Chapitre 7

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JESSIE


Aela et moi avons passé la journée de la veille à surveiller Victor comme du lait sur le feu. Puisqu'il a eu droit à un jour de repos, nous n'avons pas pu nous incruster auprès de lui sans que ça paraisse louche à ses yeux. En effet, que deux nouvelles recrues débarquent sur son affaire, ça passe encore. Mais que ces deux mêmes personnes surgissent dans sa vie dès qu'il pose un pied dehors... Non, nous sommes plus subtiles que ça. Et Victor est sans conteste un bon flic avec un radar de pointe.

Toutefois, qui dit bon flic, dit flic enfoncé dans son enquête jusqu'aux yeux. Il a passé sa journée de congé à éplucher pour la millième fois les dossiers de l'affaire, assis à la terrasse d'un bistrot. Postées près de lui, Aela et moi avons vu les tasses de café s'accumuler sur sa table au fil des heures. Nous avons aussi remarqué que le moral du Commissaire déclinait de minute en minute, allant de l'optimisme à l'impuissance en passant par une phase d'agacement palpable.

— Quand on le voit comme ça, personne ne pourrait soupçonner qu'il a cloîtré son esprit dans une forteresse, m'a dit Aela alors que Victor semblait à deux doigts de quémander un briquet pour foutre le feu aux dossiers. Il a l'air si... sensible.

Dans la bouche de ma moitié, ce qualificatif ne sonnait pas vraiment comme un compliment. Pourtant, c'est précisément le contraste entre l'être et le paraître de cet homme qui a piqué mon intérêt dès notre rencontre.

Pourquoi un type, en apparence si ordinaire, ressent-il le besoin d'intérioriser ses souvenirs au plus profond de lui ?

Plus important encore : comment parvient-il à se protéger de la sorte ?

Est-ce du déni ? De la honte ? De la rage ? Ou est-ce bien plus compliqué que ça en a l'air ?

Toutes ces questions m'ont convaincue d'une chose : inutile de me pencher à son oreille pour lui inoculer mon poison. Alors je me suis contentée de l'observer. J'ai détaillé chacune de ses mimiques. La manière dont il lisse sa barbe courte lorsqu'il réfléchit ou qu'il est nerveux ; les sourires qu'il a offerts de bon cœur aux serveurs ; le fait qu'il attende que son café tiédisse avant de le boire d'une traite, au lieu de siroter gorgée par gorgée en se brûlant les lèvres...

Inévitablement, j'en suis vite venue à contempler sa silhouette. Dès lors, j'ai réalisé que je me suis trompée, car mon barbare nordique n'a pas besoin d'un uniforme pour exciter ma libido. Avec son jean brut déchiré aux genoux, son pull bleu nuit à mailles fines et ses Rangers, Victor semblait tout droit sorti d'un magazine de fringues de rock. Un look de mauvais garçon pour un homme d'une grande douceur.

Encore cette foutue ambivalence !

Bref, une journée tranquille. Si j'oublie que l'une des serveuses a bien failli avoir raison de ma patience, lorsqu'elle s'est assise face au Commissaire à la fin de son travail. J'avais déjà repéré ses coups d'œil insistants en direction de mon Viking, mais je ne pensais pas qu'elle aurait l'audace de venir lui tailler le bout de gras. Parfois, je zappe que nous sommes au 21e siècle et que le girl power connaît une montée en puissance, et que le temps où les femmes se la fermaient est révolu. J'en suis très heureuse, bien sûr ! Sauf si ça implique que l'une d'elles interfère dans ma mission. Là, je risque de péter un boulon.

Déjà que je galère, alors si une nana me vole la vedette, je serais dans une belle mouise !

Trop poli pour l'envoyer paître, Victor a rangé ses dossiers avec un sourire crispé. J'ai été soulagée de constater qu'il ne semblait pas réceptif à ses avances. J'ai même jubilé en silence lorsqu'Eliott l'a rejoint en fin d'après-midi, lui donnant l'occasion d'écourter ce tête-à-tête embarrassant. La pauvre serveuse est partie bredouille et déçue. Moi, j'ai gloussé comme un dindon, mais Aela ne s'en est pas aperçue, trop focalisée sur l'arrivée du Lieutenant pour s'en inquiéter.

MALAKS : l'Épître du RoiWhere stories live. Discover now