Chapitre 1

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JESSIE


Journée de merde.

Autant l'admettre d'emblée, je suis un tantinet contrariée par le tournant que vient de prendre mon après-midi. Aela – mon adorable binôme – et moi devions nous rendre chez les humains afin de boucler la mission que nous avons sur le feu depuis quelques semaines. Une histoire de secte et de suicide collectif... Une tâche périlleuse, mais pour le moins exaltante ; il est rare que nous parvenions à manipuler autant d'individus à la fois. Nous ne sommes peut-être pas des novices chez les Kères, mais mener à bien une mission de cette envergure flattera à coups sûrs notre Souverain... et notre ego.

Par malheur, alors que je devrais actuellement être en train d'empoisonner l'esprit du gourou en lui susurrant de jolis mots doux à l'oreille, je me retrouve à faire visiter les locaux à un nouveau. Pour ne rien arranger, le gars est aussi vif qu'une merde étalée sur un trottoir. Même si je meurs d'envie de le secouer, je m'efforce d'exhiber un sourire et un air avenant, et de lui présenter les lieux dans une parfaite réplique d'agent immobilier.

Pourquoi me montrer si conciliante ? Primo, parce que je ne peux rien refuser à Dobrian – l'un des plus anciens Formateurs malak d'Helgrind. Deuzio, car Aela s'avère désagréable et glaciale pour deux.

— Est-ce que tout est clair pour toi, Ricardo ?

Je tente d'insuffler un peu d'énergie au nouveau en frappant dans mes mains, mais je fais chou blanc. Le malak figé pour l'éternité dans son corps de cinquantenaire ventru me dévisage comme si je portais une paire de couilles au milieu du front. Durant une brève seconde, j'hésite à m'emparer du flingue caché à l'arrière de mon jean et à lui pointer sur la tempe. Sans animosité aucune, bien sûr. Simplement pour voir si quelque chose est capable de faire réagir cette larve. Toutefois, le grincement de dents ostensible d'Aela, à ma gauche, me permet de ne pas céder à cette envie.

J'inspire un bon coup et destine un sourire à la nouvelle recrue.

— Il serait temps d'atterrir, Ricardo chéri. Ou bien je vais être obligée d'expliquer à Dobrian que tu n'es pas encore apte à prendre ton poste.

À ces mots, l'homme réagit enfin et frissonne de son corps flasque. Voilà un réflexe normal ! Personne n'a envie de contrarier le Formateur – même nos plus téméraires guerriers ne s'y frottent pas.

— Non... Non, je t'écoute, bafouille-t-il. Helgrind est si vaste que j'en perds simplement mon latin.

J'opine avec une moue compatissante, alors qu'Aela roule des yeux en croisant les bras sur sa poitrine.

Malgré la réaction de ma partenaire, Ricardo a raison : la dimension malak s'avère aussi étendue que la terrienne. Une barrière ténue les sépare ; la vie d'un côté, la mort de l'autre. Ou presque. Helgrind n'est que le passage obligé pour accéder aux mondes suivants. Enfer ? Paradis ? Néant ? Aucun malak ne sait ce qui se trouve derrière le Portail. Sans doute est-ce pour le mieux, d'ailleurs.

— Ne t'en fais pas. Bientôt, tu t'y sentiras comme un poisson dans l'eau.

Façon de parler, car Helgrind est aussi désertique qu'une vieille planète mourante. Ici, il ne fait pas vraiment nuit, mais pas vraiment jour non plus. Notre ciel gris ne nous apporte de la pluie qu'une fois par an, durant une longue semaine, et cela suffit à recharger les sources pour les onze prochains mois.

— Bien, il est temps de te présenter le département où tu vas travailler, Ricardo ! Suis-nous. Et arrête de traîner les pieds, s'il te plaît, ça commence à me courir sur le haricot.

MALAKS : l'Épître du RoiWhere stories live. Discover now