Le Sang Défendu

Chapitre 27

En dépit des remords qui l'habitaient, elle se sentait bien plus sereine au cœur de ces rues qu'elle déambulait sans fin. Certaines allées et ce, malgré le sombre passif de cette ville, transmettaient toute la joie des fêtes de Noël via les scintillements sur leurs devantures. Le ciel constellé d'étoiles semblait même se joindre au ballet lumineux comme pour souligner la gaieté tant oubliée de ces lieux. À quelques exceptions près, les récents meurtres n'atteignaient pas l'ambiance festive du territoire.

Les agressions de Misty-Field s'étaient toujours produites à des endroits différents, pour ne pas dire, totalement opposés. Les probabilités qu'une attaque se déroule donc sur ce même lieu restaient minimes mais elle ne ferait pas fi de prudence pour autant. Elle devait toujours rester à l'affût. Toujours et ce, même si la béatitude et l'atmosphère des environs jouaient pleinement en sa faveur.

Ses larges talons frappaient le bitume au rythme d'un pouls endiablé. Par ailleurs, les deux shots engloutis avaient, cinq minutes auparavant, déjà annoncé leurs effets mais elle n'était pas assez saoul pour commettre une quelconque imprudence. Bien heureusement. Elle n'avait guère besoin que cette soirée se termine par un débordement auquel, cette fois, la chance ne lui sourirait pas.

Et puis quand bien même ?

Elle en avait plus qu'assez de toujours devoir compter sur l'assistance des autres. Assez de devoir s'inquiéter constamment pour sa propre survie. Elle devait apprendre à se débrouiller seule. Apprendre à faire de cette peur qui lui tordait les entrailles une force que rien n'atteindrait. Après cela, elle pourrait enfin songer à mener sa longue existence comme bon lui semblerait, sans avoir recours à l'aide de qui que ce soit.

Elle haïssait ce sentiment de dépendance à l'égard des autres. Ce temps là devait être révolu. Jonathan n'aurait plus à garder un œil sur elle. Plus jamais.

Seule, se répéta-t-elle comme pour s'y conformer.

Elle n'avait pas le cœur à regagner son appartement, même si l'appel de la chaleur lui tourmentait l'esprit.

De la solitude. Changer d'air. C'était tout ce qu'elle convoitait pour rattraper les récents aléas. Elle voulait réfléchir, discuter avec elle-même dans l'espoir de s'éclaircir sur bien des points et pourquoi pas, songer au futur. À son futur à elle et aux projets qu'elle aspirerait à mettre en œuvre pour faire de cette vie le rêve qu'elle s'était promise.

À commencer par ce fameux voyage en Inde qui occupait ses songes depuis plus de trois ans, maintenant. Selon un traçage minutieusement réfléchi, elle se chargerait ensuite de trouver un emploi certain. Un métier au cours duquel elle n'y trouverait que source d'épanouissement personnel. Même si à ce jour, peu de personnes goûtaient au luxe de se passionner pour leur profession, elle mettrait tout en œuvre afin de ne pas avoir à traîner les pieds pour se rendre au boulot. Avec un peu de chance, son chemin croiserait, entre-temps, celui d'un homme aimant dont elle s'éprendrait. Puis elle aurait avec ce même homme des enfants. Deux enfants. Un garçon, puis une fille. Mais pas de mariage. Surtout pas de mariage.

En somme, elle n'aspirait qu'à une vie heureuse, simple et pourtant, la crainte de ne pouvoir réaliser un seul de ces vœux ne la quittait pas. Elle sentait depuis la découverte de sa véritable nature que la semi-éternité qui lui était accordée serait bien plus courte qu'elle n'osait l'imaginer. Cette effrayante idée étouffait très voire trop souvent son quotidien.

D'une secousse de tête, elle tenta de balayer ce nuage toxique d'appréhensions. Les bras croisés sous ses coudes, elle ne fixait rien d'autre que ses pieds endoloris par sa précipitation. L'écho de ses talons résonnait dans toutes les rues à proximité mais elle s'en contrefichait.