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Vendredi 11 Mars 2016

Pour une fois, je suis à l'heure pour mon prochain cours, histoire des arts. Je suis même dans les premières. Je m'installe à ma table. Aujourd'hui, on va visionner et lire les différentes interview, soit une dizaine de travaux différents. On va enfin avoir nos notes, et surtout, savoir qui sera publié dans Le Parisien.
Je suis plutôt confiante. J'ai montré d'abord l'interview à Ken, qui s'est montré enthousiaste, puis au Panama Bende au complet, qui a adoré. Même Mathieu, qui pourtant ne m'apprécie pas beaucoup, a avoué que mon travail était vraiment ouf. Evan et Sam, après avoir vu l'interview, ont lancé des paris. Sam est persuadée qu'elle sera sélectionnée, et mon meilleur ami, juste pour nous faire chier, pense le contraire.

Le cours commence, les différents travaux défilent. Je note que les personnes interrogées sont des oncles peintres, des grandes tantes gardiennes de musées, des parents photographes, des sœurs professeurs de musique, des frères acteurs, des amis d'amis directeurs artistiques. Personne de très connu. J'ai toutes mes chances, j'y crois. Enfin, mon travail est présenté au reste de la classe. C'est drôle de voir projeté les figures des jeunes rappeurs qui ont détesté le lycée sur un tableau blanc, dans une salle de cours. Les rires des élèves fusent, les voix du Panama Bende résonnent, parfois dans leur chambre respective, parfois en bas d'un bâtiment de Clamart. L'interview se termine sur un freestyle inédit. J'ai l'impression d'être complètement déconnectée, que ça ne se passe pas vraiment, que ce n'est pas réel. Ce sont finalement des applaudissements et une main chaleureuse sur mon épaule qui me reconnectent brusquement à la réalité. Certains élèves me félicitent, je leur réponds par de grands sourires. Mes yeux cherchent l'approbation de Monsieur Karl, j'attends un compliment de sa part, espère au moins un sourire. Mais rien. Il ne daigne pas me regarder droit dans les yeux et passe directement à la prochaine réalisation, me faisant froncer les sourcils.
C'est pas son genre.

Le cours continue. Il nous rend nos notes. Quand le prof me tend ma copie, je lui arrache presque des mains. Grand soulagement: j'ai eu vingt. J'ai presque envie de chialer. Je jette un coup d'œil à l'appréciation: que du positif. Putain.
Mon article va être publié par Le Parisien. Le Panama Bende va être dans Le Parisien, et mon nom aussi. La sonnerie retentit. Je bondis de ma chaise, rassemble mes affaires. Faut que je leur dise. À Ken, Sam, Evan, mes parents, Aladin, Zeu, Elyo, Assaf, Ormaz, Lesram, Mathieu. Nouvelles tapes dans le dos, nouveaux sourires, nouveaux « félicitations », « tu le mérites », « c'était très cool ». J'ignore les quelques « y'a moyen d'avoir le numéro d'untel? ». Alors je m'apprête à sortir de la salle, Monsieur Karl m'interpelle.

« Loïs, peux-tu rester un peu? J'ai à te parler. Toi aussi Arsène. »

J'acquiesce. Les élèves sortent tous un à un, discutant joyeusement. Une fois qu'ils sont tous sortis, Monsieur Karl ferme la porte. Nous sommes donc trois: le prof, Arsène et ma personne.

« Qu'est ce que vous vouliez nous dire? lui demande Arsène, un blond à lunettes ayant encore des bagues. Un Agnan du Petit Nicolas version moderne.

-C'est par rapport à ton interview, Loïs, » m'avoue Monsieur Karl, visiblement gêné.

Mon sourire, auparavant confiant, diminue nettement. Le doute me saisit.

« Vous avez pas aimé c'est ça ? je m'inquiète.

-Non, j'ai adoré, me rassure-t-il. C'est un excellent travail, et je ne doute pas sur le fait que tu feras une brillante carrière dans le journalisme. »

Nous nous regardons avec Arsène-Agnan, ne comprenant pas. Qu'est ce qui ne va pas alors?

« Mais il y a un mais, je suppose.

Interview {PLK}Where stories live. Discover now