Chapitre 29 : Souvenirs

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Lorsque je reprends conscience, je me retrouve sous un ciel étoilé. Je suis allongée au milieu d'une étendue d'eau, flottant à la surface comme si mon corps ne pesait rien. Je tente de me redresser, persuadée que la partie inférieure de mon corps va passer sous l'eau, mais je parviens à m'asseoir sur la surface de l'eau sans aucun problème. L'arrière de mes vêtements ainsi que mes cheveux sont pourtant trempés comme si j'avais fait un plongeon dans une rivière. De chacun de mes côtés, la pénombre s'étend à perte de vue. Et ce n'est pas simplement le moment de la nuit où tout devient difficile à discerner sans lumière. Non, il s'agit d'une obscurité totale derrière laquelle rien ne se cache.

C'est la confirmation que je ne suis pas vraiment réveillée. Mais je n'ai pas non plus le sentiment d'être en train de rêver. Je me souviens encore de tout ce qui s'est passé avant que je perde connaissance, et je peux encore contrôler mes pensées. Je repense immédiatement à ce qu'Eden nous avait expliqué plus tôt dans la soirée. Ses souvenirs lui sont revenus dans son sommeil, comme une série de rêves lucides avec lesquels elle ne pouvait pas interagir. Se pourrait-il que je sois dans ce même lieu étrange ?

Grâce à la lumière des fausses étoiles au-dessus de ma tête, je remarque un endroit qui n'a pas été englouti par les ténèbres. Sans perdre de temps, je me lève pour aller l'observer de plus près. Lorsque je suis suffisamment près, je réalise qu'il s'agit d'un immense couloir dont je ne peux même pas distinguer la fin. Les murs, le plafond, le sol... tout est d'un blanc immaculé. Et le long de chaque mur, des portes identiques ont été placées à intervalles réguliers. Si ma théorie est exacte, ce sont les fragments de ma mémoire qui se trouvent derrière ces portes. Le passé qui me file entre les doigts depuis des semaines est désormais à portée de main. La perspective de libérer mes souvenirs d'un seul coup provoque un moment d'hésitation chez moi. Et si la vérité était bien pire que tout ce que j'avais pu imaginer grâce aux brèves visions que j'ai pu avoir ?

Peu importe. Je ne peux passer le restant de mes jours dans le brouillard. Mon passé fait partie de moi. Je dois savoir à quoi ressemblait ma vie avant d'atterrir ici, pourquoi je me suis retrouvée en charge de mon petit frère et comment j'ai fini derrière les barreaux. Aussi pénibles les réponses soient-elles, je ne peux pas me permettre de les fuir. Je tourne la poignée de la porte la plus proche avant que mon élan de courage ne disparaisse. La porte s'ouvre presque sans effort. Je prends une grande inspiration, puis je franchis le seuil.


—    Juliette, écoute-moi ma puce. Tu vas devoir rester avec les voisins pendant quelques heures. Je dois amener maman à l'hôpital.

C'est comme si j'avais sauté à pieds joints dans une nouvelle vision. Je ne contrôle plus rien car ce qui se déroule autour de moi n'appartient pas au présent, même si l'impression inverse continue de me submerger. Je suis au cœur d'un de mes souvenirs les plus anciens, si bien que je dois lever la tête pour que mon regard rencontre celui de l'homme qui vient de me parler. Même s'il n'avait pas eu les mêmes yeux que moi, j'aurais immédiatement reconnu son visage. Mon père.

Je me tourne alors vers la femme qui se tient vers lui, un ventre si énorme qu'elle semble prête à exploser. Elle fait de son mieux pour ne rien laisser paraître, mais il est évident qu'elle est en train de souffrir le martyre. Elle s'approche tout de même de moi, un sourire forcé aux lèvres.

—    Tu n'as pas à t'inquiéter, d'accord ? me dit-elle d'une voix apaisante. Je sais que c'est effrayant, mais on en a déjà parlé toutes les deux, tu te souviens ? Je dois aller à l'hôpital parce que...

—    Parce que mon petit frère arrive ! m'exclamé-je, pleine de joie.

—    Exactement. Et on reviendra vite te chercher, tu verras. Et quand je serai de retour, on lira trois histoires du soir pour rattraper celles qu'on aura manquées.

Les marionnettesWhere stories live. Discover now