Chapitre 4

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JESSIE

Le lendemain matin, Aela et moi quittons notre petit appartement pour nous rendre au département Odin afin de retrouver le Passeur qui nous mènera à Paris. Le service Gioll ressemble à celui des Post-Mortem, bien qu'aucune âme humaine ne grouille en ces lieux. La différence fondamentale réside surtout dans l'énorme complexe informatique situé au centre du bâtiment, qui alimente les portails entre la Terre et Helgrind. Le réseau de câbles électriques relié aux ordinateurs ultra-performants trouve sa source dans un bloc de deux mètres sur deux, semblable à un GPS – la taille mise à part.

Munis d'une oreillette aux ondes interdimensionnelles, les Passeurs s'activent sur les claviers en échangeant avec leur moitié, installée sur Terre ou sur un autre territoire d'Helgrind. Ainsi, ils gèrent les voyages constants des malaks entre les deux zones.

Nous croisons de nombreux collègues Kères auprès desquels nous ne nous attardons pas. Moi, je suis simplement pressée de rencontrer l'intrigant Victor Braudner – plutôt beau garçon en plus, d'après les photos épinglées dans son dossier. Aela, elle, bout d'une colère acide qui menace de déborder par tous ses orifices. Certains médisants affirmeraient que c'est tout le temps le cas, et je pourrais presque leur donner raison. Disons que mon adorable moitié possède une patience et un sens de l'humour assez restreints, mais c'est ce qui fait son charme, selon moi.

— Ce n'est qu'un vulgaire nom de famille, Aela, soufflé-je en pianotant sur l'écran tactile installé à l'entrée du service, afin d'obtenir un ticket numéroté. Inutile d'en faire tout un plat.

Je réceptionne son regard glacial sans sourciller ; je dois même réprimer un sourire amusé pour ne pas attiser le brasier de sa fureur.

— « Un vulgaire nom de famille » ? persifle-t-elle néanmoins, en m'agitant sa carte d'identité falsifiée sous le nez. C'est facile à dire pour toi : Jessie Soene, c'est nettement moins ridicule qu'Aela Chaton !

— Personnellement, je trouve ça mignon.

— Bordel, Jessie ! Que ce soit mignon m'importe autant que mon premier cunni !

— Silas aurait pu t'en filer un bien pire. Comme Cunni, justement. Ou Boudin. Voire...

— Numéro 4125.

La voix robotique qui s'élève dans le couloir coupe court à cette conversation pour le moins divertissante. Suspendue au-dessus de l'une des nombreuses portes, une lumière verte s'active pour nous renseigner sur la pièce à rejoindre. J'adresse un sourire compatissant à ma partenaire, puis l'entraîne en direction du bureau.

— Ne fais pas la tête ! Je suis sûre qu'on va régler cette mission en deux temps trois mouvements, et qu'Aela Chaton ne sera bientôt plus qu'un lointain souvenir.

Ma moitié bougonne, mais me suit sans rien ajouter. Nous parvenons donc à notre Passeur du jour en silence, affublées de nos faux-papiers et de notre look de fliquettes humaines. Silas a beau être un vieux snob insupportable, il a pris un soin tout particulier pour nous faciliter la tâche sur cette mission. À présent, Jessie Soene et Aela Chaton ont un passé, un parcours scolaire et sont répertoriées dans les registres humains. Ainsi, si Victor Braudner décide de fouiller dans les papiers – et il y a fort à parier qu'il le fera –, il y trouvera tout ce qu'il pourra bien chercher. Notamment le fait que nous sommes deux nouvelles recrues de la section antiterroriste de Paris, et que mettre notre nez dans son affaire est notre droit. C'est d'ailleurs assez ironique d'endosser ce rôle, alors que nous sommes en grande partie responsables des tueries de masse.

Obéir au doigt et à l'œil d'Éléazar est notre credo. Et pour être tout à fait honnête, je doute qu'il existe un meilleur moyen d'assurer la survie d'Helgrind quand on sait que, chaque jour, des malaks tombent au combat contre Azraël. Malheureusement pour eux, les humains représentent notre atout majeur pour garder l'avantage sur le traître qui, à notre connaissance, ne détient aucun portail ni aucun Passeur.

MALAKS : l'Épître du RoiWhere stories live. Discover now