Chapitre 14

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JESSIE


Je ne suis pas intervenue quand Dobrian a tenté de convaincre Aela d'aller trouver un Soigneur pour rafistoler son entaille à la cuisse. Je ne suis pas non plus intervenue lorsqu'elle l'a envoyé promener avec une hargne qu'elle n'aurait jamais utilisée avec lui, en temps normal. Et j'ai continué de me la fermer quand il est parti sans un mot, vexé par l'attitude de son élève et décontenancé par la tension qui nous entoure. Dobrian s'est contenté de nous conseiller de discuter et de boucler la mission avant que les Shamashs mettent leur menace à exécution.

Mutique, ma moitié s'est ensuite tournée vers moi et m'a adressé un regard lourd de sens avant de se téléporter du service Maât. Elle n'a pas eu besoin de m'expliquer où elle se rendait, car je l'ai très bien compris. Je l'ai donc imitée, la mort dans l'âme, consciente que la situation a trop dérapé pour que je continue de me taire.

J'apparais au milieu de notre séjour au moment où Aela se débarrasse de son jean imbibé d'hémoglobine. Elle pousse des jurons très imagés et inspecte avec des doigts tremblants la profonde coupure qui s'étend le long de sa cuisse. Cette pétasse d'Elena ne l'a pas ratée. À cette pensée, la rage qu'elle a suscitée chez moi tout à l'heure se réveille et je serre les poings si fort que l'entaille sur mon index me lance un pic de douleur jusqu'au coude. Ce vieux tic sur lequel je ne possède aucun contrôle s'avère plus parlant que n'importe lequel de mes mots.

Je n'ai plus aucune prise sur la situation. Et encore moins sur les beaux yeux de Victor Braudner.

— Aela...

Mon soupir penaud incite enfin ma partenaire à m'accorder son attention. Elle redresse la tête dans ma direction et m'envoie un regard si furieux que j'en perds mon latin. Vêtue d'un simple débardeur et d'un tanga, la crinière ébouriffée et la jambe en sang, elle a l'air aussi dangereux qu'un oiseau à l'aile brisée. Et pourtant...

— Je ne veux pas d'explications foireuses ou d'excuses bancales, Jessie ! Putain, est-ce qu'au moins tu te rends compte dans quelle merde on se trouve ?

J'ouvre la bouche pour lui assurer que je ne vais pas la mener en bateau, mais elle est trop remontée pour s'arrêter en si bon chemin.

— Si je n'étais pas intervenue, tu aurais buté Elena !

Impossible de la contredire sur ce point. Je ne vrille pas souvent (c'est même très rare), mais quand ça m'arrive... C'est vrai, l'autre Shamash de mes deux se serait payé une séance d'UV définitive dans le four si Aela n'avait pas foncé dans le tas à ma place. À ma décharge, Elena a appuyé là où ça fait mal. Non seulement elle s'est montrée discourtoise, mais qu'elle évoque la possibilité que j'aie pu fauter auprès de Victor m'a rendue folle de colère et de panique. Un cocktail qui n'a pas fait bon ménage sur mes nerfs déjà à vif.

Cependant, à cet instant, ma culpabilité se hisse bien au-dessus de mes autres états d'âme.

— Je suis désolée, soufflé-je en croisant les bras sur ma poitrine pour m'empêcher de charcuter davantage mon index.

— Je t'ai dit que je ne voulais pas d'excuses ! vocifère ma moitié, remontée comme un coucou suisse. Je veux que tu m'expliques ce que tu as foutu avec Braudner !

Elle a compris. Bien sûr qu'elle a compris. J'ai pourtant veillé à protéger mon petit secret au prix d'efforts contre nature. Tout me poussait à m'épancher auprès de ma moitié, comme elle l'a fait pour moi en me narrant l'épisode des quais avec Eliott. Le moment était d'ailleurs parfait pour que je lui conte le tournant inopiné qu'a pris ma relation avec Victor.

MALAKS : l'Épître du RoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant