MALAKS : l'Épître du Roi

Chapitre 23

JESSIE

Victor Hugo a dit : « Le remords, c'est le crime enfoncé dans l'âme, qui s'oxyde ». Je pourrais également citer Sénèque, Pierre Corneille, ou même Stanislaw Jerzy Lec, avec ses mots tout à propos : « La conscience naît parfois de ses remords ». Beaucoup d'intellectuels se sont exprimés au sujet de la culpabilité et de la façon dont l'être humain l'encaisse. La plupart ont visé juste, d'autres, pas du tout. Toutefois, aucun n'a su relater avec exactitude ce que je ressens en cet instant.

Pour cause : je ne suis pas humaine. Tout du moins, je pensais que mon humanité était morte en même temps que mon corps, mille ans plus tôt. Cette certitude n'était forgée que dans l'arrogance, la naïveté et la lâcheté. Elle sommeillait simplement dans un recoin nébuleux de mon esprit, étincelle timide qui ne demandait qu'à s'embraser et à tout illuminer sur son passage.

La bonté de Victor l'a ravivée. Son chagrin l'a fait exploser.

Je me suis prise dans les dents un millénaire d'émotions bridées ; elles ont brisé leurs liens, se sont emparées de mon corps et de mon âme avec l'avidité d'un banc de piranhas affamés. Seul bémol : je n'y étais pas préparée. Alors je patauge dans un marécage de confusion et d'hypersensibilité, à l'aveugle, avec pour unique but : ne pas entraîner Aela et Victor dans ma noyade. Tout ce qu'il me reste, c'est essayer de réparer mes erreurs, même si je dois y laisser ma vie.

De toute façon, au propre ou au figuré, ce sera le cas.

Assise en tailleur à même le carrelage, les yeux fermés, je m'exhorte au calme. L'on pourrait penser que je médite, que ce soit à cause de ma posture ou de ma respiration régulière. Il n'en est rien. Je tente surtout de faire abstraction des cris et des huées qui s'élèvent depuis la rue, à quelques mètres en contrebas.

En à peine quatre jours, les accusations qui pèsent sur le Commissaire Braudner se sont répandues comme une traînée de poudre. Dès le lendemain de son arrestation, la presse s'est emparée de l'affaire et s'emploie, depuis, à dresser des portraits de l'homme tous plus grotesques les uns que les autres. Il n'a pas fallu plus de quelques heures aux journalistes pour déterrer son passé et l'ériger au rang de dangereux psychopathe, en appuyant sur les aspects les plus douloureux de sa courte existence. L'absence de son père, la mort de Juliette et ses troubles mentaux, entre autres choses. Personne ne s'est soucié de démêler le vrai du faux, personne n'a mis en avant les vies qu'il a sauvées, les affaires qu'il a élucidées. Les médias se contentent de vomir – sans aucune objectivité ou prudence – les informations qu'un généreux donateur leur a apportées sur un plateau. Et ce, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Les chaînes de télévision excitent la population sans aucune preuve et réclament la justice, sous couvert de tirades alambiquées et d'incitations à la haine déguisées. Par chance, je suppose, la mère de Victor semble ignorer les faits, là-bas, en Australie.

Au milieu de ce chaos médiatique, le cas de Christopher Roussel n'a servi qu'à alimenter la colère du peuple. Sa culpabilité effacée, il représente une victime et pas des moindres : celle qui a survécu. Malgré l'état critique dans lequel il se trouve toujours, la France entière le perçoit comme un miraculé, une espèce de héros au cul bordé de nouilles. C'en est tellement absurde que j'ai dû me raisonner pour ne pas aller achever ce type moi-même.

En résumé, le nom du Boucher de Paris est sur toutes les lèvres et les Français attendent que le tribunal fasse son travail. Je n'aurais jamais cru penser cela un jour, mais je remercie en silence tous ceux qui freinent les élans de haine de leurs concitoyens et qui appellent à la présomption d'innocence, tant que le verdict n'est pas tombé. Pour la fervente justicière sans foi ni loi que j'ai toujours été, cela signifie beaucoup. Surtout quand tout ce que je tenais pour acquis, tout ce en quoi je croyais dur comme fer, s'est retourné contre moi en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.