Chapitre 19 (2)

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JESSIE


Je pensais que nous irions seulement nous dégourdir les jambes le long des boulevards parisiens. Quelle ne fut donc pas ma surprise, de constater que Victor m'a fait traverser la capitale en voiture pour rejoindre la province ! Après une heure de trajet, il a garé son véhicule au beau milieu d'un parc naturel, et plus particulièrement au cœur de la forêt de Fontainebleau – si j'en crois la pancarte installée au bord de la route.

— C'est bien que tu aies laissé les talons aiguille au placard, car nous allons marcher.

Victor s'est extirpé de son long mutisme dans l'unique but de m'annoncer une randonnée, alors que la nuit allait tomber l'heure d'après. Sans rien ajouter, il s'est détourné et s'est éloigné le long d'un chemin balisé. Il m'a fallu une poignée de secondes pour réaliser qu'il me mettait au défi de le suivre, qu'il souhaitait tester mon désir de crever l'abcès qui suppurait entre nous. Si j'avais été une femme moins endurante – physiquement et mentalement –, et s'il avait été un homme plus sanguin, une dispute aurait sans doute éclaté à l'orée de ces bois.

Or, nos caractères fiers ne sont plus vraiment à prouver. Je me suis donc tue, et l'ai suivi sans faire d'histoires.

Une vingtaine de minutes plus tard, nous débouchons à un croisement où se rejoignent plusieurs routes pédestres. Les lieux sont calmes et déserts, à l'exception des sons significatifs de la faune environnante. Toutefois, les oiseaux cesseront bientôt de chanter dans les arbres, lorsque la nuit sera là, et Victor et moi devrons bien briser la glace.

— À quoi rime cette escapade, Commissaire ? m'enquiers-je avec calme, tandis qu'il s'arrête à l'embouchure.

Je ne vois que son dos depuis que nous avons quitté le parking, et cela commence doucement à irriter mes nerfs. Au fond, je sais qu'il le fait sciemment et qu'il s'agit là d'un moyen de retarder l'échéance de notre conversation, mais je pense mériter un peu plus de considération. Voilà pourquoi je réprime un soupir de soulagement lorsqu'il pivote dans ma direction pour me répondre.

— Je te l'ai dit : j'ai besoin d'air. Et d'espace.

Il lève le nez vers un sentier étroit s'élevant vers le Nord, puis poursuit :

— Nous allons devoir grimper.

— Je ne grimpe nulle part, Victor. Je suis venue afin qu'on discute, pas pour que tu m'entraînes au milieu des bois sans m'en expliquer la raison.

Je retire ce que j'ai dit au sujet de mon endurance. Apparemment, elle atteint beaucoup plus vite ses limites qu'à l'époque. Celle du Viking aussi, si j'en juge par le regard torve qu'il m'adresse. Mais alors que je suis prête à camper sur mes positions et à argumenter, il fonce sur moi, me hisse sur son épaule et s'élance sur le sentier en ceinturant mes jambes contre son torse. Je beugle comme une vache enragée et me débats comme un beau diable, mais rien n'y fait : l'homme des cavernes poursuit sa route sans se soucier de mes cris hystériques.

Là, je suis forcée d'admettre que Victor Braudner n'est pas un humain lambda. Il tire forcément sa force du sang de malak qui coule dans ses veines. J'avais déjà remarqué sa puissance lors de notre combat sur le ring, mais je m'en explique désormais les raisons.

Tous les indices étaient sous mes yeux et je n'ai rien vu ! Rien !

Autant dire que ça réveille ma rage en un battement de paupières.

MALAKS : l'Épître du RoiWhere stories live. Discover now