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Samedi 12 Mars 2016

La chambre de Mathieu sent la beuh, la clope, la transpiration et un parfum masculin fort. Ce sont des odeurs que je connais, réconfortantes. L'appartement de Ken, avant qu'il arrête de fumer, sentait pareil.
À côté de moi, Mathieu dort. Ses traits sont totalement détendus. Il ressemble à un gamin avec ses joues encore arrondies. Il n'est pas parfait, mais il a une certaine symétrie qui le rend agréable à regarder. Une peau lisse, des cils plutôt longs, une mâchoire carrée, quelques grains de beauté sur des joues imberbes, une bouche qui doit rendre folle cette Inès-planQ et d'autres filles. Une bouche délicieusement dessinée dont s'échappe un ronflement régulier particulièrement disgracieux. Je dois me retenir de rire pour ne pas le réveiller.
Je compte mes respirations. De toute façon, je ne vais pas me rendormir. Résignée, je me dégage de la couette et sors du lit, faisant à gaffe à ne pas donner un coup à Mathieu. Je fouille dans mon sac de cours pour récupérer mon chargeur, et fonce dans le salon. Je m'installe sur le canapé, allume la télé, baisse le son. Je mets des dessins animés car de toute façon il n'y a que ça qui passe à cette heure-ci. Ça, et le télé-achat. Le choix est vite fait.
Je branche mon téléphone. Il s'allume de nouveau. Je constate que j'ai reçu une bonne vingtaine de messages, ainsi qu'une dizaine d'appels. Je lis vite fait: surtout des SMS paniqués de mes parents, d'Evan et Sam qui me disent que mes parents ont appelé et se sont pointés chez eux, de Ken qui m'engueule puis me supplie de répondre. J'ai même reçu des messages de $-crew et de quelques membres de L'entourage. Je soupire: dans quelle merde je me suis foutue ? Aucun n'a donc appliqué le plan cinéma surprise ? Je me frappe le front: je ne les ai pas prévenu, ils se sont tous inquiétés.
Je réponds d'abord à mes parents, leur disant que tout va bien, que je vais bien, que je me sentais pas bien et que j'ai dormi chez un ami, que je rentrerais dans la matinée. J'envoie un message similaire à mon frère. J'éteins de nouveau mon portable, sachant qu'ils vont répondre dans l'immédiat et me bombarder de milliers de questions. Je suis pas prête pour un interrogatoire. Pas maintenant.

« Tu es bien matinale pour une adolescente! » s'exclame la grand-mère de Mathieu.

Je sursaute en la voyant surgir de la pénombre du couloir. Elle porte une robe de chambre et des pantoufles. Elle a les cheveux attachés en un chignon bas. Elle a du être blonde, jeune, et très belle. Derrière ses lunettes, j'aperçois des yeux marrons pétillants et chaleureux, exactement comme le chocolat chaud dont elle a le secret. Elle me regarde, regarde le programme diffusé par la télé, puis sourit, se marrant silencieusement.

« Je suis insomniaque, j'explique. Et votre petit fils ronfle.

-Et il a le sommeil lourd, ajoute-t-elle en riant franchement. Tu peux parler à haute voix et augmenter le volume si tu veux, c'est pas ça qui va le réveiller! »

Je ris à mon tour. Elle est géniale.
Je lui propose mon aide pour préparer le petit déjeuner. Elle accepte avec joie. Nous bavardons avec légèreté. Elle ne pose pas de questions sur mon arrivée inattendue.

« Tu sais Loïs, me dit elle soudainement, arrêtant tout mouvement, Mathieu n'a jamais ramené de filles ici. J'en ai vu défiler des amis, ses frères comme il dit, mais jamais de filles.

-Techniquement, c'est moi qui me suis ramenée ici, je lui rappelle, Mathieu n'a pas eu son mot à dire. »

Elle rit face à ma réplique, le coin de ses yeux se plissant.

« Vous savez Madame Pruski, vous me faites penser à ma grand mère grecque. Elle est exactement comme vous. Sauf qu'elle ne fait pas de chocolats chauds aussi bons.

Interview {PLK}Where stories live. Discover now