mode mais de protection.
Néanmoins, je me préparais mentalement à me faire incendier, Castiel avait tout bonnement horreur de ce genre d'intervention. Monsieur j'ai-des-couilles-et-pas-toi considérait que les risques, c'était son choix de les prendre ou non. Mais à mon plus grand étonnement, il fit d'abord ronronner le moteur de son deux-roues avant de faire une remarque très légère sur mon geste instinctif.

- Qu'est-ce que tu peux être chiante Mélodie, on peut même plus risquer de se défoncer la tronche peinard avec toi.

C'est sur cette petite leçon de morale qu'il fila, bien trop soulagé de finir cette soirée qui avait été pire qu'une punition pour lui. Avec le recul, j'avais toujours du mal à croire qu'il avait réussi à tenir tout le repas. Il n'avait pas été exemplaire, certes, mais il avait été étonnement calme et dans une certaine retenue. Je me doutais que cela devait avoir un rapport avec le fait qu'il se sente redevable envers moi pour les avoir couverts, lui et Lysandre.
Il n'empêche que je me sentais un peu privilégiée, très peu de gens avaient accès à ce Castiel. Il était froid, sans-gêne, turbulent, torturé, désagréable, grossier, impulsif et très agaçant, mais il avait aussi ce côté attachant, drôle, et protecteur bien malgré lui. Je ne l'avais jamais réellement apprécié auparavant, rangée à l'opinion que Nathaniel avait de lui, mais une fois son respect et son estime obtenus, je devais avouer que je comprenais l'affection que lui portait Lysandre. Il avait un bon fond : bien caché sous une enfance ratée, une solitude effrayante, une carapace en béton armé, un air froid et une montagne de sarcasme ; tant d'éléments qui faisaient parties de lui et qui aidaient à résoudre l'énigme qu'il représentait pour la plupart des gens.
Je restai le regard perdu sur la route quelques instants. Je m'apprêtais à faire demi-tour pour rejoindre ma maison lorsqu'une ombre à la fenêtre de la maison d'en face attira mon attention.
Je poussai une petite exclamation de stupeur. Je ne pouvais que reconnaître cette tignasse brune désordonnée au premier regard. Mon Dieu. Matt. Depuis quand était-il scotché à cette fenêtre ? Que croyait-il avoir vu au juste ?  

Et Dieu créa Mélodie... entre deux pauses pipiUnde poveștirile trăiesc. Descoperă acum