Interview {PLK}

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Vendredi 11 Mars 2016

Point de vue de Mathieu

Je m'attendais à tout, sauf une Loïs trempée. Ma grand mère en la voyant dans cet état se rue vers elle et la serre dans ses bras comme elle le fait avec ses propres petits enfants. Si Loïs avait cessé de pleurer, c'est reparti pour un tour. Je la regarde sangloter, son corps secoué de spasmes. Je suis complètement dépassé par la situation. Qu'est ce qui s'est passé? Elle s'est engueulée avec ses parents ? Avec Ken? Ou Evan et Sam? À moins que ce soit son copain qui l'ait plaquée... a-t-elle un copain au moins? Mais surtout: pourquoi venir chez nous?
Ce sont les yeux bleus perçants de ma grand mère qui me font réagir. Je fonce dans ma chambre, attrape un jogging propre, un tee shirt et un sweat, retourne dans le salon. Loïs et ma grand mère sont toujours plantées dans le salon, Loïs pleurant, ma grande mère lui caressant les cheveux. Je me racle la gorge, les deux femmes se retournent. La sœur de Ken essuie ses larmes, étalant encore plus son mascara sur ses joues.

« Tiens, je dis simplement à la petite brune en lui tendant les vêtements, la salle de bain est la dernière porte à droite. »

Elle acquiesce vaguement et va dans la salle de bain d'un pas hésitant. Elle cherche l'approbation de ma grand mère. Celle-ci l'encourage d'un sourire délicieusement bienveillant. Loïs s'enferme dans la salle de bain. Ma grand mère se tourne vers moi, son sourire ayant disparu.

« Tu sais ce qui s'est passé? » me demande-t-elle.

Je secoue la tête négativement. T'es pas la seule à être paumé Mamie.

« Je vais faire un chocolat chaud, et réchauffer quelque chose, » annonce ma grand mère.

Elle disparaît dans la cuisine. Je m'assois dans le canapé, et attends comme un con. J'entends l'eau couler. Une dizaine de minutes interminables plus tard, Loïs réapparaît. Ça me fait bizarre de la voir dans mes sapes. On n'a absolument pas la même carrure; je la dépasse d'une bonne tête, et même si elle n'est pas maigre, elle semble flotter dans mon jogging. Elle a nettoyé sa figure, faisant disparaître les traînées noires. Ses yeux sombres, d'habitude pétillants, sont ternes.
Elle ne sourit pas. C'est une des premières fois où je ne la vois pas sourire je crois. Ça me choque presque. Le sourire aux lèvres quatre vingt dix neuf pour-cent du temps, c'est une tradition chez les Samaras.

« Ma grand mère a préparé du chocolat chaud, » je déclare pour combler le silence.

J'espère la voir sourire à cette annonce, mais non. Pas l'ombre de sourire. Pourtant l'autre jour elle souriait comme une gamine en buvant la boisson chocolatée made in Pruski.
Loïs se contente de me regarder fixement, me gênant un peu. Depuis quand une petite conne dans son genre arrive-t-elle à me gêner ? Ça me plait pas la façon dont elle me regarde. Comme si elle était rongée par quelque chose, qu'elle voulait me dire quelque chose de très grave.

« T'as appelé tes parents? je la questionne. Ils savent que t'es là?

-Non. Sa voix est rauque. S'ils me cherchent, ils appelleront Evan et Sam. Ou Ken. Ils me couvriront. »

Je hoche de la tête. Ma grand mère nous appelle. Nous la rejoignons dans la cuisine. Comment en si peu de temps a-t-elle pu préparer un festin? Bon, ce n'est qu'une pizza quatre fromages réchauffée et des chocolats chauds fumants, mais je ne vais pas me plaindre. On mange sur la table de la cuisine. Ma grand mère raconte joyeusement les dernières nouvelles de la semaine: comment son amie Bernadette a organisé un trafic de pelotes de laine, les bêtises que font mon frère Enzo et le petit voisin du dessus, les rumeurs sur le prof de maths -« tu sais Mathieu, celui que t'as eu quatrième? -Celui qui m'a dit que j'avais pas d'avenir? -Celui-là même »- qui se taperait la femme du cousin de la concierge du bâtiment trois. Moi même je fais des efforts en parlant de mes dernières sessions en studio, de la dernière connerie qu'a dit un de mes gars, des labels qui nous contactent pour signer un contrat. En bref, on essaye de lui remonter le moral, de lui changer les idées.
Elle ne rit pas, et ne sourit pas grandement comme elle le fait habituellement, mais on arrive à lui arracher quelques petits sourires.