Epilogue

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AELA

Je n'ai pas retrouvé Jessie. Elle n'est évidemment pas retournée sur Helgrind, et je la soupçonne d'imiter les techniques de dissimulation d'Azraël. Voilà trois jours que je n'ai pas foutu un pied, moi non plus, en terre malak, et que j'ignore tout de ce que son nouveau dirigeant organise. Je parcours Paris de long en large dans l'espoir d'apercevoir la seule femme qui m'obnubile, masquée derrière une perruque brune peut-être, sous forme humaine, fondue dans la masse.

J'ai surveillé tous les lieux susceptibles d'évoquer chez elle un besoin de recueillement. L'appartement de Braudner, pour commencer, puis le parc où ils s'étaient baladés tous les deux, le café où nous l'avons rencontré... Je suis même allée jusqu'à cette forêt où ma moitié a cédé à la force de ses sentiments pour le Commissaire. Mais elle demeure introuvable.

Je ne suis plus certaine d'être encore visible à ses yeux lorsque j'erre sur les terres humaines sous ma forme malak et qu'elle maintient son apparence de mortelle. Quelque chose s'est brisé dans ma poitrine ; un nœud s'est dénoué et pendouille, pitoyable, suinte de la douleur comme une gouttière défoncée expulse des gerbes d'eau de façon chaotique. Le lien mystique qui nous reliait toutes les deux s'est rompu, pour de bon, et n'a laissé de mon cœur qu'une pierre fracassée que je ne pourrai jamais réparer.

L'histoire a fait la une des émissions télévisées quelques heures après le drame. Les journalistes s'amusent à noircir davantage le souvenir du Commissaire ; le pauvre homme s'est débattu dans le parking du Palais de Justice, a assommé un flic, a tué le second, puis s'est donné la mort. Un fou furieux, un malade mental, que Paname ne regrettera jamais.

J'ai pourtant laissé traîner mes oreilles dans les différents services de police en charge du Boucher de Paris, et la plupart ont assisté à la scène étrange qui a été capturée par les caméras de surveillance du parking. L'inexplicable existe : Victor Braudner s'est bel et bien suicidé, mais il n'a jamais assommé les policiers. Mieux : deux autres flics se sont évaporés de l'image comme par magie. Science-fiction incarnée : des litres de sang, étrangement impossible à analyser – comme si la substance n'était pas tout à fait humaine, ni animale – ont jailli du néant, avant qu'une balle invisible pulvérise le crâne du flic défiguré par le Boucher.

Commissaires, Lieutenants, Sergents et Inspecteurs se sont accordés, d'un souffle rongé par une terreur indicible, sur le fait que la vidéo a été truquée. La seule information capitale demeure le déchaînement de violence gratuit de Braudner contre le policier, et sa décision de mettre fin à sa vie. L'humanité ne peut encaisser l'extraordinaire mystère qui se cache derrière cette vidéo.

Et après tout, dans quelques semaines, tout le monde aura oublié Victor Braudner.

Son corps a été transporté à la morgue, et sa mère a été prévenue de son décès. La pauvre femme expatriée en Australie ne s'était jamais intéressée au monstre qui terrorisait les habitants de la Capitale et Victor s'était bien gardé de la tenir au courant du sujet de son enquête. En un coup de téléphone, froid et impersonnel, la malheureuse a découvert que son fils était le plus grand tueur en série de cette décennie, et qu'il était temps d'organiser ses obsèques.

Voilà trois jours que Jessie a disparu dans la nature, et le seul espoir qu'il me reste, c'est de la trouver lorsque le corps du Commissaire sera rendu à la terre. J'ignore encore la date de la cérémonie, mais la surveillance constante que je monte aux alentours de l'appartement de Braudner finira par me donner les informations nécessaires.

En ce vendredi de plein mois de juillet, le soleil s'écrase sur la ville. Les Parisiens sont habillés avec légèreté ; les étudiants profitent de leurs vacances bien méritées ; les travailleurs savourent l'idée d'un week-end entre amis et d'une farandole de barbecues au fond du jardin. Mon monde à moi est bien plus fade. Tout m'apparaît gris, désertique. Pour la première fois de mon existence, j'évolue à l'aveugle, sans espoir d'un avenir meilleur, seulement guidée par le besoin viscéral de retrouver celle que j'ai trahie. Dans quel but ? Je n'en ai aucune idée. M'assurer qu'elle est vivante, sans doute. Je ne peux plus prétendre à grand-chose d'autre.

MALAKS : l'Épître du RoiWhere stories live. Discover now