Le Sang Défendu

Chapitre 25

Face à la devanture luxueuse du pub, Léna s'immobilisa pour observer les lieux aux travers des vitres. Une profonde inspiration gonfla ses poumons, reflétant une nervosité qu'elle n'avait pas encore soupçonnée. L'idée de faire demi tour lui traversa l'esprit mais elle dut la réprimer sans tarder, avant d'être incitée à y répondre. Non, elle ne devait pas songer à se dégonfler. Plus maintenant, tout du moins. Finn était quelqu'un de sympathique et il serait regrettable pour elle de réfuter cette rencontre. Après tout, c'était bien elle qui l'avait de prime abord sollicitée.

La façade du bar à l'intérieur était éclairée par une lumière tamisée aux nuances violacées. Des lampes de faible luminosité oscillaient lentement au plafond, donnant au salon une ambiance particulièrement intime et non festive. Et en dépit des passages auxquels elle vint d'assister, le plancher en bois brillait encore. Elle devait bien le reconnaître, l'endroit tenait fièrement les avantageuses critiques parues sur le site internet.

Deux couples sur les premières tables, trois groupes d'amis sur les suivantes et quelques solitaires ci et là emplissaient le pub de moitié. En y accordant plus minutieuse attention, ce bar ne lui semblait pas destiné à un public tel qu'elle. Au vu des visages qui se profilaient dans l'obscurité, il y avait fort à croire qu'elle serait la plus jeune parmi toutes ces personnes mais était-ce si dérangeant, au final ? De cette façon, elle pouvait s'élaguer l'idée de croiser les étudiants de Misty-Field.

Plusieurs hommes vêtus de smoking et de bijoux hors de prix lui laissèrent, par ailleurs, penser qu'il ne s'agissait pas d'un lieu où les soûlards du coin se donnaient rendez-vous. Un détail qui ne manqua pas de l'enchanter, compte tenu de ses nombreuses appréhensions. Tout paraissait jouer en sa faveur, pour le moment.

Ses ongles teintés de rouge se détachèrent progressivement des lanières de son sac à main. Elle profita de ce bref arrêt pour annoncer son arrivée à Finn par texto, après quoi, elle coula un ultime regard derrière elle.

Les rues étaient agitées, glacées par le souffle hivernal du vent et la brume ténue qui naviguait au loin. L'appel de la chaleur l'invita tout à coup à s'activer.

— Bon, quand il faut y aller, prononça-t-elle tout bas.

Après une dernière inspiration, elle franchit l'immense porte en ignorant, non sans mal, ces regards brusquement posés sur elle. Presque tous s'étaient retournés par alerte, comme s'il s'agissait d'une intrusion à main armée. Cette subite insistance visuelle lui donna l'impression de tâcher la finesse du décor. Se retrouver ainsi au cœur de l'attention ne tarda pas à lui nouer l'estomac, en prime d'accélérer les battements de son cœur. Ses doigts se crispèrent de nouveau sur ses lanières en cuir. Mais que leur prenaient-ils ? N'avait-elle donc pas le droit de profiter, elle aussi, de cet endroit ?

Quelques murmures retentirent à ses côtés mais les isolés au bar, eux, ne pivotèrent pas vers elle. Ces derniers semblaient bien trop concentrés sur le verre qui les épargnait de la solitude et elle les remerciait intérieurement de se focaliser sur autre chose que son insignifiante présence.

L'unique visage qu'elle ne réussit pas à distinguer parmi tous était davantage à l'écart, reclus sur la gauche. L'inconnu portait une capuche qui empêchait quiconque de l'identifier et autant dire qu'il ne lui inspirait aucune confiance. De tous, il était le plus en retrait, comme captif du besoin de se saouler avec un maximum de tranquillité. Et à en juger par sa posture, elle savait dores et déjà qu'elle ne tenterait aucune approche à son égard. Ni personne d'autre que Finn, d'ailleurs.

Dos vouté, l'individu paraissait endurer un poids similaire au plus lourd et funeste des fardeaux. Elle en vint à se demander si son âme, aussi meurtie soit-elle, n'avait pas déserté son enveloppe corporelle. Son imposante enveloppe corporelle. Il ne dévoilait pas un morceau de son visage mais sous cet angle, elle était certaine de ne pas le connaître.