Chapitre 17 (2)

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JESSIE


Quand j'émerge, une douleur lancinante pulse dans mon crâne au rythme d'un tambour de guerre. J'ouvre les paupières et papillonne des cils, mais ma vue demeure floue de longues secondes. Lorsque j'y vois un peu plus clair, je redresse la tête en grimaçant, le corps raide de tension et perclus de douleurs. Ma robe trempée ne m'aide pas beaucoup à me sentir à mon aise.

Toutefois, l'angoisse survient lorsque je réalise que je ne connais pas l'endroit où je me trouve et que je suis saucissonnée sur une chaise – et pas pour une séance de bondage, cela va sans dire. Dans un élan aussi idiot qu'instinctif, je m'agite et tente de desserrer la corde qui me maintient prisonnière, en vain : j'ai la marge de manœuvre d'une paupiette coincée entre sa ficelle et ses tranches de couenne. Autant admettre que c'est ridicule.

Et que ça incendie mes nerfs à fleur de peau pour me coller une rage noire au ventre.

— Pardon pour le coup de matraque dans la gueule. Je n'ai pas trouvé d'autre moyen pour que tu me suives sans broncher.

Je me fige et fouille l'obscurité ambiante pour débusquer la provenance de cette voix chaude et chantante. Ce n'est pas chose aisée, puisque l'espèce de bunker dans lequel je suis retenue ne dispose d'aucune fenêtre et n'est éclairée qu'à la lueur d'une vieille ampoule pendue au plafond. La lumière jaunâtre qui s'en diffuse est insuffisante pour chasser les ombres qui engloutissent les coins de cette grande pièce froide et silencieuse. Je ne distingue même pas de porte, ce qui ne fait que renforcer mon sentiment de détresse.

— La maison s'excuse aussi pour les conditions d'accueil, poursuit la voix dont l'écho ricoche contre les murs austères. Cette discussion aurait été bien plus agréable devant une bière fraîche, mais bon... On ne fait pas toujours ce que l'on veut.

— Montre-toi, espèce de connard ! sifflé-je. Je ne te parlerai pas tant que je n'aurais pas vu ta sale face de rat. Parce que c'est bien ce que tu es, non ? Seul un nuisible se terrerait ici comme un reclus de la société.

Malgré le rire claironnant qui explose dans la pièce, je comprends très vite que ma comparaison penche dangereusement du côté de la vérité. Ça ne me rassure pas, surtout quand on sait que nos portés disparus n'ont jamais refait surface.

— Si je suis un rat, alors tu es un charognard. Tu dévores les proies que le plus grand prédateur d'Helgrind laisse à ta portée, sans chercher à déterminer si ce que tu fais est bien ou mal.

Mon interlocuteur a recouvré son sérieux et apparaît enfin devant moi : une armoire à glace à la peau noire et au visage, ma foi, plutôt avenant. J'aurais même pu le trouver charmant s'il ne m'avait pas attachée à une chaise comme une malak née de la dernière pluie. Cela dit, j'admets que la facilité avec laquelle il m'a mis la main dessus a de quoi me faire rougir. Toutefois, je suis trop occupée à rosir de fureur pour accorder un créneau à la honte.

— Tu bouffes de la chair avariée parce qu'on t'a dit que c'était du bœuf de Kobe et tu te régales.

L'homme – le malak – se poste devant moi et m'oblige à relever la tête pour le regarder. Ça titille ma migraine, mais je ne le lâche pas des yeux. C'est là que je remarque le cache-œil en cuir qui épouse la partie gauche de son visage et dont les lanières s'enfoncent dans ses cheveux crépus coupés courts.

— Tu as fini avec les comparaisons foireuses ? ricané-je, narquoise. Non pas que je m'en lasse, mais j'aimerais bien savoir ce que je fous ici.

MALAKS : l'Épître du RoiWhere stories live. Discover now