Chapitre 15

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— Courage mademoiselle. Poussez... Encore encore encore... relâchez.

Les hurlements qui lui brûlaient la gorge détonnaient sans fin. Ce jour qui pourtant, censé représenter le plus beau de toute une vie, constituait pour elle la pire des abominations. Voilà de quoi résultait l'oubli d'une simple gélule. Improbable, mais pourtant bien réel. Et il avait fallu que cela s'abatte sur elle à la puissance d'une foudre. Elle pleurait sans cesse, encore et encore, dans l'espoir que ce cauchemar s'achève au plus vite. Mais l'erreur était commise, irréversible et sans issue.

Captive d'un sentiment de honte et de rancoeur, elle coula un regard alerté en direction des deux sages femmes.

— Dernière poussée mademoiselle. Tenez bon. Allez y. De toutes vos forces. Allez allez allez...

Elle expulsa toute sa rage dans une poussée si faramineuse, que d'innombrables points noirs se dessinèrent devant ses yeux. Elle n'en pouvait plus. L'humidité qui suintait par tous les pores de sa peau l'ôtait de toute notion de confort. Ses cuisses tremblaient, ses ongles arrachaient le cuir du matelas sous ses fesses et ses dents s'entrechoquaient avec force.

Puis d'une seconde à l'autre, silence. Pas un son, une agitation ou une parole. Des questions fusèrent par dizaine dans son esprit mais elle était si soulagée de la fin de ce supplice, qu'elle ferma les yeux. Ainsi, elle se protégeait de l'horrible vérité, d'une certaine façon. Sa tête bascula brutalement vers l'arrière tandis que ses muscles se détendaient.

À l'entente de ces pleurs soudains et stridents, un soupir libérateur lui décolla les poumons. Ça y est. C'était enfin terminé. Il était là.

— Toutes mes félicitations mademoiselle. C'est un garçon !

Les larmes dévalaient ses joues, encore et encore. Elle sanglotait sa détresse au point de s'étouffer, détenue de ces spasmes douloureux qui la cahotaient. L'affliction qui la submergeait lui ôta toute capacité de réflexion. Elle était abattue, morte, éprise d'une crainte démesurée.

À la vue de cet être minuscule entre les mains des professionnelles, une hargne démentielle la gagna. Protégé d'une fine couche de tissu, elle discernait une petite tête dores et déjà couverte de minuscules cheveux ébène.

Non non non...

À la seconde où la sage femme s'apprêtait à déposer le nourrisson sur son corps, elle vociféra :

— N'approchez pas ça de moi !

Ses larmes l'empêchaient de déceler avec exactitude les expressions sur ces deux visages. Mais elle ne doutait pas de leur effarement. Elle venait, à contre coeur, de mettre au monde un enfant qu'elle n'avait désiré. Et qu'elle n'aimerait sans le moindre doute jamais.

En détournant la tête, elle s'aperçut des horreurs qui trônaient sur les meubles hospitaliers, les murs, ainsi que le plafond terne.

Le dessin de Tobias. Partout. Exactement comme pour lui rappeler qu'il était de lui. De ce monstre.

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Dans un violent sursaut, elle glissa du matelas pour si tôt chuter sur la moquette. Quelque chose qui, manifestement, ne s'était encore jamais produit au cours de sa lamentable vie. Elle étouffa une multitude de jurons, s'irritant les yeux de ses mains comme pour s'assurer de la réalité.

Le Sang DéfenduWhere stories live. Discover now