Chapitre 13

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AELA

— Du Debussy ? Ce n'est pas ton genre.

— Ça l'est en ce moment.

Je monte le volume de La Cathédrale engloutie et les accords alambiqués du piano s'élèvent dans l'espace. Quand je me retourne, je fais face à Decha, nu comme au premier jour, les bras croisés derrière la nuque. Le long crescendo de l'œuvre musicale qui résonne dans la pièce semble accompagner le retour de sa glorieuse érection, et ça me fait sourire. Baiser sur du Debussy donne à la scène des allures de rituel mystique ; il ne manque plus que les vapeurs d'une chicha ou l'odeur âpre de la weed pour parfaire le tableau. Seulement, si mon amant malak serait volontaire pour une petite soirée défonce, il en est hors de question. Je ne supporte pas ces saloperies, quand bien même j'ai grandement besoin de me détendre en ce moment.

Je m'avance jusqu'à lui. Ses mains s'invitent sur mes cuisses à l'instant où elles se placent autour de son bassin et je m'empare de sa virilité d'une poigne assurée pour encourager son réveil. Il grogne de contentement et renverse sa tête en arrière.

— Bordel, tu es insatiable en ce moment, Aela...

Je lâche un petit rire. Impossible de le contredire sur ce point. Cela fait deux semaines que je le réclame quasiment tous les jours, et nos séances de jeux s'éternisent volontiers sur trois ou quatre parties, jusqu'à ce que l'un ou l'autre tombe de fatigue.

— Ne va pas dire que ça te dérange, soufflé-je en me penchant en avant pour accueillir le braquemart entre mes lèvres.

Il soupire et glisse une main autoritaire dans mes cheveux pour accompagner mon mouvement. Sa réponse est limpide. En quelques minutes, mon manège a porté ses fruits, et il est de nouveau opérationnel. Sans délicatesse aucune, il me tire jusqu'à lui et me renverse sur le dos pour me percuter sans sommation. Il étouffe mon cri d'une main plaquée sur ma bouche et enchaîne les coups de boutoir avec une endurance et une vigueur exceptionnelles.

Il n'y a jamais eu de tendresse entre nous. Pas besoin. Il n'est pas là pour me serrer contre lui ou me murmurer des mots doux à l'oreille ; je veux jouir, fort, et il est très doué pour m'aider à cette tâche. Pas de compliments séducteurs, de chastes baisers dans la nuque ou de passion enfiévrée. On ne s'embrasse pas, on se parle à peine : on prend ce que l'autre a à donner et c'est très bien comme ça.

Lauriel s'est foutue de ma gueule quand elle a appris que Decha et moi ne nous embrassions même pas. Pendant une semaine, elle m'a appelée « Pretty woman », en référence à la prostituée du film éponyme qui prohibe les baisers avec ses clients. J'ai fini par l'envoyer chier ; elle passe son temps à se vautrer dans des partouzes plus décadentes les unes que les autres, et c'est moi l'excentrique ? Faut pas déconner !

D'un geste habitué, Decha se recule, attrape mon genou pour m'obliger à lui présenter mon dos. Je m'accroche à la tête de lit quand sa main droite saisit ma hanche et l'autre entoure ma nuque, juste au niveau de ma carotide. Un flash déconcertant me vrille la cervelle. L'image d'une autre main, longue et osseuse, délicate mais puissante, qui presse doucement ma peau pour mesurer l'intensité de mon rythme cardiaque.

Je pousse un cri à la limite du grognement quand mon esprit décide seul de faire tournoyer le sourire à fossette d'Eliott Freud à la place de l'air carnassier de Decha. Non. Je ne veux pas imaginer ce type. Je ne veux pas penser à ce type. Pourtant l'idée me fait décoller en un quart de seconde, et je suis poussée aux portes de la jouissance sans même l'avoir sentie venir. Decha glisse ses doigts dans ma bouche, me claque le cul d'un geste assuré, et j'explose.

MALAKS : l'Épître du RoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant