Chapitre 22

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Les larmes que le lycanthrope crut déceler au coin de ces prunelles tannées le laissèrent pantois, tant et bien que la fureur qui emplissait son visage se dissipa pour saluer l'étonnement. Jamais au grand jamais il n'avait assisté à pareille conduite. Il ne comprenait pas la raison de cette soudaine intrusion et encore moins, cette tristesse qu'il pensait lui être vouée. Mais la brillance de ces pupilles innocentes indiquait vraisemblablement le trouble qui animait la demoiselle. Un tourment dont il ignorait manifestement tout.

Pour élucider l'origine de sa stupéfaction, il suivit du regard l'objet de sa fixation et surprit la nappe amarante sur ses phalanges. Bayle s'était si vite acclimaté aux blessures qu'il s'infligeait d'ordinaire, qu'il en oubliait l'insolite de cette attitude. Si pour lui cela était normal, ça n'était certainement pas le cas aux yeux des autres. Sans doute réverbérait-il encore l'image d'une brute qui ne jurait que par ses poings et dénuée de toute réflexion.

Il haïssait être interrompu lors de ses expulsions de rage très voire trop souvent, viscérales. Frapper de manière successive lui permettait de s'élaguer le poids bouillonnant qui l'étrillait, sans se contraindre à glisser entre les cuisses d'une femme. Loin de lui l'idée qu'il n'appréciait en rien ces brèves distractions, mais il ne tenait pas à revisiter l'antre de toutes les habitantes de Misty-Field. Son statut d'enseignant au sein de la faculté le rendait plus sélectif sur ses choix et ses goûts. Ainsi, il entretenait sa réputation de professeur sans trop courir de risques.

Ses doigts se déployèrent comme pour démontrer leur vigueur, avant qu'il ne rencontre à nouveau ce regard gorgé d'inquiétude. La divinatrice restait figée, aphone, à l'observer munie de cette compassion qu'il abhorrait tant. C'était à peine si elle parvenait à battre des cils. Elle n'accordait même pas une quelconque attention aux boucles qui caressaient son visage, ballottés par la force du vent. Le silence du minuscule terrain herbeux était tel qu'il entendait aussi aisément l'atterissage de chaque goutte de sang au sol, que les battements d'ailes des volatiles en émoi. Mais un autre détail le poussa à sonder plus sérieusement son interlocutrice.

Elle était pâle. Très pâle. Presque autant que ses lèvres victimes de gerçures à foison. Ainsi, il pouvait nettement comptabiliser les tâches de rousseur qui agrémentaient son visage de séraphin. Ce visage qui, de temps à autre, hantait son esprit alambiqué de sorte à le faire sombrer dans les abysses de cette folie tant redoutée.

L'animal en lui contenait le brusque besoin de noyer ses lèvres de la pointe de la langue pour en refermer les craquelures. L'humain en lui était sidéré qu'elle ose se pointer sur ce lieu dans un pareil état. Il n'avait pas envisagé d'aguerrir ce jour une gamine affaiblie et dépourvue du peu d'habilité qu'elle possédait.

Il secoua finalement la tête en grommelant et se dirigea d'un pas vif vers son sac pour en saisir d'autres bandages. Les coups assénés eurent au moins le don de lui faire oublier les récents éclats de voix de Lexane. Car pour une raison qui lui échappait, ses démons refaisaient de plus en plus surface ces derniers jours, jusqu'à même surgir lors de ses heures de cours. Il avait été contraint ce même après-midi, à s'isoler le temps de quelques secondes pour reconquérir un semblant de quiétude. Chose dont jamais encore il n'avait été victime. Il en venait même à s'interroger sur une éventuelle mise en garde, comme si un élément déclenchait insidieusement ces hallucinations pour lui transmettre un message.

Tout en dépouillant les tréfonds de son sac à dos, il prononça :

— Allez au centre du terrain. J'vous rejoins.

Le Sang DéfenduWhere stories live. Discover now