Chapitre 26

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Ses traits, jusqu'alors ternis par l'esquisse d'un sourire idiot et la fatigue, vinrent saluer une colère qu'elle n'avait pas anticipée. Ses pupilles s'étaient dilatées. Elle en avait oublié qu'avec un pareil taux d'alcoolémie dans le sang, il représentait un danger potentiel. Le moindre élément perturbateur pouvait lui coûter très cher, elle le savait, mais elle ne projetait certainement pas de céder à ses demandes, sous prétexte qu'il pouvait être dangereux. Il en était hors de question.

— Mais moi je suis très bien ici, grogna-t-il.

Elle ne put que soupirer à cette exclamation.

— Alors faites ce que vous voulez, se résigna-t-elle avec agacement. Mais bon sang, fichez moi la paix.

Une nouvelle fois encore, elle lui offrait une chance de se taire et de reprendre le cours de sa soirée en toute tranquillité.  Elle s'apprêta alors à solliciter la barmaid pour une autre commande quand le vieillard en décida autrement. Il intercepta son geste avec rudesse, manquant de faire valser l'un des shots sur le sol.

— C'est quoi ton problème, gamine ? Ça fait trop longtemps que tu n'as pas eu d'homme entre tes cuisses alors tu déverses ta rancune sur le bon p'tit vieillard qui veut te tenir compagnie ? Hein ? On se sent menacée, c'est ça ?

Ahurie par ses propos, la divinatrice écarquilla les yeux. Elle balbutia une suite de mots tous aussi inaudibles les uns que les autres, sans parvenir à former une phrase cohérente. Elle avouait ne pas avoir une seconde soupçonné une telle réponse de sa part. L'alcool le rendait plus turbulent et imprévisible qu'elle ne le pensait, tout compte fait. Comment était-elle censée agir, au juste ? Comment raisonner une personne qui n'avait pas toute sa tête ?

— Monsieur, vous avez bu et...

— Non, c'est toi qui m'écoute ! hurla-t-il en abattant sa paume contre le bar, arrachant un sursaut à la demoiselle.

— MONSIEUR, ÇA SUFFIT ! s'écria la serveuse en s'approchant à la hâte.

Elle n'y comprenait plus rien. Ce changement trop inopiné de comportement la laissa sans mot. Tous les regards s'étaient brusquement tournés vers eux, comme alarmés par ce hurlement soudain. Elle frôlait de peu la honte et l'envie de déguerpir tête baissée, telle une enfant prise en flagrant délit de vol de sucreries. D'une voix terrassée par la fureur, l'individu vociféra de plus belle :

— Tu crois pouvoir te permettre de me donner des ordres ? Je partirais quand bon me semblera alors si ça te pose un problème, gamine, j'vais vite m'assurer que tu redescendes. T'es quedal ici. Quedal. À part moi, personne veut de toi dans ce bar.

Et il n'avait pas totalement tord. Elle tenta un coup d'oeil à l'égard de tous, qui confirma aussitôt ses propos. À grand regret. Les clients l'osbervaient avec dédain comme si elle était l'unique responsable de cette mascarade.

Déterminée à occuper sa place au même titre que tous, elle prononça avec rancœur : 

— J'vous ai simplement demandé de me laisser tranquille, Monsieur ! Ce n'est pas de ma faute si l'alcool vous grille les neurones, en plus de vous assourdir !

— Si l'alcool me... quoi ?!

Oups.

Elle avait peut-être parlé un peu trop vite. C'était le comble, tout de même ! Depuis son arrivée, elle n'avait aspiré qu'à boire seule, dans son coin, sans que quiconque ne daigne venir la déranger. Elle n'avait pas commis d'acte qui puisse justifier un tel retournement de situation. Ajouté à cela que personne ne semblait être d'un avis contraire à celui de ce dernier.

Le Sang DéfenduWhere stories live. Discover now