Treinta y cuatro

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"Les souvenirs oubliés ne sont pas perdus." Freud.

Au studio, comme à son habitude. Moi, je soignais un patient, un nouveau. Il venait de passer la majorité, il s'était coupé la main avec des bouts de verre, bien sur son geste était involontaire. Il m'avait dit qu'il n'avait plus contact avec ses parents, et sa copine, la seule personne de sa vie venait de le plaquer pour quelqu'un d'autre. Il était à la rue, il n'avait plus personne.

Mais mon travail ne m'autorise pas à le conseiller, il devra voir un psychologue. Mais j'ai quand même insisté sur le fait qu'il ne devait pas s'en faire, que la vie est faite ainsi et que j'avais moi même eu des soucis. Il ne fallait pas avoir peur, aie confiance en Dieu, et tout ira bien. 

Puis, la nuit n'avait pas tardé à tomber. J'étais couchée sur le canapé, dans ma couette de lit. Nabil n'allait pas venir ce soir. Il m'avait envoyé un message pour me prévenir qu'il rentrait tard, et si il jugeait l'heure beaucoup trop tardive, il ne viendrait pas pour ne pas me déranger. Alors je me suis endormie, toute seule. Nelma était partie dans l'après-midi.

Mon âme inconsciente fût nostalgique. Nos peurs, nos angoisses, ce qui occupe nos pensées, c'est ce qui vagabonde dans notre inconscient sans cesse. Cette nuit là, un rêve, ou plutôt devrais-je dire un cauchemar troubla mon sommeil. Il était là, sa posture imposante, ses cheveux mi-longs, ses rides, sa barbe de quelques jours et son regard noir, c'était lui. Il me voulait, il voulait sa fille, celle qu'il a vu grandir sans avoir joué son rôle. C'était celui que je devais appeler Papa. 

Je sursaute, c'est comme si mon organe vitale avait raté un battement, mon estomac s'était noué. La peur s'empara de mon organisme, elle me bouffait le ventre. Foutu cauchemar.

Je repensais à lui, souvent. Surtout après mes visites au cimetière. Il m'arrive des fois de bloquer le regard sur des hommes au supermarché, en revoyant son visage sur ceux-ci. Cet homme était le synonyme d'un inconnu pour moi. Mon père était un étranger.

J'observe autour de moi, mon appartement est sombre. J'avais peur. Je respire difficilement, appelle Nabil, mais il ne répond pas. Putain, et puis merde, je devrais me rendormir. Mais impossible, je me sentais observée, épiée, surveillée. Pourquoi j'pensais à ça maintenant moi? Putain...

Mon corps tremble légèrement. J'enfile un gilet sombre et sors de mon appartement. Je pose mon fessier sur les marches froides des escaliers, en ravalant mes larmes de panique. Bizarre, je n'avais pas l'habitude d'agir ainsi. Mais ça arrive. Je renifle, tout en retirant mon téléphone de ma poche. 

Il demandait ce qu'il y avait. J'ai répondu que je n'avais plus besoin de son aide. Alors il a appelé, curieux. Je n'ai pas répondu, je n'avais pas trop eu le temps de réaliser qu'il était en train de m'appeler. Puis la porte des escaliers s'ouvre pour laisser passer sa grande silhouette, son visage surpris de me voir assise seule à cette heure-ci.

- Wesh? Y'a quoi? dit-il les sourcils haussés, intrigué.

- Rien, j'ai fais un cauchemar.

Il tend sa main. J'ai mis quelques secondes avant de la prendre et me relever. Il passe un bras autour de ma taille et m'entraine à l'intérieur de mon appartement. Il embrasse rapidement ma tempe, plaque mon minuscule corps sur lui. Il reste quelques instants dans cette position puis me chuchote de retourner me coucher. Avant cela, je veille à fermer la porte à clé après son départ.

Le lendemain, je me maquille légèrement et sors avec Esra. Nabil était encore au studio, même si il tentait d'être présent à mes cotés, c'était notre première semaine à deux à vrai dire. Mais je ne lui en voulais pas, je n'y voyais aucun mal. Nous étions au centre commercial de Evry, assise autour d'une table du Burger King. Esra et moi avions eu un fou rire assez dur à stopper mais on y était parvenu.

Elle fixait un point derrière moi, puis agite sa main en l'air en souriant. Je me retourne pour voir la personne qu'elle saluait. Trois femmes s'avancent vers nous. 

- Ça va Esra? Ça fait longtemps on t'a pas vu! dit une femme d'une cinquantaine d'année.

-Ouais j'avoue! Moi ça va comme d'habitude hein et toi?

- Bah comme tu vois bien AlhamduliLah... C'est? dit-elle en me pointant du doigts.

- Oh, moi c'est Azra, amie de Esra, dis-je en haussant les épaules.

- Oui, elle a déménagé ici y'a pas longtemps.

- Ah j'me disais je l'ai jamais vu!

La vieille femme se force à sourire, c'était gênant. Les deux filles qui devaient elles aussi avoir notre âge souriaient de la même manière. Elles semblaient si fausses. Mon sourire disparaissait petit à petit, même si je m'étais jurée de ne pas juger trop vite.

- Bah tu sais! C'est la femme de Nabil! s'exclama mon amie turque.

- Eh bien, super, que du bonheur.

Je la remercie, souris par politesse et esquive le regard de la vieille femme, qui me rendait plus mal à l'aise qu'autre chose. Je fixait Esra, en priant pour que ces femmes dégagent de mon champs de vision. Esra boucle la conversation avec un faux sourire et une phrase banale d'au revoir puis elles quittent enfin le restaurant.

- C'est qui ces meufs? dis-je les sourcils froncés.

- Des commères, une famille de pute, elles m'ont fait que des problèmes quand j'habitais encore dans ma cité natale, mais ma mère me dit de rester gentille avec elles.

- Elles sont bizarres, t'as vu leurs regards! La femme parle sur un ton moqueur, comme si elle raillait. C'est des stressées de la vie hein, faut qu'elles se calment!

Esra éclate de rire en secouant la tête. Elle avait prévenu son mari que nous allions rentrer aux alentours de six heures du soir. Il fallait qu'on parte au plus tard de suite, Esra avait encore un rendez- vous médical, ses reins lui faisaient affreusement mal. 

J'entre dans mon appartement, un sourire aux lèvres en repensant à la chute d'Esra dans un des magasins. Je pose mon sac et relève ma tête pour attacher ma tignasse. Je ne l'avais pas remarqué, ni lui, ni son regard sérieux qui me dévisageait. 

- T'étais où? dit-il de sa voix rauque.

Je sursaute, c'est vrai qu'il avait le double des clés. Je lâche un petit rire avant de lui répondre.

- J'suis partie faire les magos avec Esra, avouai-je en haussant les épaules.

Mais il ne riait pas, il avait le visage neutre, la mâchoire contractée, le regard sincère.

- Sors plus sans me dire où tu vas Azra. 

- Roh, excuse moi.

- Souffle pas avec moi, t'aurais du me dire que tu sortais.

- Pourquoi tu dis ça?

- T'as pas un truc à me dire par hasard?

- Mmh non, enfin je ne crois pas?

- Si j'apprends qu'il arrive quoi que ce soit que tu m'as pas dis Azra, wAllah j'vais m'énerver.

- Mais qu'est ce que tu dis? D'où tu sors ça merde?

- Tu m'as dis que t'avais rien à me dire? J'éspère que c'est la vérité.

- Tu fais exprès ou quoi? C'est quoi ce que t'es en train de faire là? 

- Hier, ton cauchemar.

- Ouais et? Quoi mon cauchemar? Accouche!

- Calme toi. Halim Özturk ça te dit un truc?

- Quoi? 

Je voyais flou, comment il savait ça? Je n'avais jamais prononcé son prénom depuis des tas d'années, où avait t-il déniché ça?

- C'est ton père ou pas?

Nabil perdait patience. Et je bégayais, une petite fille tétanisée.

- Oui, c'est lui.


⎟INJURY⎟ Nabil⌁PNLWhere stories live. Discover now