Chapitre 25

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AELA


Le choc est titanesque. Pas seulement pour Jessie et moi ; aussi pour tous les Berserkers et Shamashs qui viennent d'encaisser la nouvelle. Le silence prend corps. Je dévisage l'être qui nous fait face et une part de moi refuse de considérer l'image comme une réalité.

Car ça ne peut pas être vrai. En quelques secondes, des centaines de souvenirs, réminiscences de sensations et de paroles, défilent dans mon esprit et tentent de se superposer à la situation actuelle. Je revois ses sourires, sa sensibilité, sa peur des germes, son lien avec Braudner, la déchirure de croire à sa culpabilité... une humanité profonde, qui a fait d'Eliott Freud un être aussi pénible que terriblement désirable.

Tant de certitudes soudainement brouillées par le voile aqueux d'une vérité que je refuse d'admettre.

Je suis incapable de déterminer combien de secondes, minutes ou heures s'écoulent avant qu'Elena ne parvienne à réagir. Elle agrippe le bras de sa moitié et recule d'un pas prudent, le regard rivé à celui du malak au centre de l'assistance. Puis, d'une voix sèche, tremblante, elle prend la parole.

— Tuez-le.

Les Berserkers hésitent une seconde, avant de se rappeler le but premier de leur existence : protéger Helgrind. Et dans la conscience générale – je ne fais pas exception –, Azraël en est la toute première menace.

Le malak en question rabaisse les bras et avise du regard les quatorze Berserkers qui se préparent à l'attaquer. Il pousse un bref soupir, aussi nonchalant qu'un parent fatigué par l'attitude rebelle de son adolescent.

— Je ne veux pas me battre, assure-t-il. Vous devez m'écouter.

— Tu as buté les nôtres, crache Caleb, qui est parvenu à se relever, mais dont le bras n'est plus qu'un morceau de chair pendouillant et rabougri.

— Parce qu'ils ont attaqué, exactement comme vous vous apprêtez à le faire. Je ne suis pas mon frère. Je ne cherche pas à vous détruire.

Le hurlement brusque d'Elena parvient presque à me faire sursauter. Sa voix s'embarque dans les aigus, siffle entre ses dents comme le cri pénible d'un oiseau en souffrance. Il y a quelque chose de fascinant à voir danser ce mélange de terreur, de panique et de détermination dans son regard.

— Il est l'ennemi d'Éléazar ! Vous devez fidélité à votre Roi et vous avez juré de lui offrir votre vie ! Alors tuez Azraël !

Une onde de férocité parcourt les lignes de Berserkers. Leur opposant (je me refuse à l'appeler par son prénom, même en pensées) lève les bras pour leur insuffler un semblant de calme.

— Réfléchissez, je vous en prie. Je ne souhaite pas vous blesser, et vous n'avez pas à donner votre vie pour mon frère. C'est injuste, pour vous comme pour Helgrind tout entier. Laissez-moi partir avec Aela et Jessie, et survivez.

Elena panique.

— Tuez-le, c'est un ordre ! Si vous le laissez s'échapper, vous répondrez de votre trahison auprès du Roi, et je m'assurerai personnellement de votre exécution !

Cette fois le malak originel s'agace. Ses épaules se crispent et son regard est devenu dur, menaçant, lorsqu'il se pose sur Elena. Elle est tout ce qu'il a toujours haï dans la politique d'Éléazar, je peux le voir dans ses yeux. Elle est l'incarnation même de l'aveuglement stupide, de la dictature et du règne de la terreur.

MALAKS : l'Épître du RoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant