Chapitre 17 (1)

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JESSIE


Cette soirée a été un putain de fiasco.

Oh, je m'y attendais ! Mais à ce point ? Pisser dans un violon aurait été aussi efficace que mes tentatives pour démembrer les barrières de Victor. C'est dire à quel point cela a servi à quelque chose. Je me suis escrimée contre le vent, j'ai donné des coups d'épée dans l'eau, que sais-je encore !

Zéro pointé.

Comme je le soupçonnais, la méthode forte n'a pas fonctionné. Évoquer l'ex-beau-père devant tout le monde – et par extension, balancer cette faiblesse sur la table – n'a fait qu'amplifier la colère de mon Viking à mon égard. En plus de me donner l'impression écœurante de le trahir et de lui planter un couteau dans le cœur.

Ce comportement ne me ressemble pas. Je veille sur les gens que j'affectionne, je garde leurs secrets et les soutiens dans les moments douloureux. Dobrian, Franz, Lauriel... N'importe qui pourrait en attester. Mais aucun d'entre eux ne m'aurait reconnue, lorsque j'ai craché ces malheureux mots au visage du Commissaire. Même Aela a retenu son souffle devant la rudesse de mon attaque. À cet instant, elle a saisi aussi bien que moi qu'agir ainsi nous desservirait. Elle a également aperçu la vérité que je m'évertue à lui cacher depuis trois semaines : cette mission me donne un peu plus envie de gerber au fil des jours. Je l'ai tout de suite compris, au regard scrutateur qu'elle a promené sur mon visage. Néanmoins, elle ne m'a rien dit.

Par contre, Victor ne s'est pas gêné pour me transmettre son point de vue sur la question, lorsque ma moitié et Eliott se sont éclipsés en cuisine.

— Tu es une personne entière, Jessie, mais je n'ai jamais pensé que tu étais mauvaise, m'a-t-il alors balancé, le regard aussi furieux qu'affligé. Or, ce que tu viens de me jeter à la gueule, c'était con et méchant.

J'ai bien tenté de me justifier et d'adoucir mes propos, mais le mal était fait. Victor s'est braqué et a refusé de m'écouter, conscient que nous pourrions être interrompus d'un moment à l'autre par le retour de nos partenaires.

— Je ne veux pas discuter avec toi, a-t-il ajouté d'un ton polaire. Pas ce soir.

Je n'ai eu d'autre choix que d'accepter sa décision. Nous nous sommes alors penchés sur l'enquête, comme deux vulgaires collègues que rien ne lie. Ça a été bien plus difficile à supporter qu'on pourrait le croire. Victor m'a rejetée en bloc et je me suis retrouvée pieds et poings liés face à lui.

Jessie, Kère depuis un millénaire, impuissante et perdue devant un mortel de vingt-huit ans ! Plus triste, tu meurs.

Résultat des courses : j'ai l'impression de porter un déguisement, de me travestir en quelqu'un que je ne suis pas. Comme un clown qui terrorise un gamin alors qu'il est là pour le divertir. J'ai eu envie de décamper, d'ôter cette robe qui me donne l'impression de n'être qu'une allumeuse sans cervelle et de baisser les bras, une bonne fois pour toutes.

Si cette fichue fierté me foutait la paix de temps en temps, je me serais sans doute écoutée. Mais je ne peux pas, parce que je préférerais qu'on me jette dans une fosse remplie d'âmes-errantes plutôt que de laisser Victor aux mains de Kères impitoyables.

Pour ne rien arranger, j'ai tout de suite compris qu'Aela et Eliott n'avaient pas échangé que des banalités dans la pièce voisine. Pour la première fois depuis notre rencontre, le comportement du Lieutenant s'est fait distant à mon égard, donc je l'ai soupçonné d'avoir cherché à cerner mon attitude auprès de ma moitié. Je ne peux pas le blâmer pour ça : si la situation avait été inversée, j'aurais agi de la même manière. Or, Aela n'est pas de celle qu'on accule dans un coin et à qui l'on tire facilement les vers du nez. La tension a dû grimper entre eux, étant donné les mines exaspérées qu'ils affichaient à leur retour.

MALAKS : l'Épître du RoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant