Chapitre 6

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JESSIE


Une fois que Victor et Eliott nous ont quittées, Aela et moi décidons d'un commun accord de rentrer chez nous pour un repos bien mérité. De nouveau invisibles, nous retrouvons nos marques et rejoignons le portail le plus proche. Une application de pointe installée sur nos téléphones géolocalise la présence des Passeurs et permet aux Kères de les contacter afin de regagner Helgrind dans les plus brefs délais. Fait d'autant plus appréciable que cette soirée m'a lessivée ; j'ai l'impression d'être passée sous un tank.

Entre le camouflage des marques, la surveillance accrue de mes moindres gestes et la barrière électrique du cerveau de Victor (qui m'a pulvérisé les synapses dès je l'ai effleurée), on n'est pas sur le format d'une journée lambda. Hier encore, j'accompagnais feu Ricardo à travers Helgrind. S'en est suivie l'attaque des âmes-errantes, la convocation chez le Roi, la découverte du cadavre et la rencontre avec les garçons. Deux jours bien chargés, en somme. En temps normal, mon moral ne se trouverait pas entaché par un peu de fatigue et un rythme de vie effréné. Or, l'esprit de Victor est cadenassé et je ne parviens pas à faire sauter la sécurité. J'ignore si j'en suis admirative, angoissée ou contrariée. Sans doute un mélange des trois.

Tout ça pour dire que je ne désire que deux choses : prendre une douche et m'enrouler dans ma couette. Déjà, car le parfum de mon barbare nordique me colle à la peau – ou imprègne mes narines, difficile à dire – et que ça me perturbe de renifler son odeur chaude et épicée en permanence. Ensuite, parce que je suis crevée, tout simplement.

Le quartier résidentiel d'Helgrind est un conglomérat de blocs de béton peints en blanc cassé. Les immeubles, plus longs que hauts, sont pourvus d'un nombre incalculable de petites fenêtres carrées et sont reliés les uns aux autres par des passerelles aux rambardes vitrées. Ici, pas de balcons ou d'immenses terrasses avec vue sur les dunes de sable gris ; les seuls espaces ajourés sont les halls ouverts qui mènent aux ponts et les allées qui quadrillent la zone. Simple et fonctionnel, à l'instar des logements installés à l'intérieur.

Au moment où nous nous téléportons devant la porte d'entrée de notre appartement – situé au dernier étage de notre bloc –, je prends conscience qu'Aela n'a pas décroché un mot depuis que nous nous sommes mises en quête d'un Passeur. Je la sens contrariée et je juge inutile de l'interroger pour connaître la source de son mutisme.

Eliott Freud incarne tout ce qui lui plaît chez un homme, en dépit du fait qu'elle ne l'admettra jamais à quiconque, pas même à moi. Avec son tempérament volcanique, ma moitié a besoin d'un adversaire à sa taille, mais elle ne s'attendait sûrement pas à tomber sur un tel phénomène. Qu'un humain ose la taquiner de la sorte n'a pas dû lui plaire, et encore, j'ignore tout de ce qui s'est passé lorsqu'ils sont sortis du bar.

Trop éreintée pour me montrer prudente, je déverrouille la porte de notre habitat et choisis de tâter le terrain de son côté. Après tout, elle va être amenée à supporter le Lieutenant le temps de la mission, alors je préfère ne pas négliger sa main leste. Aela serait tout à fait capable de lui exploser le nez s'il la chauffe trop.

— Tu ne m'as pas raconté comment ça s'est passé avec Eliott, avancé-je d'un ton serein.

Ma moitié croise les bras sous sa poitrine et roule des yeux en grognant.

— Ce mec est con comme une huître et aussi agréable qu'une âme-errante qui te bouffe la jambe.

— Peut-être. Par contre, au regard qu'il posait sur toi, je peux te dire que ce n'était pas ta jambe qu'il avait envie de bouffer.

MALAKS : l'Épître du RoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant