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— Ton service n'est pas terminé, Allen, gronda la responsable, seize heure c'est l'heure de pointe, je te rappelle.
Éris se redressa comme un automate, les paupières lourdes. Depuis combien de temps n'avait-elle pas dormi? Une migraine atroce incendiait son crâne, comme si un brasier s'y était déclaré. Ou peut-être qu'elle pourrait plutôt comparer son mal à un orchestre cacophonique qui lui hurlait dans les oreilles. Oui. Un vrai concert de cymbales et de tambours.
L'adolescente épousseta son chemisier pastel, estampillé du logo du bar à milkshake de Carlbury, et rejoignit d'un pas lourd ses collègues derrière le comptoir de l'entrée. En effet, l'affluence semblait avoir doublé. Les enfants se pressaient, leurs épais cartables au dos, tandis que leurs parents tentaient tant bien que mal de les contenir. Quelques groupes de lycéens aux rires métalliques franchissaient aussi la porte de l'enseigne, attirés par les senteurs sucrées de caramel et de chocolat fondu.
Éris ne pouvait jamais s'empêcher de sourire devant cette profusion de bonheur, même lorsque la fatigue écrasait ses épaules. Depuis le temps qu'elle travaillait ici en tant que serveuse, Éris avait appris que la lumière se reflétait mieux au travers du sourire des gens. Tous ces clients venaient ici pour un milkshake. Parfois même deux. Ou trois. Pourtant lorsqu'ils poussaient la porte du bar, chacun d'eux laissait toujours derrière lui une empreinte bien singulière en partant. Éris adorait ça.
Guidée par le doigt de Morphée, la jeune sorcière laissa déborder, sans s'en rendre compte, le milkshake qu'elle préparait, ce qui lui valut plusieurs éclaboussures sur son chemisier. L'adolescente soupira, et à l'abri des regards, elle forma un losange avec ses doigts.
— Huy K'ma.
Son simple murmure suffit à effacer les tâches, qui s'envolèrent alors aussi vite qu'elles étaient apparues. Aussitôt, sa migraine s'intensifia, comme si on avait renfoncé les aiguilles qui perçaient déjà son crâne. Éris grimaça, se massa les tempes et vérifia, d'un regard vif, que personne ne l'avait aperçue. Mais tous les clients qui faisaient la queue étaient bien trop préoccupés à décortiquer le menu pour remarquer les faits et gestes de la jeune serveuse.
S'il y avait une chose que l'adolescente avait choisi de garder de son éducation, c'était bien de préserver l'ignorance du monde des humains quant à l'existence du surnaturel. Elle savait d'expérience que la magie pervertissait les esprits les plus faibles, elle les corrompait en leur enseignant les délices du pouvoir et le goût des vices.
Quand ses yeux se posaient sur les petits enfants aux joues barbouillées de chocolat, sur les collégiens qui se disputaient des pailles et les couples qui sirotaient leurs milkshakes en se dévorant des yeux, Éris ne voyait qu'une pure innocence. Comme si pleins de petits contes de fées se jouaient devant elle dès qu'elle enfilait son uniforme de serveuse. À l'inverse d'un bien grand nombre de sorciers, les humains fascinaient Éris. Ils étaient simples, leur esprit était léger. Si facile à cerner.
