Chapitre 12

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JESSIE


Aujourd'hui, j'ai laissé les apparats au placard. Bye bye robe pimpante et talons affriolants ; je n'ai strictement aucune envie de mimer la gaieté alors que je ne désire qu'une chose : frapper quelqu'un ou quelque chose. La colère vicieuse qui me ronge n'a d'égal que le chagrin que je ressens depuis que le corps de Sören s'est fait dévorer par le four, façon calzone géante.

Comme si veiller sur Lauriel n'était pas suffisamment éprouvant, je dois en plus me coltiner une dose non négligeable de remords. Pourquoi ? Parce que je n'ai jamais partagé les sentiments évidents que mon ami nourrissait pour moi et que je n'ai pas eu les couilles de le libérer de mon emprise avant... Avant que la mort frappe. Ça, je peux vous dire que ça me reste coincé en travers du gosier et que l'estime que j'ai de moi-même bat sérieusement de l'aile.

Même si c'est trop tard pour le réaliser, Sören méritait mieux que ça. Mieux que moi.

Je compte donc noyer mes idées noires dans le boulot, afin de me racheter un semblant d'amour-propre, mais surtout pour détourner l'attention d'Aela. Elle me surveille comme si je menaçais de m'écrouler comme un château de cartes d'un instant à l'autre. Pourtant, elle me connaît ; elle sait que je ne suis pas du genre à baisser les bras, ou à m'apitoyer sur mon sort. Bien sûr, j'ai besoin d'avaler la pilule et de la digérer tranquillement de mon côté, mais n'exagérons rien. Le jour où je péterai les plombs à cause d'un homme, des âmes-errantes tomberont du ciel. Ce qui, soit dit en passant, ne serait une bonne nouvelle pour personne.

Est-ce que j'ai l'art et la manière de me voiler la face ? Peut-être un peu. Mais je brise les rotules au premier qui a l'audace de me le faire remarquer. J'ai de la haine et du chagrin à revendre, alors mieux vaut ne pas me chatouiller.

Voilà pourquoi j'ai préféré me retrancher chez Victor pour la soirée. Franz veille sur Lauriel, Aela s'occupe d'Eliott. Aucun scrupule à avoir, donc. Et puis... Je dois rattraper le coup avec le Commissaire. Je dois peut-être même le rattraper lui, tout court.

Avec un soupir fébrile, j'enfonce le bouton de la sonnette, après avoir pénétré discrètement dans l'immeuble à la suite d'un locataire. Le carillon retentit de l'autre côté de la porte, très vite accompagnée par des bruits de pas. Machinalement, je retiens mon souffle lorsque le panneau s'ouvre devant moi.

Du haut de sa grande taille, Victor me dévisage un court instant, puis m'invite à entrer sans même prononcer un mot. Il a troqué son uniforme pour un jean et un t-shirt. Ses cheveux sont encore humides et sa peau exhale la fragrance épicée de son gel douche. J'en déduis aisément qu'il a voulu se purifier de la scène macabre qu'il a découverte tout à l'heure, mais, si j'en juge ses traits fermés, cela n'a pas vraiment fonctionné. Je n'en suis pas surprise, mais cela ne me ravit pas pour autant.

Bien au contraire.

— Comment es-tu entrée ?

— L'un de tes voisins m'a tenu la porte, le baratiné-je en me plantant dans le séjour comme une godiche.

Victor hoche la tête, puis disparaît dans la cuisine pour nous rapporter deux bières décapsulées. Il se poste devant moi et m'en tend une. Nous trinquons de façon mécanique, alors que la situation ne se prête pas vraiment à porter à toast. Si je m'emploie à ignorer ce fait, le Commissaire s'agace aussitôt de sa maladresse. Il n'en dit rien, mais je discerne sans mal la crispation soudaine de son corps.

Moi qui pensais qu'il serait plus paisible à distance du meurtre de cet après-midi, je me suis bien trompée : Victor brûle d'une énergie obscure qui peut rivaliser avec la mienne. Alors, encore une fois, je m'aperçois qu'il avait raison sur toute la ligne. Nous sommes deux faux calmes, deux volcans endormis dans lesquels bout un magma mortel.

MALAKS : l'Épître du RoiOnde histórias criam vida. Descubra agora