Chapitre 21

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JESSIE


Le plan que nous avons monté s'avère plus machiavélique et plus dérangeant que je l'aurais cru. Il ne me plaît pas, tant sur le fond que sur la forme. Il est risqué pour Aela, pour moi, et même pour Victor. Cependant, c'est le meilleur dont nous disposons pour parvenir à nos fins.

Une semaine s'est écoulée depuis que nous avons appris que Christopher Roussel est le Boucher de Paris. Cet homme aux portes de la cinquantaine possède le physique d'un courtier en bourse, tout ce qu'il y a de plus banal. Il paraît poli, avenant et même assez sympathique. Il cède sa place aux femmes enceintes dans le bus, aide les personnes âgées à porter leurs sacs de courses et se montre plus souriant que les trois quarts des Parisiens. Je le sais, parce que je l'ai suivi en compagnie d'Aela ces derniers jours.

Toutefois, la comédie prend fin lorsqu'il rejoint sa tanière – une chambre de bonne nichée non loin de la Villette. Elle regorge de sachets de scopolamine – drogue avec laquelle il endort ses victimes –, de diverses armes blanches, allant du scalpel à la machette. Nous y avons même aperçu une tenaille, une batte de base-ball et des boîtes de munitions. Savoir que ce malade se promène équipé d'un automatique risque de compliquer nos affaires, mais nous ne pouvons plus reculer. Plus maintenant. Il est temps que cette mission s'achève et la première phase aura lieu ce soir.

J'en tremble. Je n'ai pas le droit à l'erreur sur ce coup-là, mais je ressens une telle pression que l'hystérie me guette. Pour la première fois de ma vie de malak, je doute de mes capacités et du bien-fondé de ma mission. Toutefois, je n'ai d'autre choix que de céder aux exigences du Roi. Car même si j'avais envisagé la possibilité de suivre les directives de Gali, savoir qu'Azraël se cache derrière le Boucher de Paris m'aurait aussitôt fait retourner ma veste.

Le brouillard qui entoure les actions des troupes ennemies ne laisse aucune place à l'allégeance. Alors je m'en remets à la seule personne que je suivrais les yeux fermés. Dans ce chaos de sentiments et de doutes, Aela est l'ultime constante qu'il me reste encore.

Même si elle ne me fait plus confiance.

— Tu as ton arme ?

Je dégaine mon pistolet fétiche pour le montrer à ma moitié et en profite pour vérifier qu'il est bien chargé. Puis, je le range dans mon holster, ajuste mon gilet pare-balles et prends une grande inspiration.

Lundi 8 juillet au soir, Paris semble endormie. Les premiers vacanciers de l'été sont partis ce week-end. Le reste de la population est cloîtrée chez elle, rebutée à l'idée d'affronter l'orage particulièrement violent qui gronde sur la cité. Des nuages noirs et épais s'enroulent autour des immeubles ; un vent chaud et moite, aux relents d'ozone, siffle dans les rues et renverse les poubelles. Si les taxis ne couraient pas de part et d'autre de la capitale, Paname aurait des allures de ville fantôme. Il ne pleut pas encore, mais mes sens ne me trompent pas : lorsque la pluie s'abattra, les caniveaux se transformeront en torrents et la Seine ronronnera dans son lit, ravie d'accueillir un peu d'eau après ces semaines caniculaires.

Adossées contre la façade d'un restaurant coréen, invisibles, Aela et moi attendons notre homme. En jetant un œil à l'intérieur du bâtiment, je le vois terminer son repas, attablé au fond de la salle. J'espère qu'il en savoure chaque bouchée, car il s'agit de son dernier festin. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, je n'ai rien contre ce type. Il est né avec des prédispositions pour attirer l'attention des Kères sur lui, puis a redoublé de malchance en atterrissant entre les griffes d'Azraël. C'est dommage, mais il doit mourir. Ce soir. Je n'ai pas passé la semaine à saccager l'esprit de Victor pour que notre plan tombe à l'eau, je refuse cette idée comme le ferait un organisme d'un corps étranger.

MALAKS : l'Épître du RoiМесто, где живут истории. Откройте их для себя