Chapitre 2

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AELA

Lâche cette jambe.

— Aela, tu es blessée, tu as besoin de sutu...

— Lâche cette jambe et arrête de me les briser, un bandage suffira. Occupe-toi plutôt de tous les connards qui sont en train de crever.

— Mais...

— Satine, ma puce.

La Soigneuse lève la tête vers les grands yeux verts de ma moitié, qui vient de l'interpeller d'une voix affable. Jessie s'accroupit près d'elle et pose une main sur son épaule. Elle est douce et compatissante, comme toujours. À croire que c'est Satine qui s'est fait trouer la jambe par une saloperie d'âme-errante.

— Aela va s'en tirer, elle a connu pire. Des Berserkers ont besoin de toi, plus loin.

Décontenancée par la gentillesse totalement hors de propos de ma partenaire, l'infirmière bat des cils quelques secondes, avant d'enfin consentir à me lâcher la grappe. Elle s'assure que le bandage est solidement calé autour de ma cuisse puis disparaît sans un mot supplémentaire. J'expulse un soupir et me redresse pour sautiller d'un pied sur l'autre. Réactiver le flux sanguin au plus vite va peut-être m'éviter de boiter pendant les trois prochains jours. Au pire des cas : une petite sieste, et problème réglé.

Jessie ne s'inquiète pas outre mesure et coule plutôt un regard atterré sur la place principale. Le centre de notre zone est un espace démesurément vaste ; sorte de carrefour en cercle parfait entouré des quatre grands Départements. À l'origine, des installations luxueuses prolifèrent dans tous les coins, entre aires de détentes, cafétérias et boutiques de fringues, sous le regard des statues à l'effigie de notre Roi qui dominent l'horizon. Mais trois putains d'âmes-errantes plus tard et le décor se donne des airs de fin du monde.

Les bestiaux monstrueux sont littéralement dispersés dans tous les coins. J'aperçois des bouts de chairs éparpillés ; le dard du narval-scorpion a creusé un trou tellement profond dans le sol que je suis certaine d'y retrouver une dizaine de guignols à l'intérieur ; et les façades, meubles et routes sont jonchés d'un mélange d'écailles, de poils et de viscères. Ça hurle dans tous les coins, ça pue la mort, et l'atmosphère s'alourdit peu à peu d'épais relents de putréfaction. À peu de chose près, j'en aurai gerbé. Mais comme Ricardo s'est déjà chargé de me recouvrir de son hémoglobine de gros lard incapable, je prends sur moi et décide de ne pas ajouter du vomi à l'équation.

— Le Roi va être furieux, commente Jessie, d'un air plus embêté que réellement soucieux.

Je suis son regard et avise la plus haute et la plus belle des statues, aujourd'hui pulvérisée au centre de la place. Éléazar a la tête coupée, son trône s'effrite, et toute la partie droite de son corps a été ravagée par les impacts de balles. Tel un drapeau miraculé au milieu du chaos, le scarabée sacré, alors gravé dans la roche sombre du socle de la sculpture, semble surgir parmi les décombres. Je grimace.

— Il est ici ?

— Peu importe. Khojen va s'en donner à cœur joie.

Et quand on parle du loup, on en voit la sale gueule. Jessie se crispe à ma gauche lorsque le bras droit du Roi, susnommé Khojen, sort du département Helveg. Son corps frêle, quasi squelettique, est gonflé à bloc et serpente entre les morts avec l'agilité d'un félin. Derrière lui, deux autres Shamashs – Shane et Elena – le suivent au pas de course. J'ignore encore ce qui est arrivé à Franz, le responsable de ce gros bordel, mais la présence de ces trois-là n'est jamais de bon augure. Les Shamashs sont supposés être les grands gardiens des lois d'Helgrind ; des juges impitoyables, qui n'ont pas pour habitude d'accorder de seconde chance. D'autant que Khojen, fière comme un paon dans sa silhouette de prépubère de quatorze ans, est le malak le plus cinglé qu'il m'ait été donné de croiser.

MALAKS : l'Épître du RoiWhere stories live. Discover now