Le Sang Défendu

Chapitre 11

— T'es ailleurs ? S'éleva doucettement la voix de son ami.

Tendue comme un arc à ces douloureux souvenirs, elle lui dédia un regard embarassé mais il se concentrait obstinément sur son analyse, palpant son épiderme avec délicatesse. Ses poils érectiles se dressaient au garde à vous par la fraîcheur que ses doigts renvoyaient. La peau des vampires réverbérait d'authentiques icebergs. Froide, blême, lisse, dotée d'un semblant de perfection alarmante.

— Non.

Jé' n'était pas de ceux à qui l'on pouvait faire ingérer n'importe quelle absurdité. Au mépris de sa curiosité à l'égard de la magicienne, dont il ne doutait pas du mal être profond, il respectait ses secrets sans s'adonner à d'inlassables questions. Évidemment, elle s'attendait à ce qu'il s'intéresse de plus près aux sévices de son passé. Ceux qui l'ont de loin forgé de la sorte.

— Combien t'as dit qu'ils étaient ?

— Je l'ai pas dit. Ils étaient cinq.

À cette réponse, le buveur de sang s'immobilisa pour contempler la sorcière avec un effarement non dissimulé, ses prunelles aigue marine à la recherche d'une faille. Ses blessures présageaient sans le moindre doute bien plus qu'une simple agression, elle en convenait. Cela dit, elle ne se sentait guère apte à épiloguer sur cet épisode désastreux.

— Cinq mecs ?! Mais, ils ne t'ont pas...

— Ils m'ont juste frappée, rassure toi, renchérit-elle aussitôt.

Un soupir de soulagement lui caressa la nuque. La bienveillance de Jeremiah lui procurait une certaine quiétude, disparue depuis bon nombre de mois. Elle était fière d'avoir fait sa connaissance et de ne pas être considérée comme il percevait d'ordinaire la gente féminine. En d'autres termes, comme de vulgaires morceaux de viande prêts à se faire fougueusement engloutir par les crocs du diable. Son coeur meurtri méritait d'être pansé de quelques plaies. Nul besoin d'aggraver les bleus qui violentait chaque battement.

— T'as usé de tes dons ?

— Ces dons comme tu dis, ils me servent à rien. Ils ne se manifestent que lorsqu'il ne le faut pas.

— T'es dans tes débuts, relax. Ça va venir.

— J'dois attendre de mourir pour que ça vienne donc ?

— J'ai pas dit ça, grogna-t-il. Mais ça viendra. Ça fait que deux mois que tu es au courant.

Au mépris des apparences, le vampire se révélait être quelqu'un de très protecteur avec son amie. Il la gardait souvent à l'oeil au sein de l'université, jusqu'à même s'insinuer au coeur de querelles entre étudiants lorsqu'elle s'y retrouvait mêlée. Par chance, personne ne lui tenait tête. Il était bien trop imprévisible et froid pour que quiconque ne daigne lui faire face. Et ce type de réaction ne s'avérait pas excessive. Elle même n'osait que moyennement se mesurer à lui lors de ses mauvais jours.

Après avoir analysé les stigmates qui recouvraient son cou, il s'éloigna.

— T'as vu les infos ?

— Pas encore, pourquoi ?

Jerem s'empara de la télécommande perdue sur la table blanche en bois vernis, pour allumer la télévision. Leur attention se focalisèrent alors sur l'écran, tandis que la demoiselle enserrait les rebords derrière elle avec nervosité. Les dites informations concernaient étrangement leur ville. Et comme si ce territoire ne dégorgeait pas suffisamment d'éléments inquiétants, deux meurtres venaient d'être commis cette nuit même, aux extrémités de Misty-Field. Deux assassinats, en tout point, acharnés et sanguinolents au vue des images transmises. Le sang de la demoiselle s'ébouillanta.