Chapitre 1 : Imogen

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La douleur sera probablement insoutenable.

Je crois entendre ces mots quelque part au fin fond de mon esprit. Ils se répètent en boucle, comme un disque rayé. L'instant suivant, mon corps semble faire une chute libre du haut d'un immeuble. Chaque muscle envoie le même message à mon cerveau : « Réveille-toi. Vite. »

Mes paupières finissent par se décoller l'une de l'autre. Il me faut encore quelques secondes pour que ma vue s'ajuste à la faible luminosité de la pièce dans laquelle je me trouve. Je me sens vaseuse. Le sommeil menace de m'attirer à nouveau vers lui. Malgré tout, je parviens à lutter suffisamment longtemps pour examiner ce qui se trouve autour de moi.

Je suis allongée sous une couverture dans un lit à baldaquin. Derrière moi, une fenêtre laisse entrer les premiers rayons de soleil de la journée entre deux rideaux noirs. Le mur à l'opposé de la pièce est décoré avec quelques posters de différents groupes de musique. Guns N' Roses, The Cranberries, ou encore Tears for Fears. Juste en dessous, un bureau en bois et une chaise à roulettes ont été installés contre le papier peint à motif floral. En me redressant légèrement, je peux voir que tous les documents qui se trouvent dessus sont rangés avec une grande minutie. Cette simple constatation me provoque une sensation étrange au creux de l'estomac. Je ne suis pas du genre à être aussi organisée.

À la seconde où cette pensée me traverse l'esprit, je me demande d'où elle a bien pu provenir. C'est cette question qui engendre une prise de conscience bien plus déroutante... Je n'ai pas la moindre idée de qui je suis, ni de comment je suis arrivée ici.

Non, c'est impossible. Comment peut-on oublier son identité de cette manière ? J'ai peut-être eu un accident qui m'a fait devenir amnésique. Mais si c'était le cas, je serais dans une chambre d'hôpital, reliée à des machines, pas en train de piquer un somme dans une chambre d'adolescente. Je fais glisser mes jambes engourdies sur le côté du lit. Les premiers pas sur la terre ferme s'avèrent difficiles, mais je retrouve vite un certain équilibre. Je commence par ouvrir les rideaux afin d'observer l'extérieur de plus près. J'espère voir quelque chose qui me remettra les idées en place, qui fera remonter tous mes souvenirs à la surface, mais rien ne se passe. L'enfilade de maisons à l'architecture et aux couleurs similaires m'apprend uniquement que je me trouve dans un quartier résidentiel assez aisé. Bien qu'il soit encore assez tôt, un homme fait déjà son jogging, tandis qu'un autre sort de chez lui pour rejoindre sa voiture, garée près du trottoir. Deux maisons plus loin, deux femmes échangent quelques mots près d'un buisson fraîchement taillé. Je m'apprête à détourner le regard lorsque la plus petite d'entre elles tourne la tête vers la maison dans laquelle je me trouve. Ses yeux remontent brutalement jusqu'à rencontrer les miens.

Merde.

J'ai un mouvement de recul instinctif. Je n'ose plus bouger pendant de longues secondes, comme si la femme pouvait voir à travers les murs en briques. Je crois que je vais me contenter d'observer l'intérieur pour le moment. Je me dirige vers la dernière partie de la pièce que je n'ai pas encore pu voir : la petite penderie à côté de la porte. Son contenu n'est pas beaucoup plus utile que la vue depuis la fenêtre. Des t-shirts, des chemisiers, des pulls et des pantalons taille haute. En revanche, le long miroir accroché sur l'un des deux battants m'offre enfin l'occasion de regarder mon reflet. Encore une fois, le seul mot capable de décrire la sensation qui m'assaillit est « étrange ». C'est à la fois comme si je faisais face à une inconnue et que je retrouvais une vieille connaissance. J'ai beau scruter mon visage en forme de cœur, mes yeux verts et mes cheveux châtains aux pointes blondes, je ne suis toujours pas plus avancée. Qui suis-je, bon sang ?

— Imogen ! crie une voix depuis le rez-de-chaussée. Le petit déjeuner est prêt !

Mon cœur fait un bond. Ma gorge se resserrait déjà progressivement depuis mon réveil, mais cette fois j'ai l'impression de ressentir l'anxiété dans chacune de mes terminaisons nerveuses. Je ne suis pas seule dans la maison. J'aurais dû m'en douter, mais disons que j'ai été quelque peu préoccupée ces dernières minutes. Au bout de quelques secondes sans réponse, la voix de femme appelle le même prénom une nouvelle fois. Imogen. Est-ce que c'est... moi ? Le prénom ne provoque aucune réaction chez moi.

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