Chapitre 21 - Partie 2

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Il faisait froid lorsque je franchis les portes du collège. J'avais interdiction de sortir, en théorie. Sauf que les pions étaient moins nombreux le week-end et qu'il y avait bien une chose qui était vrai pour tous : interdisez quelque chose à quelqu'un et vous étiez sûr qu'il le ferait quand même. Ce côté sale môme ne m'avait quitté, même si je préférais dire qu'il s'agissait plus de fierté qu'un esprit de contradiction.

J'enfonçai mes mains dans les poches de mon manteau et m'éloignai sans tarder du bâtiment. Je longeai un moment les murs, préférant me cacher dans l'ombre des bâtiments que m'exploser à la lueur jaunâtre des réverbères. Je n'empruntai que de petits chemins, là où le monde se faisait plus rare. Les rues avaient perdu depuis des semaines leurs illuminations festives et leur épaisse couverture blanche. Noël n'était plus qu'un lointain souvenir alors que l'hiver s'accrochait vaillamment face au printemps qui perçait jour après jour. Malgré tout, le ciel dégagé faisait baisser les températures et le vent restait glacial. A chacune de mes respirations, un nuage de vapeur s'élevait vers la voûte dont les étoiles étaient à peine visibles en ville. J'accélérai le pas pour ne pas me perdre dans plus de pensées.

Le square, lorsque j'arrivai, était vide. Comme dans mes souvenirs, il était mal éclairé et aucune trace de vie ne l'animait. Les pins avaient retrouvés leur robe verte et des bourgeons pointaient le bout de le nez sur les branches des feuillus. Je pris place sur le banc, le même que l'autre fois, et enfonçai ma tête dans mon écharpe pour fuir la gifle du vent d'hiver. Un coup d'œil sur mon portable m'indiqua que j'étais en avance. Je n'avais pas eu le choix. J'étais sorti au moment le plus opportun. Je n'avais pas eu le luxe de choisir quand le faire ni pour minimiser mon temps d'attente dehors. Je n'avais plus qu'à espérer qu'il ne soit pas en retard.

Mon regard se perdit sur les chevaux de bois. J'imaginais qu'en été, ce square reprenait vie, qu'il était courant que des enfants viennent jouer ici, sous le regard protecteur de leurs parents. Des cris de joie, des rires, et peut-être même quelques pleurs rythmerait ce lieu naïf et plein de quiétude. Pour l'heure, il n'y avait que la mélodie du vent dans les arbres, le chuintement des jouets en bois qui travaillaient, et le brouhaha lointain de la rue principale. De quoi raviver des souvenirs, et presque m'arracher un sourire. Si seulement tout ce qui était arrivé plus tôt n'avait pas eu lieu.

— Avez-vous eu des rapports sexuels non consentis avec Monsieur Earl ?

Des questions. Encore des questions. Plus stupide les unes que les autres.

— Monsieur Earl a-t-il eu des gestes déplacés envers vous ?

Et ce pseudo professionnalisme qui m'avait mis hors de moi.

— Je suis tenue au secret professionnel. Vous pouvez me parler ouvertement.

Lui parler ? De quoi ? De notre histoire qui avait été idyllique jusqu'à ce qu'ils viennent foutre leur nez dedans ? Ou de tout ce qu'ils inventaient au fur et à mesure, comme s'il n'y avait que ce chemin là de possible. Qu'une relation toxique et dangereuse. C'était plutôt eux, qui étaient malsain, à voir le mal là où il n'était pas.

— Monsieur Earl vous a-t-il menacé d'une quelconque façon pour entretenir cette relation ?

Je ne sais même pas comment j'ai pu tenir sans tous les envoyer se faire foutre.

— Soan ?

Je relevai la tête, sortant de mes pensées à cette voix que je connaissais par cœur. Mon être chavira en croisant son regard, apaisant un instant mon esprit troublé, effaçant tous ces tracas qui avaient fait de ces 24 dernières heures, un véritable cauchemar.

— Tu ne devrais pas être là.

— J'avais besoin de te parler.

Et lui aussi visiblement. Ach' observa les alentours sans venir s'asseoir près de moi. Il était en alerte, mais nous étions loin du collège, loin du doyen ou de l'infirmière. Loin de Mitchell. Il faisait assez sombre pour que si, par tout hasard, quelqu'un qui nous connaissait passait par là, ne puisse nous reconnaître. Il y avait à peine assez de lumière pour que je puisse distinguer les traits tirés de son visage, les cernes sous ses yeux, et ses lèvres pincées. De quoi me nouer le ventre et me donner envie de le rejoindre, de le forcer à s'asseoir et à se reposer. Je savais ce qui n'allait pas et il savait de quoi je voulais parler. Nous n'avions pas besoin de mot pour nous comprendre. Quelques mois auparavant, je n'aurais jamais cru cela possible. Pas avec Ach'. Il était pourtant la dernière pièce qui complétait notre tout. Une pièce encore indemne et que j'étais prêt à protéger de tous les dangers, quel qu'ils fussent. Etais-je prétentieux, à mon âge, de vouloir protéger un homme tel que lui ? Etait-ce une pensée puérile qui m'empêchait de voir que ce que je faisais, ce que nous faisions, était peut-être une bêtise ? Faire le mur pour voir en douce mon amoureux ? Ou un acte guider par des sentiments trop forts pour que quiconque puisse se montrer raisonnable ? Ach' était là lui aussi, tout en connaissant l'histoire et les dangers. Nous avions tant à perdre, mais nous ne pouvions, l'un comme l'autre, nous résoudre à distiller, à réduir, ne serait-ce qu'un instant, cette symbiose qui faisait battre nos cœurs. Comme une addiction qui nous aveuglait en tout état de conscience. Nous étions si fusionnels. Nous nous aimions tellement que la séparation forcée était insupportable. Nous nous aimions à nous perdre, à en devenir dépendant. C'est pourquoi j'étais là, pourquoi Ach' se tenait devant moi, luttant pour ne pas venir me rejoindre sur ce banc glacé, pour ne pas me trainer jusqu'à l'appartement, où notre troisième cœur était. Nous ne pouvions pas et ça nous tuait.

Miracles In December (Le Droit de Nous Aimer)Where stories live. Discover now